Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 février 2015 à 15h35
Institutions européennes — Programme de travail de la commission européenne - proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean bizet et simon sutour

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Comme vous l'a indiqué Simon Sutour, vingt-trois propositions devraient être présentées par la Commission en 2015. Seules quatorze d'entre elles disposeront d'un volet législatif, les neuf restantes devant se traduire par des communications ou des stratégies. Toutes répondent aux dix priorités définies par Jean-Claude Juncker le 15 juillet 2014 devant le Parlement européen, au nombre desquelles on peut citer un nouvel élan pour l'emploi, la croissance et l'investissement, un marché unique du numérique connecté - sujet auquel on se souvient qu'ont travaillé, avec Catherine Morin-Desailly, nos collègues André Gattolin et Colette Mélot -, une Union européenne plus résiliente sur le plan de l'énergie, dotée d'une politique visionnaire en matière de changement climatique ou un marché intérieur plus approfondi et plus équitable, doté d'une base industrielle renforcée - question récemment soulevée devant nous par Michel Delebarre.

Si le programme de travail est formellement dédié à la croissance, à l'emploi et à l'investissement, quatre axes de travail peuvent être esquissés à la lecture des initiatives envisagées.

Le premier concerne la réponse de l'Union européenne à la crise économique et aux difficultés budgétaires des États membres. On y trouve le souhait de poursuivre le lancement du plan Juncker, d'assurer le suivi de l'initiative pour l'emploi des jeunes ou d'évaluer le Six Pack et le Two Pack, sans que soient apportées plus de précisions.

Le deuxième axe vise l'amélioration du fonctionnement du marché unique. Il combine initiatives sectorielles et textes plus généraux. La Commission envisage de renforcer la reconnaissance mutuelle des standards et normes au sein du marché unique dans les domaines de l'industrie et des services, en particulier pour les petites et moyennes entreprises et de mettre en place un marché unique du numérique. Un travail spécifique sur des professions réglementées est également envisagé. La Commission européenne souhaite également encadrer la pratique des rescrits fiscaux ou tax rulings, notamment mis en lumière en Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas, via la mise en place d'un échange automatique d'informations entre pays. La Commission propose également une nouvelle révision de la directive sur le détachement des travailleurs, qui nous paraît prématurée. La directive d'exécution qui a été adoptée au printemps dernier est en cours de transposition chez nos partenaires. Il appartient d'en mesurer les effets avant d'envisager une révision.

Le troisième axe de travail concerne les questions environnementales, la Commission européenne souhaitant mettre en place une Union énergétique, définir une position commune en vue de la conférence de Paris à la fin de l'année et revoir la procédure d'autorisation des OGM.

Le dernier volet de l'action de la Commission européenne prévue en 2015 aborde la position de l'Union européenne dans le monde et son fonctionnement. Il s'agit notamment de proposer un nouvel agenda sur la sécurité et une nouvelle méthode de gestion des flux migratoires, deux sujets que nous allons aborder tout à l'heure.

Des feuilles de route devraient détailler les projets de la Commission européenne au cours du mois de février 2015. L'ensemble de ces dispositions est censé, selon le Parlement européen, accroître le PIB de l'Union européenne de 1 705 milliards d'euros par an.

L'examen du programme de travail de la Commission doit être l'occasion de mettre en avant un droit d'initiative des parlements nationaux. Il s'agit de ne pas les cantonner à un rôle d'opposant perpétuel, via le contrôle de subsidiarité et la procédure de « carton jaune ». Il convient de faire émerger un droit d'initiative - une sorte de « carton vert » - qui confère aux parlements nationaux la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne. Des échanges ont lieu en ce sens au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Une proposition de résolution européenne et un avis politique sur le programme annuel de travail de la Commission permettraient de rendre concret ce « carton vert ». L'idée progresse rapidement au sein des Vingt-huit. Elle est pertinente, car elle nous sort de notre rôle de censeurs et nous appelle à nous montrer créatifs en même temps que pragmatiques.

Il ne s'agit pas pour autant de dresser une longue liste de priorités mais bien de s'intégrer au cadre défini par la Commission européenne, à savoir une action concentrée sur un nombre réduit de domaines. Dans ce contexte, deux sujets apparaissent prioritaires : l'énergie et le numérique.

La Commission européenne devrait présenter le 25 février prochain une première communication sur l'Union énergétique. Son action doit être guidée, selon nous, par deux principes : le renforcement de l'interconnexion pour ne pas laisser à la périphérie certains États membres, à l'image des pays baltes, et l'introduction d'un mécanisme de coordination pour atténuer l'impact des choix nationaux sur le bon fonctionnement de cette Union. Il s'agit d'éviter d'être de nouveau confrontés à un phénomène similaire à la stratégie allemande de sortie du nucléaire. Ce mécanisme de coordination doit cependant garantir une certaine autonomie aux États membres dans le choix de leur mix énergétique. Il doit surtout concourir à atteindre des objectifs globaux visant la baisse des coûts, la sécurité de l'approvisionnement, l'efficience énergétique et la lutte contre le changement climatique. Les lignes de force sont donc assez claires.

Sur le sujet du numérique, la Commission européenne devrait proposer une communication en mai prochain, le thème devant être inscrit à l'ordre du jour du Conseil de juin prochain. Aux yeux de vos rapporteurs, deux axes de travail devraient être mis en avant par la Commission européenne : la gouvernance de l'internet et la promotion d'une véritable industrie européenne des nouvelles technologies, sujets sur lesquels nous avons chargé nos collègues André Gattolin et Colette Mélot de nous tenir régulièrement informés.

