Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 décembre 2013 : 1ère réunion
Élargissement — La serbie et l'union européenne : rapport d'information de m. simon sutour mlle sophie joissains et m. michel billout

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Comme vous le savez, le Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 a décidé d'ouvrir les négociations d'adhésion à l'Union européenne avec la Serbie, qui dispose du statut de candidat depuis mars 2012. Les conclusions du Conseil ne précisent pas pour autant la date à laquelle seront ouvertes ces négociations. À l'initiative de notre commission, le Sénat a adopté le 16 octobre dernier une résolution européenne demandant au Gouvernement d'agir auprès de ses homologues afin que la conférence intergouvernementale destinée à ouvrir ces négociations d'adhésion se tienne le plus rapidement possible.

C'est dans ce contexte que nous nous sommes rendus, Sophie Joissains, Michel Billout et moi-même, à Belgrade, du 4 au 6 novembre derniers.

Le rapprochement entre l'Union européenne et la Serbie a longtemps été tributaire du contexte régional. La coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le règlement du conflit gelé au Kosovo ont longtemps pesé sur les relations entre Belgrade et Bruxelles. L'absence de résultats tangibles avec le TPIY a longtemps différé la ratification de l'Accord de stabilisation et d'association, l'ASA, signé en 2008, et l'examen de la candidature à l'adhésion déposée fin 2009. L'ASA n'est ainsi entré en vigueur que le 1er septembre dernier.

La Serbie a obtenu le statut de pays candidat à l'Union européenne en mars 2012. La position serbe en faveur d'une adhésion à l'Union européenne s'est définitivement - et paradoxalement - concrétisée depuis l'arrivée au pouvoir d'une coalition comprenant des partis nationalistes en mai 2012. Compte tenu de leurs histoires respectives, ces formations étaient peut-être les seules à pouvoir faire accepter un désengagement progressif de la Serbie au Kosovo. Le dialogue technique avec le Kosovo, entamé par la précédente coalition, a ainsi pris une nouvelle dimension avec la signature, sous l'égide de l'Union européenne, d'un accord à Bruxelles, le 19 avril 2013, qui ouvre un processus de normalisation des relations entre les deux pays.

Sur un plan plus technique, un plan national de reprise de l'acquis communautaire étalé de 2013 à 2016 a été adopté par le gouvernement le 28 février 2013. Des stratégies nationales en faveur du renforcement de l'État de droit et de la lutte contre la corruption ont par ailleurs été adoptées et saluées par la Commission européenne. L'ouverture des négociations d'adhésion était donc logique. Le gouvernement serbe espère désormais un processus d'adhésion relativement court, entre quatre à cinq ans, pouvant aboutir à une adhésion à l'horizon 2020. Pourtant, comme je vous l'indiquais dans mon propos liminaire, la date d'ouverture effective des négociations n'a pas été fixée, les conclusions indiquant qu'elle devrait avoir lieu au plus tard en janvier 2014.

Il convient, au préalable, que le Conseil adopte un cadre de négociation. La proposition de cadre de négociation présentée par la Commission le 22 juillet dernier insiste sur deux points : les chapitres 23 (pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté, sécurité) d'un côté, et bien sûr le Kosovo de l'autre. La priorité accordée aux questions ayant trait à l'État de droit rejoint la nouvelle approche des négociations d'adhésion validée en décembre 2011 par le Conseil et déjà mise en oeuvre pour le Monténégro.

La question du Kosovo est, quant à elle, plus épineuse, faute d'unanimité au sein de l'Union européenne sur son statut. Le traitement réservé à cette question sera identique à celui des chapitres 23 et 24. Ainsi, tout retard enregistré dans ce dossier entraînera la suspension des négociations dans d'autres domaines. Il semble cependant délicat de demander à la Serbie d'avancer une position précise et consignée par écrit sur l'évolution de ses relations avec le Kosovo, compte tenu de la sensibilité politique, historique et culturelle du dossier dans le pays et de son refus réitéré de reconnaître officiellement l'indépendance de son ancienne province. Le pragmatisme qui a présidé à la conclusion de l'accord de Bruxelles du 19 avril devra, à cet égard, être respecté dans l'intérêt de toutes les parties.

Certains États - l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Finlande et les Pays-Bas - souhaitent néanmoins que cet accord devienne désormais juridiquement contraignant. L'ambition affichée notamment par le Royaume-Uni est de parvenir à la signature d'un accord semblable à celui du traité fondamental entre les deux Allemagnes de 1972. La pleine normalisation des relations et le caractère contraignant de l'accord de Bruxelles doivent donc ainsi figurer, à leurs yeux, parmi les critères de clôture du chapitre consacré au Kosovo, le chapitre 35.

Il est regrettable que ces pays considèrent avec défiance la Serbie au travers d'un prisme hérité de la guerre. Je rappelle, à toutes fins utiles, que celle-ci a éclaté au début des années quatre-vingt-dix, soit il y a plus de vingt ans. Le personnel politique serbe a depuis changé et la rhétorique nationaliste semble désormais confinée à des formations politiques minoritaires sur la scène politique locale. Faire de la normalisation des relations avec le Kosovo l'élément déterminant des négociations d'adhésion paraît de fait exagéré. Cette vision mésestime les efforts déjà accomplis par les formations politiques au pouvoir à Belgrade et introduit une forme de surenchère permanente, difficilement acceptable par l'opinion publique serbe et susceptible de fragiliser la position du gouvernement. Il existe dans le pays une réelle envie d'Europe qu'il convient avant tout d'encourager. Le pragmatisme observé au sein du gouvernement serbe doit être respecté.

