Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 2 novembre 2011 : 1ère réunion
Economie finances et fiscalité — Réunion conjointe avec la commission des affaires européennes de l'assemblée nationale et les membres français du parlement européen sur la gouvernance économique européenne et la régulation financière

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Mme Bourzai. Elle a cependant préparé une communication dont je vais vous donner lecture, non sans avoir souligné au préalable que, comme M. Lamassoure, je considère qu'un retour d'expérience est nécessaire, afin de mettre en perspective la « politique des petits pas » pratiquée par l'Union, qu'il s'agisse de la crise des dettes souveraines ou de la gouvernance économique.

Lors de la dernière réunion de ce type, il avait été question du « paquet gouvernance » que le Parlement européen examinait alors et qui a été, depuis, adopté largement grâce à lui. A partir de 2013, le pacte de stabilité et de croissance sera vraisemblablement durci et les sanctions prendront un caractère plus automatique en cas de déficit excessif. Si cela ne constitue pas nécessairement un progrès sur le plan social, le renforcement de la surveillance des déséquilibres macro-économiques à l'aide d'indicateurs économiques et sociaux me paraît en revanche constituer un point tout à fait positif. Il en est de même d'une coordination plus forte des politiques budgétaires dans le cadre du « semestre européen » à condition, naturellement, qu'elle permette de mener une action équilibrée, ne visant pas seulement à assainir les finances publiques mais aussi à rétablir la croissance économique dans la zone euro et au sein de l'Union européenne.

Il faut le reconnaître, l'adoption de ce « paquet gouvernance » n'a pas atténué la défiance à l'égard de certains pays membres de l'Union. Au contraire, le 26 octobre, il a fallu adopter le troisième plan d'aide à la Grèce, après ceux des mois de mai 2010 et juillet 2011. Sera-t-il le bon ? Les récents événements et la décision du Premier ministre grec d'organiser un référendum nous amènent à nous poser la question encore plus sérieusement. Une fois de plus, l'Europe a donné l'impression de ne parvenir à prendre des décisions que lorsqu'elle y est contrainte. N'aurait-il pas fallu, dès le départ, adopter un plan plus ambitieux et plus crédible, plutôt que de prendre des mesures à chaque fois un peu plus fortes parce que les précédentes n'ont pas suffi ?

Le 21 juillet dernier, on nous avait annoncé que les conclusions du Conseil répondaient durablement à la crise des dettes souveraines. Or le répit a été de courte durée. La récession grecque s'est aggravée - on évoque un recul du PIB de 5,5 % en 2011 - et les marchés de titres de dettes souveraines se sont dégradés. L'Italie est sous pression et le triple A de la France sous la surveillance des agences de notation. En outre, les prévisions de croissance de notre pays et de l'Allemagne ont été ramenées à 1 % pour 2012. Le sommet de la semaine dernière permettra-t-il d'inverser la tendance ? On aimerait le croire mais les incertitudes restent nombreuses. Le renoncement des banques à 50 % de leurs créances sur la dette publique grecque apporte un peu d'oxygène aux Grecs, soumis à une cure d'austérité brutale et sans précédent, mais cette décote offre au pays la seule possibilité de revenir dans un délai de neuf ans à un niveau de dette publique égal à... 120 % du PIB. Peut-on dire, dans ces conditions, que la dette grecque sera devenue « soutenable » ? D'autre part, pour amortir le choc de cette décote sur les banques européennes, leur recapitalisation a été décidée, ce qui confirme que les récents stress tests n'avaient pas mis au jour toutes leurs fragilités, comme nous l'avons d'ailleurs constaté dernièrement avec Dexia.

La capacité financière du Fonds européen de stabilité financière (FESF) a été étendue dans l'espoir d'éviter que la restructuration de la dette grecque ne provoque un effet domino. Mais jusqu'où sa force de frappe ira-t-elle, et peut-elle aller ? Tout cela n'est pas très clair. On a parlé de 1 000 milliards d'euros mais en termes assez ambigus, au risque d'inciter les marchés financiers à venir tester la valeur de ce nouveau plafond d'engagement. Il est vrai que le FESF est complété par un nouvel instrument ad hoc pouvant accueillir la contribution de non-Européens. La Chine, qui dispose des réserves de changes et de l'excédent commercial que l'on sait, serait la première sollicitée - il est également question de la Russie. Mais faut-il se féliciter de voir l'avenir financier de l'Union européenne entre les mains de la Chine, laquelle disposera ainsi d'un instrument de pression très fort sur l'ensemble des politiques de l'Union ? Surtout, on ne voit toujours pas dans ce nouveau plan ce qui aiderait l'Europe à renouer durablement avec la croissance et avec la création d'emplois.

L'heure est à la rigueur, chaque Etat européen s'engageant dans des plans de réduction des dépenses de plus en plus drastiques, accompagnés de réformes structurelles que la Commission juge indispensables. Quand l'Italie présente au Conseil une lettre traçant les grandes lignes de son plan de croissance, qu'y trouve-t-on ? Recul de l'âge de départ à la retraite, assouplissement des règles de licenciement économique, privatisations. Est-ce l'unique chemin de la croissance que l'Union européenne peut emprunter ? Nous devons certes faire converger nos économies, mais, également, nos fiscalités et nos modèles sociaux. Pour cela, il est indispensable de renforcer la gouvernance économique, bien au-delà des préconisations du « paquet gouvernance ». Or, le Conseil européen du 26 octobre n'a pas réussi à dégager une ligne très claire sur ce point décisif.

