Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 janvier 2017 à 9h00
Institutions européennes — Suivi des résolutions européennes : Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état aux affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'État :

Son exercice suppose un mandat du Conseil de sécurité, donc un accord de ses membres permanents. Or, après l'intervention de 2011, la Russie, suivie par la Chine, se montre réticente. De fait, une action dans les eaux territoriales libyennes impliquerait sans doute une intervention terrestre. Nous cherchons pour l'heure à pousser les autorités libyennes à assumer leurs responsabilités. La tâche est compliquée par le fait que le Gouvernement d'union nationale de M. Sarraj ne contrôle pas la totalité du territoire. Certaines portions de la côte et certaines villes ont été occupées par l'État islamique, Syrte a été reprise aux terroristes, qui se sont sans doute repliés ailleurs... Nous devons donc aider la Libye à se doter d'un Gouvernement stable au pouvoir effectif. La formation des garde-côtes est une première étape.

L'accord du 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie a fait passer le flux quotidien d'arrivées en Grèce de 1 500 ou 2 000 à 80 ou 100 personnes. Il est vrai que la route des Balkans a été fermée au même moment, et qu'un cadre juridique a été mis en place pour que les arrivants soient renvoyés en Turquie. Et la Turquie a manifestement renforcé le contrôle de ses côtes : pour que près de 2 000 personnes partent chaque jour de quelques points bien précis, il fallait que règne un certain laisser-faire...

Après le coup d'État du mois de juillet, nous avons constaté une recrudescence des passages, parfois 200 personnes par jour, ce qui reste inférieur aux chiffres antérieurs à l'accord UE-Turquie, mais n'est pas sans poser problème. Les îles grecques, qui sont déjà en difficulté pour traiter les arrivées d'avant mars - s'il s'agit de réfugiés syriens, ils doivent être relocalisés ailleurs en Europe -, se trouvent de nouveau confrontées à un problème d'engorgement.

Il faut donc mettre en oeuvre l'accord UE-Turquie, qui consiste notamment à aider la Turquie par un fonds de 3 milliards d'euros destiné à l'accueil des réfugiés sur son sol - ce fonds peut d'ailleurs être abondé de nouveau. La discussion sur les visas est plus compliquée, parce qu'elle relève de critères qui dépassent le simple cadre de l'accord. En la matière, aujourd'hui, les conditions ne sont pas remplies, mais le dialogue doit continuer.

S'agissant de l'Égypte, l'ampleur des départs de migrants vers les côtes européennes n'y est pas du tout comparable, ce qui témoigne d'un engagement réel à empêcher un tel mouvement de se développer. Quelques cas ont néanmoins été recensés, par exemple celui d'un bateau échoué à Chypre. Nous entretenons un dialogue avec l'Égypte ; je me suis moi-même rendu au Caire à la fin de l'année dernière, dans le cadre d'une réunion entre l'Union européenne et la Ligue arabe. Les autorités égyptiennes sont tout à fait conscientes qu'elles ne doivent pas laisser se créer un trafic comparable à celui que connaît la Libye, mais l'Égypte a un État et un gouvernement qui agissent avec détermination ! Les immigrants qui viennent du sud de l'Égypte, du Soudan ou d'Afrique de l'Est, passent d'ailleurs, aujourd'hui, par la Libye.

Un débat est en cours sur les pactes migratoires, qui concernent aujourd'hui le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal et l'Éthiopie. Faut-il conclure un tel pacte avec l'Égypte, pays de plus de 90 millions d'habitants ? Nous devons d'abord nous assurer que l'Europe pourra suivre !

Par ailleurs, il existe une politique de coopération bilatérale avec l'Égypte, dont l'objectif est de soutenir le développement de l'économie égyptienne. L'Égypte a connu une instabilité politique et des problèmes de sécurité qui ont notamment affecté le secteur du tourisme, traditionnellement très pourvoyeur d'emplois. Mais la situation s'améliore progressivement : les investissements industriels repartent à la hausse, des champs gaziers sont en cours d'exploration. Le rôle de l'Égypte est crucial pour la stabilité de la région, y compris celle de la Libye, par laquelle passent la majorité des migrations venues d'Afrique.

Monsieur le président Bizet, le débat sur la définition des combattants étrangers a lieu dans le cadre de la directive relative à la lutte contre le terrorisme. Il s'agit d'incriminer les voyages en lien avec des activités terroristes. Les personnes visées sont celles qui se rendent sur les lieux de conflit, sont enrôlées dans les rangs de l'État islamique ou d'autres groupes terroristes et reviennent ensuite en Europe pour agir à des fins criminelles.