La participation de l'Union européenne à la gouvernance de l'internet fait figure de priorité en 2015, année au cours de laquelle l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l'organisme qui gère depuis 1988 le système des noms de domaine, devrait être refondé. Comme l'a souligné le rapport de la mission commune d'information du Sénat sur la gouvernance mondiale de l'internet rendu en juin 2014, l'Union européenne doit s'affirmer dans ce processus et défendre un modèle plus démocratique. La Commission européenne a présenté, le 12 février 2014, une communication sur le sujet, qui envisageait l'Internet comme un espace civiquement responsable, unifié, régi par une approche multipartenaire, au service de la démocratie et des droits de l'homme, et dont l'architecture doit être fiable et reposer sur une gouvernance transparente et inclusive. La Commission européenne devrait désormais introduire ces principes dans un texte normatif et le soumettre au vote des colégislateurs.

Le volet industriel ne doit pas non plus être négligé. La Commission européenne doit, dans son action en faveur d'un marché unique du numérique, combiner protection des consommateurs et promotion d'une industrie européenne compétitive. Elle pourrait ainsi reprendre plusieurs propositions contenues dans le rapport présenté ici par Catherine Morin-Desailly, « L'Europe, colonie du monde numérique ». Il faut favoriser l'émergence de nouveaux acteurs européens via la promotion du capital-risque, promouvoir des mesures en faveur de la préservation de la neutralité des terminaux. La Commission européenne doit faciliter le recours à l'achat public pour faire émerger une informatique en marge, un « .cloud » européen. Il n'est pas impossible que l'approche du plan Juncker en fasse un sujet majeur.

La mise en oeuvre d'une véritable stratégie industrielle dans le domaine du numérique va de pair avec une réflexion sur la politique de la concurrence européenne. L'émergence de géants européens dans les nouvelles technologies est aujourd'hui bridée par une vision étroite du droit de la concurrence, focalisée notamment sur la notion de marché pertinent. La Commission européenne se borne à appliquer la notion de marché pertinent au niveau national ou régional pour vérifier si telle entreprise n'enfreint pas les règles de la concurrence. Cette approche contraint ces sociétés à rester enfermées sur des marchés restreints. La Commission européenne doit rouvrir cette question et proposer une nouvelle définition, étant entendu que le marché pertinent est aujourd'hui européen. Il s'agit aussi de mieux évaluer l'impact des aides d'État sur la compétitivité du secteur du numérique européen. Il serait logique d'envisager à cet égard une clause d'alignement dans les accords commerciaux. Elle permettrait d'assurer une concurrence plus loyale entre l'Union européenne et les pays tiers sur les aides d'État au profit de ce secteur, en particulier sur les technologies clefs génériques - microélectronique, nanoélectronique, matériaux avancés, biotechnologie industrielle, photonique, nanotechnologie et systèmes avancés de fabrication - que la Commission européenne a, par le passé, jugées essentielles pour la capacité industrielle et innovatrice de l'Union européenne. À l'aune de quoi le retrait du texte sur la réciprocité en matière d'accès aux marchés publics des pays tiers apparaît contreproductif. Ces sujets - autorité de la concurrence, marché pertinent, numérique - font partie des quatre ou cinq points qu'avec Gérard Larcher nous irons défendre, demain matin, devant Jean-Claude Juncker, dont nous saurons alors quelle est sa réceptivité à leur égard.

Le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), qui s'inscrit dans le fameux Plan Juncker, doit pouvoir jouer un rôle dans les domaines de l'énergie et du numérique. De façon générale, la Commission européenne devra dépasser les effets d'annonce. Il s'agit désormais de préciser les contours du Fonds et de favoriser les projets européens dont l'impact économique est réel et qui n'auraient pu être financés sans son concours. Il est également souhaitable que la Commission confirme la sanctuarisation des crédits accordés au titre de la politique de cohésion, qui ne sauraient être diminués pour abonder ce plan. On se souvient que du temps du commissaire Hahn nous avions bagarré pour sanctuariser ce Fonds, au travers des régions intermédiaires. Avec l'installation de la nouvelle Commission et la fin de la mandature des régions, qui en sont les autorités de gestion, on a perdu près d'un an. Il faudra mettre les bouchées doubles. J'ajoute qu'il faudra être vigilant : il ne faudrait pas qu'au prétexte que certaines lignes n'ont pas été consommées, les crédits soient réinjectés ailleurs.

Au-delà des priorités économiques, les attentats perpétrés en France appellent une réponse européenne opérationnelle au terrorisme. Elle passe par l'adoption d'un dispositif sur le PNR européen, dont Simon Sutour vous parlera tout à l'heure. La question du Parquet européen doit également être abordée en 2015. Ses compétences devraient être élargies à la criminalité grave transfrontière. Il s'agit également de réfléchir aux moyens supplémentaires qu'il conviendrait d'accorder à l'agence Europol pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. Une attention particulière doit, en outre, être apportée à la lutte contre l'incitation à la violence terroriste sur Internet.

Vous trouverez l'ensemble de ces recommandations au sein de la proposition de résolution européenne dont le texte suit. Elle sera doublée, si vous en êtes d'accord, d'un avis politique.

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