Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 février 2015 à 15h35
Institutions européennes — Programme de travail de la commission européenne - proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean bizet et simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Nous sommes, de fait, dans le bon timing. Le prochain Conseil s'attachera à la question du terrorisme. Nous abordons cet après-midi, avec le PNR européen et le système Schengen, des questions qui y touchent de près. Nous aurons beaucoup à dire pour exprimer notre volonté, que j'espère commune.

J'en viens au programme de travail de la Commission européenne pour 2015, présenté le 16 décembre 2014 devant le Parlement européen et dont communication a également été transmise au Conseil.

Ce programme a été élaboré en concertation avec le Parlement européen dans le cadre de l'accord-cadre d'octobre 2010. La Conférence des présidents du Parlement européen a ainsi été associée à la préparation de ce texte. Faute d'accord interinstitutionnel, la consultation du Conseil a été plus tardive et moins soutenue. Ce programme de travail correspond néanmoins dans une large mesure aux cinq grands axes de travail définis en juin 2014 par le Conseil, qui conserve, en dépit de l'élection du président de la Commission européenne par le Parlement européen, une capacité d'impulsion indéniable. Il convient cependant de relever que les orientations du Parlement européen contenues dans un document mettant en avant le coût de l'absence d'action de l'Union européenne dans un certain nombre de domaines semblent également avoir nourri ce programme de travail.

Vingt-trois textes devraient être présentés en 2015. Ce chiffre est à comparer aux soixante initiatives qui étaient envisagées dans le programme de travail 2013, dernière année pleine du mandat de la précédente Commission. Ce faisant, le texte répond à la volonté affichée du nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, de ne légiférer que si nécessaire et quand des résultats concrets et importants peuvent être obtenus. Cette intention louable était déjà au coeur de l'action de la Commission Santer entre 1995 et 1999. Il conviendra d'être vigilant au maintien dans la durée d'un tel objectif.

Ce resserrement de l'action va de pair avec une réorganisation du fonctionnement de la Commission, beaucoup plus politique et hiérarchisée qu'elle ne l'était auparavant. La présence de vice-présidents qui devraient être dotés dans les prochaines semaines de directions générales dédiées et la mise en avant d'un numéro deux, en la personne de Franz Timmermans, que nous rencontrerons le 17 février, bouleverse notamment les rapports avec l'administration en mettant en avant une logique de filtres : toute proposition législative est soumise à l'examen du vice-président concerné puis du Premier vice-président et du Président de la Commission. Ajoutons que l'impulsion législative déterminante ne vient plus des équipes des commissaires mais du cabinet de la présidence et de celui du Premier vice-président, qui coordonne l'ensemble des travaux de la Commission.

Parallèlement à la présentation de son programme de travail, la Commission européenne a indiqué son souhait de retirer quatre-vingt propositions législatives sur les 452 actuellement en instance d'examen par les institutions européennes. La Commission européenne met ainsi en avant un principe de « discontinuité législative ». Ce retrait peut préfigurer une modification ou un ajustement à ses dix priorités.

Ces retraits ont cristallisé l'opposition de plusieurs groupes politiques au sein du Parlement européen, prompts à dénoncer un manque de concertation avec la Commission européenne, malgré l'accord interinstitutionnel. Le Parlement européen n'a pu, pour autant, s'accorder, le 15 janvier dernier, sur une résolution commune portant sur l'ensemble du programme de travail. Chaque groupe politique a mis en avant ses orientations propres et aucune synthèse n'a pu être dégagée. En privilégiant leur cohésion interne, les groupes ont pris le risque de fragiliser l'image même du Parlement européen.

La Commission européenne entend néanmoins recueillir un avis du Parlement européen et du Conseil sur ces retraits. Cette précaution n'est pas anodine puisque les conditions d'exercice de ce droit de retrait ont récemment été contestées par le Conseil devant la Cour de justice de l'Union européenne. L'avocat général a rappelé, le 18 décembre dernier, dans ses conclusions que les traités ne prévoyaient pas expressément l'existence d'un pouvoir de retrait d'une proposition législative par la Commission. Il reconnaît néanmoins que la Commission procède régulièrement à des retraits individuels ou groupés à titre de « nettoyage administratif ». Il souligne surtout que le retrait peut être envisagé comme une manifestation ultime du monopole d'initiative législative de la Commission, exprimant ainsi son rôle de gardienne de l'intérêt de l'Union. Il ne s'agit pas, à ses yeux, d'une manoeuvre permettant à la Commission européenne de s'ériger en colégislateur. Il appartient désormais à la Cour de suivre ou non cet avis.

