La procédure pour déséquilibres macro-économiques concerne actuellement vingt pays de l'Union, sachant que la Grèce et Chypre font l'objet d'un suivi particulier. Les rapports par pays font un point sur les recommandations que le Conseil européen avait adressées à chacun d'entre eux le 14 juillet 2015.
Les prévisions économiques apparaissent sombres. La croissance prévue pour 2016 pour la zone euro a été ramenée à 1,6 % du PIB. La Commission identifie plusieurs menaces : le ralentissement de la croissance chinoise et des échanges internationaux ou les incertitudes géopolitiques. Si le déficit public cumulé des administrations publiques devrait continuer à baisser, la Commission s'inquiète de la situation budgétaire de plusieurs pays comme l'Espagne, l'Italie ou le Portugal alors que six pays, dont la France, présentent un risque de soutenabilité en matière de dette publique.
Abordons maintenant la situation de quelques grands pays.
L'Allemagne suscite des réserves en raison de ses excédents commerciaux, insuffisamment réinvestis. Ce qui limite sa croissance potentielle. Le pays a appliqué de façon limitée la recommandation de juillet 2015.
La Commission relève que les réformes que l'Italie a mises en oeuvre répondent à ses recommandations. Reste des doutes sur la vulnérabilité du secteur bancaire et surtout l'inefficacité des services sociaux à endiguer une pauvreté croissante. Une telle appréciation devrait conforter la position de Matteo Renzi, qui appelle à plus de flexibilité dans l'application du pacte de stabilité et de croissance.
Le rapport sur le Royaume-Uni souligne le haut niveau des prix et de l'endettement des ménages, même si la robustesse de l'économie locale devrait permettre d'affronter une nouvelle crise.
Enfin, si la Commission relève des progrès en Espagne, elle insiste sur l'importance de l'endettement privé, l'insuffisance des investissements en matière de recherche et développement et l'aggravation de la pauvreté.
Le rapport sur la France est très dense. Ce document de 115 pages traduit une certaine inquiétude à l'égard de notre situation économique, inquiétude accrue en raison des risques d'effets d'entraînement sur l'ensemble de la zone euro. Sa présentation avait été précédée par la publication en décembre dernier, d'un rapport d'étape sur les progrès accomplis depuis le vote de la recommandation. Ses conclusions préfigurent celles du rapport par pays. La Commission émettait plusieurs réserves sur la portée des réformes structurelles adoptées par le Gouvernement et l'absence d'avancée dans d'autres domaines. Elle jugeait que si les réformes annoncées allaient dans la bonne direction, la stratégie du Gouvernement relevait du « coup par coup » ; l'ensemble donnait l'impression d'un processus de réforme constant mais aux résultats limités. Huit réformes recommandées en juillet 2015 n'ont, en outre, pas été lancées.
Selon la Commission européenne, la croissance devrait rester modérée en France et inférieure à la moyenne de la zone euro. La reprise de l'investissement n'est prévue qu'en 2017, les mesures adoptées par le Gouvernement pour réduire le coût du travail et stimuler la compétitivité ne renforçant pas immédiatement la confiance des entreprises. Les contraintes réglementaires et la fiscalité des entreprises apparaissent comme autant d'obstacles à l'investissement.
La compétitivité du pays reste, en outre, une source d'inquiétude. La contribution nette des exportations au PIB devrait rester négative jusqu'en 2017. L'augmentation des exportations depuis la fin 2014 procède, non d'une dynamique structurelle, mais de l'effet de la dépréciation de l'euro qui profite à deux secteurs, l'énergie et les transports.
La croissance potentielle de la France a reculé depuis le début de la crise, en dépit d'un fort dynamisme démographique. Elle reste tributaire de la qualification de la main-d'oeuvre et de la capacité d'innovation de l'économie française, jugée moins forte que celle de ses concurrents. La croissance est également conditionnée à l'effet des charges réglementaires et fiscales qui pèsent sur les entreprises françaises. La Commission insiste notamment sur les effets de seuil. La progression des salaires a été supérieure à celle de la compétitivité en 2015.