S'agissant des modalités d'un véritable renforcement de l'union économique, les décisions sont malheureusement reportées. La manière dont doivent s'articuler la gouvernance de l'Union - à 27 - et celle de la zone euro demeure floue.

Les décisions qui ont été prises le 26 octobre intègrent-elles tous les éléments d'une voie durable de sortie de crise ? L'Europe a réussi à faire face à l'urgence mais il me semble que nous devons attendre davantage de l'Union.

Mme Sylvie Goulard, députée européenne. - Ayant été l'un des rapporteurs du « paquet gouvernance économique », je considère que celui-ci n'avait pas l'ambition que d'aucuns lui ont prêtée après-coup. Lancé par la Commission au mois de septembre 2010, ce travail a été assez rapidement rattrapé par l'actualité - je vous remercie, en tout cas, d'avoir souligné que le Parlement européen avait essayé d'en améliorer le résultat. Ce « paquet » avait au moins la vertu de rassurer les pays du nord de l'Europe quant à notre volonté commune de continuer à respecter les engagements pris lors de la création de l'euro. Le volet macro-économique, notamment, a permis à l'Union de se doter de nouveaux critères - endettement privé, coût unitaire du travail, etc. - en sus des niveaux de dette et de déficits publics. Au bout du compte, ce « paquet » sera ce que nous en ferons.

Pour tenir compte de la demande d'une plus grande automaticité des sanctions, le Parlement européen s'est battu en oeuvrant à la codification du « semestre européen » afin de bien montrer que nous tenons à travailler avec les parlements nationaux mais, aussi, en créant le « dialogue économique » : lorsque la Commission formule une recommandation qu'un État membre ou que le Conseil ne suivent pas, le ministre du pays concerné ou les représentants d'instances européennes comme M. Van Rompuy ou tel ou tel commissaire peuvent venir s'expliquer - ce sera d'ailleurs le cas la semaine prochaine avec notamment MM. Baroin, Schäuble, Tremonti, Rehn et Van Rompuy, qui se retrouveront pour la première fois devant la commission ECON.

Je suis d'accord avec M. Lamassoure : la légitimation des décisions constitue la question clé. Ayant oeuvré pendant vingt ans au renforcement des relations franco-allemandes, je souhaite appeler votre attention sur le danger qui nous guette : les autres pays d'Europe - je vous renvoie, par exemple, aux blogs italiens - nous attaquent violemment alors que la France et l'Allemagne ne font que prendre leurs responsabilités. La volonté du Premier ministre grec d'organiser un référendum atteste également que quelque chose ne va pas dans la façon dont nous avons géré la crise. Je ne prétends certes pas avoir la solution à ce problème, mais prenons garde : en France, nous ne nous rendons pas compte de l'ampleur du ressentiment qui se fait jour, de la Finlande à la Grèce et de l'Irlande à l'Italie. La France et l'Allemagne doivent certes jouer leur rôle, mais en évitant de donner le sentiment de diktats. A cette fin, un meilleur usage des institutions peut servir de tampon, par exemple en impliquant plus encore la Commission comme interlocuteur neutre, ou en organisant des débats au sein du Parlement européen, où majorité et opposition de chaque pays sont représentées - ce qui n'est pas le cas au Conseil européen où, outre qu'on y travaille à portes closes, s'expriment les seules majorités gouvernementales.

Nos dirigeants, et c'est positif, sont allés très loin pour défendre l'euro mais il n'en reste pas moins que l'on finit toujours par se heurter à des limites et que les marchés ne reçoivent plus les messages envoyés. Je suis en contact avec des investisseurs internationaux. Or, lorsque 150 d'entre eux demandent quelle est la situation de l'Europe et qu'ils font de moins en moins de différence entre les États membres, je suis inquiète car, à terme, ils pourraient retirer toutes « leurs billes » de ce continent en considérant qu'il n'est plus très sûr et que le fonctionnement de ses institutions n'est pas très compréhensible - essayez donc de l'expliquer à un investisseur chinois, brésilien ou américain ! Il ne s'agit certes pas de se faire peur à l'excès, mais ce qui est valable pour les marchés l'est également pour les grands groupes internationaux, dont certains hésitent déjà à investir en Europe.

Je suis convaincue que l'avenir de la gouvernance européenne passe par un travail beaucoup plus resserré entre les parlements. Il a fallu des semaines pour appliquer des décisions prises le 21 juillet ; or, les parlements nationaux et le Parlement européen auraient très bien pu se réunir en même temps, dans le respect des règles nationales bien sûr : cela aurait permis de manifester notre intérêt commun plutôt que nos désunions.

A moyen terme, il faudra changer les traités mais, en attendant, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, de manière pragmatique et avec les institutions dont nous disposons, pour montrer au monde entier et à nos concitoyens que l'Europe fonctionne. Plus nous émettrons des signaux rassurants dans le cadre existant et meilleurs seront nos résultats, quels que soient nos problèmes de croissance. Plus vite aussi nous franchirons les étapes nécessaires à la ratification de nouveaux traités. Si, en revanche, nous demeurons dans une spirale extrêmement négative, nous serons en danger. Mme Merkel a eu l'occasion de le dire lors du départ de M. Trichet : un changement de traités s'impose. La France, de ce point de vue-là, a un rôle à jouer - non en se montrant complaisante à l'endroit de l'Allemagne mais en essayant de faire comprendre à son peuple ce que peut être le traumatisme d'un pays où le résultat d'un référendum a été négatif.

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