L'année 2015 pourrait, quoi qu'il en soit, être marquée par l'élaboration d'un nouvel accord interinstitutionnel sur la programmation législative.

L'ampleur du nombre de retraits peut surprendre. La pratique habituelle était à retirer trente à quarante textes chaque année. Sur les quatre-vingt textes en passe de l'être, cinquante-huit étaient devenus obsolètes en raison d'un changement de contexte ou de l'adoption d'autres normes. Il n'y a donc pas lieu de s'y attarder. Les vingt-deux autres méritent, en revanche, un examen plus attentif. Les raisons du retrait tiennent tantôt à l'absence d'accord au Conseil ou au Parlement européen, tantôt à l'analyse de la Commission, qui estime que le texte ne paraît plus adapté aux besoins. Ces retraits ont suscité un certain nombre de réserves, notamment en ce qui concerne les textes environnementaux. Une analyse plus détaillée permet néanmoins de tempérer ces critiques dans la majorité des cas.

Ce retrait n'est pas automatique. Dans trois cas, la Commission appelle au préalable à un accord entre les institutions dans un délai de six mois. C'est notamment ce qui est envisagé pour le texte sur le congé de maternité. La proposition prévoit l'extension de la durée minimale du congé de maternité à dix-huit semaines, contre quatorze actuellement. Le Parlement européen souhaite une extension à vingt semaines et la mise en place d'un congé de paternité rémunéré d'au moins deux semaines, ce que refuse le Conseil. Notre commission avait, quant à elle, marqué son désaccord avec le texte initial, en 2008.

Les dix-neuf autres textes devraient, quant à eux, être retirés sans délai. Les propositions modifiant la législation en matière environnementale sont particulièrement concernées, qu'il s'agisse de textes anciens ou plus récents. Les critiques du Parlement européen se sont notamment portées sur la directive « paquet déchets ». Nous l'avions examiné ici en novembre dernier. La proposition de résolution que nous avions adoptée, à l'initiative de nos deux rapporteurs, Michel Delebarre et Claude Kern, était très réservée sur un dispositif que nous jugions très coûteux pour nos collectivités territoriales. Force est de constater que la plupart des textes qui sont retirés avaient fait l'objet de réserves de la part de notre commission. Je pense notamment à la rédaction du texte relatif à la taxation de l'énergie dont nous regrettions l'évolution au gré des négociations.

Il n'y a donc pas lieu de s'opposer au travail de « nettoyage » entrepris par la Commission européenne. Certains observateurs évoquent un droit de véto implicite du Conseil, qui n'aurait ainsi plus qu'à faire traîner les textes sur la table des négociations pour qu'ils soient in fine retirés par la Commission européenne. Mais force est de constater que s'ils devaient être adoptés, ces textes ne seraient plus qu'un compromis éloigné des intentions initiales et ramené au plus petit dénominateur commun. Cette option n'est bien sûr pas satisfaisante. Plus largement, il convient de saluer le travail entrepris par la Commission européenne en faveur de la lutte contre l'inflation normative et l'allègement de la charge réglementaire. Ce qui va dans le sens d'une meilleure application du principe de subsidiarité, auquel nous sommes très attachés. Il s'agit aujourd'hui de moins légiférer et de mieux légiférer. Une telle rationalisation est indispensable si l'on veut que l'action de l'Union européenne soit lisible par les citoyens.

Seul le retrait du texte sur la réciprocité en matière d'accès aux marchés publics des pays tiers suscite nos réserves. A l'heure où l'opinion publique s'interroge sur les négociations autour du Traité transatlantique et où l'Union européenne est accusée de naïveté dans l'élaboration des accords de libre-échange avec ses partenaires, un tel texte pouvait constituer un premier élément de réponse. Il répondait en outre au souhait de la Commission européenne de trouver un accord de libre-échange équilibré avec les États-Unis, comme l'a rappelé son président lors de la présentation du programme de travail. Le retrait de ce texte n'apparaît pas, dans ces conditions, opportun. S'il venait à être confirmé, un nouveau texte devra être rapidement présenté.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion