Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 novembre 2016 à 8h30
Politique régionale — Communication de m. philippe bonnecarrère sur la mise en oeuvre de la politique de cohésion

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

de devoir vous parler de gros sous !

Cela étant, les fonds structurels constituent un sujet majeur, d'autant que, pour la période 2021-2027, c'est la pérennisation de la politique de solidarité régionale qui est en jeu. La carte que j'ai pris la liberté de vous communiquer vous permet de constater d'emblée l'ampleur des montants considérés. Une grande partie de la force de frappe des régions est directement issue des ressources européennes.

La politique de cohésion représente environ un tiers du budget total de l'Union européenne, soit le second budget après la PAC. Sur la programmation actuelle, 2014-2020, ce sont 352 milliards d'euros qui sont affectés à la politique de cohésion. Comme cette politique associe par principe des cofinancements nationaux, voire des investissements privés, l'impact des investissements garantis à travers elle atteint près de 450 milliards d'euros.

Cette politique est mise en oeuvre via trois fonds principaux : le fonds de cohésion proprement dit, le fonds européen de développement économique et régional, ou FEDER, et le fonds social européen, le FSE, auxquels s'ajoutent le fonds européen agricole pour le développement rural, ou FEADER, et le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP. Pour la France, le FEDER et le FSE représentent 15,5 milliards d'euros ; le FEADER, 11,4 milliards d'euros sur l'ensemble de la période, et le FEAMP, 588 millions d'euros.

La France est contributeur net à cette politique à hauteur d'environ 3 milliards d'euros. Sur la période 2014-2020, elle bénéficie de 27,8 milliards d'euros dans l'enveloppe de 352 milliards d'euros précédemment mentionnée. Dans les grandes lignes, la France contribue à hauteur de 6,8 milliards d'euros, pour 3,8 milliards d'euros d'affectation.

À ce jour, quelque 11 000 projets ont déjà été financés, à hauteur de 2,9 milliards d'euros via le FEDER et le FSE, et à hauteur de 1,3 milliard d'euros via le FEADER.

S'il est une politique européenne qui doit faire l'objet d'un choc de simplification, c'est bien la politique de cohésion. Sa gestion est partagée entre la Commission, d'une part, et les autorités nationales et régionales, d'autre part.

À chaque étape, les principaux intervenants - le porteur de projet, les bénéficiaires, entreprises ou collectivités, et l'autorité de gestion, à savoir, en France, les régions, depuis la réforme de 2014 - sont ainsi confrontés à une réglementation de gestion et de contrôle qui est extrêmement perturbatrice. Celle-ci représente plus de 1 000 pages pour le FEDER et le FSE, auxquelles s'ajoutent les règles propres au FEADER et au FEAMP.

Par ailleurs, la Commission publie - en anglais - des « notes d'orientation » qui viennent se surajouter à l'existant. À elles seules, ces notes, qui ne sont pas des actes législatifs au sens juridique du terme, mais que les parties prenantes respectent comme tels, représentent 4 000 pages, soit plus du double de ce qui avait cours lors de la précédente programmation. C'est là un corpus gigantesque, sollicité, puis appliqué par les États et les régions.

Enfin, ces règles évoluent au fil de l'eau et ont un effet rétroactif qui vient encore compliquer la tâche des bénéficiaires et des porteurs de projets. S'ensuit une surrèglementation européenne, mais aussi une surrèglementation des autorités de gestion elles-mêmes, qui ont à coeur de ne pas s'exposer à des sanctions des autorités de contrôle et d'audit, nationales et européennes, et doublent dès lors les garde-fous.

Concrètement, le démarrage des programmes pour l'exercice 2014-2020 a subi un retard de plus d'un an, qui pourrait même, à mon sens, avoisiner les deux ans. Ainsi, en France, pour les 53 programmes opérationnels, les autorités de gestion ne sont pas encore toutes officiellement désignées.

À l'heure actuelle, il faut respecter la stratification suivante : le règlement européen, auquel est annexé un cadre stratégique commun ; les règlements spécifiques aux cinq fonds ; les notes d'orientation, dont je viens d'indiquer le volume, et dont l'efficacité juridique est cependant relativement importante ; les accords de partenariat entre la Commission et chaque État ; et les programmes opérationnels confiés aux régions. Viennent enfin les désignations de gestion et les joies de la procédure régionale.

Je vous renvoie à cet égard au tableau que je vous ai communiqué, et qui m'a littéralement stupéfait. Y sont indiqués les divers délais s'appliquant au titre des fonds structurels. Ainsi, l'Alsace a dû attendre le 21 octobre 2016 pour voir désigner les autorités de gestion et de certification, en vertu de l'avis conforme de la commission interministérielle de coordination des contrôles, la CICC, en date du 5 octobre précédent. Dans d'autres régions, dont l'Île-de-France - excusez du peu ! -, la désignation de l'autorité de gestion n'est pas encore effective. Il est difficile de comprendre que nous n'ayons pas été en mesure de prendre un arrêté à cette fin.

Il s'agit là d'un problème franco-français. Les délais de gestion observés dans notre pays sont une grande source d'étonnement. Au total, vingt régions ou collectivités territoriales sont toujours en attente des désignations considérées. Si les collectivités peuvent lancer des projets, à l'heure actuelle, les financements ne peuvent pas encore être octroyés. Il est vrai que nous ne sommes que trois ans après le lancement de la programmation...

J'ajoute que les différents ministères peuvent suivre des procédures distinctes. Par exemple, l'agence de service et de paiement du ministère de l'agriculture a mis en place, pour les programmes du FEADER, un logiciel de paiement dénommé « Osiris ». Différant des logiciels en vigueur pour les quatre autres fonds, ce dispositif ne fonctionne pas, ce qui retarde considérablement la mise en oeuvre des divers projets.