Nous discutons avec nos partenaires pour élaborer une définition commune. Les points de vue sont pour le moment un peu divergents ; nous souhaitons inclure les activités de recrutement, l'incitation publique et l'apologie du terrorisme, c'est-à-dire établir des critères larges, tout en veillant au respect de toutes les garanties de droit - nous sommes un État de droit, et tout doit se faire sous le contrôle des juges. Le terrorisme est intrinsèquement difficile à définir. Il existe un accord international et des plans d'action de lutte contre le terrorisme, mais jamais l'ONU, par exemple, n'a donné de définition du terrorisme. Qui entre dans cette catégorie ?

En Europe, nous disposons, via les listes d'organisations terroristes, de définitions harmonisées. L'inscription d'une organisation sur une de ces listes entraîne un certain nombre de conséquences : nous n'entretenons aucune relation avec elle, nous participons à la combattre, nous saisissons ses avoirs, nous pourchassons ses membres identifiés. Mais définir le terrorisme, en droit, est extrêmement compliqué. Le Parlement français a eu à travailler sur ces sujets à plusieurs reprises ; il est a fortiori difficile de mener un tel travail à 28, mais nous sommes déterminés et confiants sur notre capacité à y parvenir.

Pour ce qui concerne le FEIS, le Fonds européen pour les investissements stratégiques, le débat sur « l'additionnalité » est inévitable. Les projets financés dans le cadre du plan Juncker n'auraient-ils pas pu l'être par ailleurs, via des prêts de la Banque européenne d'investissement ou d'autres institutions ? Sans le plan Juncker, sans cette garantie sur le budget de l'Union et sans les 5 milliards d'euros de garanties supplémentaires prélevés sur son propre capital, la BEI - elle le dit elle-même - aurait été incapable de financer l'ensemble de ces projets.

Au total, il est incontestable que ce plan a accru le volume et amélioré la qualité des projets d'investissement financés. En particulier, critère essentiel de choix, il s'agit de projets pour lesquels le risque est tel que d'autres banques que la BEI, ou la BEI elle-même hors plan Juncker, n'accorderaient pas le prêt, ou en tout cas pas dans les mêmes conditions.

Les choix de projets, en France, sont très pertinents. En Allemagne, les premiers projets soutenus ont été des projets autoroutiers. Ce choix était sans doute tout à fait justifié du point de vue du retard de financement des grandes infrastructures allemandes de transport, mais il n'a pas aidé à la compréhension du plan par l'opinion publique et les parlementaires.

En France, les domaines privilégiés ont plutôt été ceux qui relèvent de la transition énergétique, isolation thermique des logements, énergies renouvelables, éco-mobilité, ainsi que de l'industrie. Le plan Juncker, en France, représente davantage qu'un simple rattrapage de retards d'investissements : de l'innovation, de la projection vers l'avenir. Le deuxième plan Juncker est en cours d'examen par le Parlement européen ; ce dernier doit accepter que de nouvelles garanties soient prises sur le budget de l'Union, ce qui est très compliqué - personne ne veut toucher à certains budgets, comme celui du programme Horizon 2020.

Sur le détachement, vous l'avez constaté en Pologne, mais aussi avec la Hongrie et avec beaucoup de pays d'Europe centrale et orientale, la discussion reste difficile. Je me rends moi-même en Roumanie la semaine prochaine ; le Président de la République avait mis ce problème au coeur de ses entretiens lorsqu'il s'est lui-même déplacé dans plusieurs pays d'Europe centrale. Nos partenaires comprennent qu'il s'agit d'une priorité absolue dans plusieurs États membres, en France, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas. Le principe, celui de la directive de 1996, est que le détachement doit se faire aux conditions du pays où le travail est accompli ; son détournement, c'est-à-dire l'application de la législation du pays d'origine via des boîtes aux lettres ou des sociétés d'intérim, est inacceptable.

Nos partenaires, donc, acceptent le principe. Mais ils sont tentés d'en excepter certains secteurs, notamment celui des transports. Or si le cabotage donne lieu à des conditions de rémunération et de contrôle différentes de celles qui s'appliquent aux transporteurs routiers français, des milliers d'emplois, en France, seront inévitablement mis à mal. Des règles doivent donc être édictées pour distinguer le transport international du cabotage. Il arrive souvent que les camions, à l'aller et au retour, ne s'arrêtent pas exactement aux mêmes endroits, ce qui obscurcit cette distinction. Nos propositions font actuellement l'objet de discussions, mais, sur ce dossier, nous ne cèderons pas. Les citoyens et les petits entrepreneurs ne peuvent accepter la concurrence déloyale.

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