Ce cadre de négociations devrait être adopté lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre prochains. L'Allemagne comme le Royaume-Uni attendent, en tout état de cause, un nouveau rapport de la Commission sur l'application de l'accord du 19 avril avant de se prononcer sur l'ouverture des négociations. Dans ce contexte délicat, tout conduit à penser que l'ouverture des négociations ne sera pas effective avant le mois de janvier 2014.

La priorité pour le gouvernement serbe semble désormais de s'atteler aux réformes structurelles, juridiques et économiques induites par la perspective d'adhésion. Le remaniement du gouvernement intervenu début septembre 2013 s'inscrit dans cette logique. L'ambition affichée était également de mettre en avant des experts dans leur domaine, plus jeunes, avec pour objectif de s'atteler désormais à la convergence réglementaire avec l'Union européenne. La coalition gouvernementale ne semble pas, pour l'heure, fragilisée par les positions historiques qu'elle a adoptées sur la question du Kosovo ou par les sacrifices qu'impliquent les réformes structurelles annoncées. Celles-ci semblent susciter une réelle adhésion populaire selon les enquêtes d'opinion.

Comme l'a souligné le rapport de progrès de la Commission européenne, la stratégie de réforme judiciaire 2014-2018 adoptée par le gouvernement doit désormais être effectivement mise en oeuvre afin de garantir véritablement l'indépendance de la justice. Les juges demeurent en effet encore nommés par le Parlement serbe. La lutte contre la corruption doit également être intensifiée, sans interférence politique. L'augmentation du nombre d'enquêtes ne saurait occulter la crainte d'une justice sélective et partiale - 57 membres de l'opposition sont ainsi poursuivis dans des affaires de corruption depuis le changement du gouvernement - qui s'appuie sur des campagnes de presse bien orchestrées. Certains observateurs relèvent ainsi la faible indépendance des organes de lutte anti-corruption.

La Commission pointe également l'absence de réforme de l'administration publique, soulignant qu'aucune stratégie globale n'avait réellement été mise en oeuvre. Le système de recrutement et l'absence de grille des salaires transparente sont notamment mis en exergue. Le gouvernement semble pour l'heure privilégier deux axes de travail tenant plus au poids du secteur public dans l'économie locale : la réduction de ses effectifs, plus de 700 000 agents étant pour l'heure rémunérés par l'État, et une dépolitisation de l'ensemble du secteur.

La lutte contre les discriminations, notamment celles qui concernent les Roms et les LGBTI, fait également partie des priorités de travail aux yeux de la Commission européenne. Certains progrès ont néanmoins été accomplis depuis des années en vue d'intégrer les autres minorités ethniques - 15 % de la population serbe -, même si la situation varie d'une région à l'autre de la Serbie. Les autorités ont ainsi mis en place des Conseils nationaux, représentant chacun des minorités reconnues sur le territoire serbe. 19 minorités et la communauté juive de Belgrade disposent ainsi d'organes représentatifs. Financés sur le budget de l'État, ils disposent de compétences en matière d'éducation et de culture.

L'ouverture des négociations d'adhésion devrait, quoiqu'il en soit, intervenir dans un contexte économique délicat. Pays le plus peuplé issu de l'ancienne Yougoslavie, les revenus y sont quatre fois moins élevés qu'en Slovénie et deux fois moins élevés qu'en Croatie. L'outil productif dont dispose la Serbie est, de son côté, vieillissant, le pays payant encore le prix des guerres de sécession qui ont déchiré la région : l'activité industrielle en 2013 atteint à peine 65 % du niveau qu'elle avait en 1989. Toute relance économique repose de fait sur la capacité du pays à attirer des investisseurs. L'ajustement budgétaire fait également figure de priorité pour les autorités alors que le déficit public s'établissait à 6,7 % fin 2012.

Il me semble - et je crois traduire aussi le sentiment de mes collègues - que les États membres de l'Union européenne doivent désormais engager une véritable dialectique de la confiance envers la Serbie. Sans mésestimer les réformes restant à accomplir, il convient de ne pas relativiser les avancées assumées par le gouvernement serbe, parfois à rebours de sa tradition politique. Des changements considérables se sont produits. Il est indispensable de les saluer et surtout de les appuyer. Toute action inverse conduirait à retarder une nouvelle fois le rapprochement légitime entre ce pays et l'Union européenne, et contribuer à l'étiolement du sentiment européen en Serbie. L'Europe en général et les Balkans occidentaux en particulier n'auraient rien à gagner à un tel recul.

Nous n'avons pas jugé qu'une nouvelle résolution du Sénat serait utile, après celle qui été adoptée le 16 octobre et qui a été saluée par nos interlocuteurs serbes.

Pour conclure, je dirais que l'Union doit s'attacher d'abord à encourager les progrès. Quand des efforts manquent, il faut le dire ; mais quand les efforts sont là, il ne faut pas formuler des exigences prématurées.

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