Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 janvier 2017 à 9h00
Institutions européennes — Suivi des résolutions européennes : Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état aux affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'État :

Pour l'instant, ils ne peuvent opérer que dans les eaux internationales. La formation des garde-côtes libyens doit remédier à cette lacune. Pour que nos navires puissent intervenir, il faudrait un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, ou bien un accord avec le Gouvernement libyen. Mais nous n'avons pas, pour l'instant, d'interlocuteur régalien suffisamment stable ou reconnu. Un processus politique soutenu par la France et les Nations unies, qui comporte un accord avec le général Haftar, devrait cependant aboutir à ce qu'un Gouvernement d'union nationale contrôle mieux le pays.

Il nous faut aussi agir sur les causes profondes des migrations. Notre conviction est qu'une politique de développement et de partenariat avec les pays d'origine est nécessaire pour réduire durablement les migrations vers l'Europe. Un travail a ainsi été engagé pour la mise en oeuvre de cadres de partenariats avec cinq pays d'Afrique. La Haute Représentante a rendu compte lors du dernier Conseil européen des avancées, notamment avec le Mali et le Niger, qui sont des points de passage essentiels vers la Libye.

L'Europe doit investir massivement dans le développement de l'Afrique. Il faut que le plan d'investissement extérieur y finance des projets innovants de développement, sur le modèle du plan Juncker et en lien avec les accords sur les migrations. Bien évidemment, et je sais qu'il s'agit d'une préoccupation du Sénat, la France sera vigilante sur les modalités de mise en oeuvre et d'évaluation des résultats de ce plan ainsi que sur sa bonne articulation avec les autres programmes extérieurs européens.

Dans la résolution n°46, portée par Jean-Paul Emorine et Didier Marie, vous avez salué les efforts déployés en 2015 pour la mise en oeuvre du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). Vous avez également insisté sur le renforcement des relations entre la BEI et les banques nationales de développement, comme BPI France, ainsi que sur le rôle des plateformes d'investissement. Vous avez aussi rappelé la nécessité d'un environnement plus favorable aux investissements grâce à un allègement et à une harmonisation des réglementations européennes et nationales ainsi qu'à l'approfondissement de l'union des marchés de capitaux. Nous partageons ces objectifs.

La France a oeuvré pour que l'investissement soit remis au coeur de l'agenda européen. Ce n'était pas le cas avant 2012, car la priorité était alors d'assainir les comptes publics. Nous avons souhaité rééquilibrer l'agenda européen car nous considérions qu'il devait reposer sur trois piliers : assainissement des comptes, réformes structurelles et soutien à l'investissement. En effet, c'est en stimulant l'investissement que nous pourrons consolider la croissance et favoriser la création d'emplois. Et, en la matière, l'Europe n'a pas rattrapé le retard qu'elle a pris depuis la crise de 2008. Nous avons obtenu le prolongement et le quasi-doublement du plan Juncker. Ce plan a financé des secteurs porteurs de croissance comme le numérique, la transition énergétique, les transports, la recherche et l'innovation. Nous allons porter l'objectif de 315 milliards à 500 milliards d'euros, sur une durée qui dépassera les trois ans initialement prévus.

Au 16 décembre 2016, 422 projets avaient été approuvés dans 27 États membres pour un financement par le FEIS de 30,6 milliards d'euros, générant un investissement total de 164 milliards d'euros. La France est le deuxième bénéficiaire du plan Juncker après l'Italie avec, fin décembre 2016, 50 projets approuvés depuis son lancement pour un montant de garantie mobilisé de 4,1 milliards d'euros, conduisant à un montant total d'investissement de 21,3 milliards d'euros. Vous connaissez beaucoup de ces projets. Nous sommes nombreux, par exemple, à avoir visité les installations des Maîtres laitiers du Cotentin - qui exportent jusqu'en Chine ! Nous poursuivons nos efforts pour donner plus d'ampleur au plan Juncker et parvenir de ce fait à un environnement plus favorable à l'investissement, aussi bien au niveau national qu'européen, avec les projets de marché unique des capitaux, du numérique et de l'énergie.

Le détachement des travailleurs a fait l'objet de la résolution n° 169 présentée par Eric Bocquet. Vous y avez salué la volonté de la Commission de réviser la directive initiale de 1996 relative au détachement des travailleurs, tout en regrettant que les modifications soient insuffisantes pour assurer l'égalité de traitement des salariés pour un même travail au même endroit.

Comme vous, nous nous félicitons que la Commission européenne ait utilisé son droit d'initiative pour proposer une révision de cette directive. C'était une demande forte de notre part car ce texte datant de 1996 n'est plus adapté à l'Europe élargie que nous connaissons. Nous partageons les objectifs de cette révision, qui reprennent ceux défendus par le Sénat : la lutte contre les abus et fraudes à la législation actuelle, notamment par la lutte contre les entreprises boîtes aux lettres et la promotion du principe d'un salaire égal pour un travail égal sur un même lieu de travail.

Cependant, nous partageons votre conviction que cette révision n'est, pour le moment, pas assez ambitieuse. C'est pourquoi nous avons proposé une série d'amendements, qui reprennent les préconisations de la résolution sénatoriale, et proposent notamment une ancienneté de trois mois avant tout détachement, une activité minimale de 25 % dans le pays d'origine des entreprises, pour lutter contre les entreprises boîtes-aux-lettres, l'interdiction du double détachement, la limitation de la durée du détachement, la prise en charge par l'employeur des indemnités compensant les frais de mission et le renforcement de la coordination entre les inspections du travail et en matière de lutte contre les fraudes et les abus. Notre vigilance s'exerce particulièrement dans le domaine des transports, dans lequel les abus sont très nombreux. Il est par ailleurs essentiel que les règles de rémunération s'appliquent à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance pour éviter les contournements actuellement trop nombreux.

Cette révision se heurte à une opposition d'un certain nombre d'États membres qui refusent de voir modifier les conditions du détachement. Les Parlements de onze États membres ont introduit une procédure de « carton jaune » au titre de la subsidiarité. Mais je veux vous assurer de l'absolue détermination du Gouvernement et de notre mobilisation dans la négociation. Il en va, de notre point de vue, de la conception même que nous nous faisons de la construction européenne. Nous récusons avec la plus grande fermeté toute forme de dumping social au sein de l'Union, à l'heure où la Commission européenne a engagé une large consultation sur le projet de socle européen du droit social.

Ces quatre dossiers majeurs permettent de mesurer la convergence entre vos résolutions, les positions que nous avons portées et défendues à l'échelle européenne et les avancées essentielles de la construction européenne. L'Europe est à un moment décisif de son histoire : face aux crises qui se multiplient, dans un contexte d'incertitudes à l'échelle internationale, elle doit prendre son destin en main et défendre elle-même ses valeurs, ses intérêts, ses citoyens. C'est cette dynamique de relance, initiée par la feuille de route élaborée à Bratislava, qui doit se traduire à Rome à la fin du mois de mars. Elle repose sur quelques États membres qui doivent être les moteurs d'une Europe forte arrimée à ses convictions, à sa volonté. La France et l'Allemagne ont un rôle singulier à jouer. La dynamique de nos deux pays, ouverte à nos partenaires, est cruciale. Et votre travail, mesdames et messieurs les sénateurs, contribue à doter la France d'une politique forte et volontariste sur les sujets européens, à même d'insuffler une dynamique capable de combattre les forces centrifuges qui minent la cohésion et l'unité du projet européen. Il contribue également au dialogue, indispensable, entre les Parlements.

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