Le mécanisme de formation des salaires, celui d'indexation du salaire minimum et la limitation du temps de travail pèsent en effet sur le coût de la main d'oeuvre. Celui-ci s'élève à 35,20 euros par heure contre 29,20 en moyenne au sein de l'Union européenne. Seuls la Belgique, le Danemark, le Luxembourg et la Suède présentent des coûts supérieurs. Cette situation s'explique par les charges fiscales : 30 % du coût horaire total contre 24 % en moyenne au sein de l'Union européenne. De là le souhait de la Commission européenne d'une réforme du marché du travail pour contenir durablement le coût du travail.
Les perspectives en matière d'emploi sont également peu favorables, le rapport jugeant que le taux de chômage ne saurait diminuer à court terme. Les mesures déjà adoptées pour réduire le coût du travail ne devraient avoir qu'un impact limité sur l'emploi jusqu'en 2017. La structure du marché du travail apparaît segmentée alors que les inégalités en matière d'éducation tendent à se creuser. La Commission européenne relève ainsi que les inégalités en la matière liées au contexte socio-économique sont parmi les plus élevées de l'OCDE. L'accès à la formation est limité tant pour les demandeurs d'emploi que pour les travailleurs peu qualifiés.
La Commission relève un certain nombre d'avancées, comme la réforme des régimes de retraite complémentaire ou l'allègement en cours du coût du travail. Pourtant, ces avancées pourraient n'avoir qu'un effet ponctuel, faute de réformes d'envergure. La charge fiscale globale continue d'augmenter et sa composition n'est pas propice à la croissance économique. La Commission juge le système fiscal très complexe. Le taux moyen d'imposition effectif des entreprises, 38,3 % en 2015, demeure le plus élevé de l'Union européenne. Le rapport s'inquiète enfin d'un niveau d'endettement privé qui ne cesse de croître pour atteindre 143,2 % du PIB à rebours de la tendance observée en faveur d'un désendettement massif.
La Commission émet aussi des doutes sur la stratégie budgétaire française. Selon elle, le déficit public devrait atteindre 3,4 % du PIB à la fin du présent exercice, puis 3,2 % en 2017. Le Gouvernement prévoit, lui, un déficit inférieur à 3 % en 2017. La Commission estime que la France a été, en tout état de cause, plus lente dans la réduction de son déficit que le reste de la zone euro. La France enregistre le deuxième ratio de dépense des administrations publiques, juste derrière la Finlande : respectivement 57,5 % et 58,3 %. C'est largement supérieur à la moyenne de la zone euro : 49,4 % du PIB. Dans ces conditions, l'endettement public pourrait atteindre 101 % à l'horizon 2026, alors qu'il recule au sein de la zone euro.
Chacun peut avoir son appréciation sur ce rapport. Il s'intègre en tout cas dans un processus bien précis : il a nourri la décision de la Commission européenne du 8 mars dernier sur la procédure pour déséquilibre macro-économique. La France, avec l'Italie, le Portugal, la Bulgarie et la Croatie, a été placée, comme l'an dernier, dans l'avant-dernière catégorie, celle des déséquilibres excessifs - qui n'impliquent pas des mesures correctives mais un suivi particulier. La Croatie et le Portugal pourraient néanmoins basculer dans la dernière catégorie en mai. Sept autres pays, dont l'Allemagne et l'Espagne, présentent quant à eux des déséquilibres et feront aussi l'objet d'un suivi, moins poussé. Six pays, dont la Belgique ou le Royaume-Uni, ne présentent plus pour l'heure de déséquilibre. Au final, seuls douze pays, contre dix-huit l'an passé, sont désormais concernés par cette procédure, auxquels il faut ajouter Chypre et la Grèce.
Le rapport par pays et l'avis de la Commission serviront également de base de travail aux échanges avec le Gouvernement, qui transmettra en avril son programme national de réformes et son programme de stabilité.