Conscients de l'obstacle majeur que représente, pour l'efficacité de la politique de cohésion, un tel maquis de normes, les États membres et la Commission ont décidé d'engager des réformes substantielles, en particulier en vue de la prochaine programmation 2021-2027. Ces changements pourraient conduire à reconfigurer la gestion de la politique de cohésion.

Un conseil des ministres européens dédié à la politique de cohésion s'est ainsi tenu hier à Bruxelles. Il a prévu plusieurs orientations de réformes et repris plusieurs initiatives françaises.

Premièrement, est envisagée la mise en place d'une réglementation claire et simple pour que des règles communes soient applicables aux différents fonds européens quand ils visent les mêmes bénéficiaires. Ce principe s'applique aux divers dispositifs existants, qu'il s'agisse d'Horizon 2020, du mécanisme pour l'interconnexion en Europe, le MIE, des fonds structurels, du fonds européen de développement, le FED, ou du fonds Juncker. De même, il est nécessaire de mettre enfin en cohérence les normes régissant les divers fonds structurels eux-mêmes.

Deuxièmement, la partie européenne des fonds structurels à gestion partagée, comme le fonds Juncker ou le fonds Horizon 2020, pourrait être exemptée des règles régissant les aides d'État, comme le sont déjà les fonds européens en gestion directe.

À cet égard, je m'arrête un instant sur la question de la complémentarité entre les fonds structurels, d'une part, et le fonds Juncker, d'autre part. Il y a entre les deux une différence de nature : fortement territorialisé, le fonds Juncker est devenu un élément de la politique de cohésion, même s'il n'a pas été conçu ainsi. Il assure un véritable effet de levier. Dans un contexte où l'on peine à dégager des ressources au niveau européen, il peut sembler assez naturel d'appliquer cette procédure à la prochaine génération de fonds structurels.

Pourtant, sous certaines conditions, il serait important de créer des synergies entre ces deux outils pour développer des investissements publics et privés, vers des priorités partagées entre l'Union européenne, les États membres et leurs régions. Nous devons travailler plus avant sur ce sujet. À ce jour, seule la région des Hauts-de-France a engagé un projet qui combine les capacités des fonds structurels et du fonds Juncker pour un projet d'infrastructures industrielles.

Dans la même logique, la politique de cohésion met de plus en plus en avant le recours aux instruments financiers. Ce dernier va en effet se poursuivre et s'accroître dans le cadre de la politique de cohésion.

Troisièmement, il faut veiller au développement des options de coûts simplifiés. C'est là une idée de bon sens : laisser aux porteurs d'un projet, quand ils doivent soumettre aux autorités de contrôle et d'audit les multiples factures liées au projet - personnel, équipement, etc. -, le choix d'opter pour une méthode de coûts forfaitaires.

Quatrièmement, il serait possible d'orienter la gestion partagée vers un contrôle de la performance plutôt que de la seule conformité comptable d'un projet aux règles financières. L'actuelle programmation a déjà ouvert le jeu en créant des critères de performance assis sur un certain nombre d'indicateurs. Pourquoi, dans un souci d'efficacité, ne pas mettre en place des programmes intégralement évalués selon une logique de résultat et non plus selon la seule logique comptable, du moins dans sa lourdeur actuelle ?

Cinquièmement, il faut étudier la pertinence de la différenciation. C'est là une idée simple, mais politiquement délicate : elle peut conduire à « discriminer » les régions et les États membres selon la qualité et l'efficacité de leurs structures administratives.

Cependant, pourquoi ne pas différencier la lourde panoplie des contrôles financiers en fonction des capacités administratives nationales ? Pourquoi faire perdurer deux systèmes parallèles de contrôle, l'un européen, l'autre national, alors que les règles comptables nationales sont pour certains États membres tout aussi strictes et sûres ? Ce ne serait rien d'autre que l'application d'un principe de proportionnalité entre la force administrative du pays et les résultats à obtenir.

Monsieur le président, mes chers collègues, une profonde réforme de simplification et de cohérence est indispensable pour rendre la politique régionale plus attractive pour nos territoires. En toile de fond, c'est aussi, ici et là, la pertinence même de cette politique qui est parfois mise en cause.

Les régions françaises demandent une globalisation des cinq fonds existants, qui leur ménagerait une plus grande liberté de gestion.

Il faut également se pencher sur le ciblage des régions. À l'heure actuelle, on distingue parmi elles trois catégories : les régions développées, au-dessus de 90 % du revenu moyen européen ; les régions en transition, entre 75 % et 90 % ; et les régions dites « les plus défavorisées », en deçà de 75 %. Toutes les régions françaises sont en transition, excepté les régions ultrapériphériques. Faut-il aller vers une distinction région par région ?

Au-delà, il me paraît évident que notre groupe de travail doit continuer à se pencher sur les évolutions appelées à survenir après 2021. Nous devons poursuivre notre réflexion et mener des contrôles sur pièces.

Dans ce cadre, deux questions essentielles méritent d'être examinées.

La première question est stratégique. Quid des fonds de cohésion après 2021, et pour quel montant ? C'est là un enjeu essentiel pour nos régions. On observe, en France comme en Allemagne, que la position de l'État n'est pas nécessairement celle des autorités régionales. À rebours des États, ces dernières sont favorables à une importante politique des fonds de cohésion.

La deuxième question est celle de la simplification : sommes-nous face à un problème européen, à un problème franco-français ou à un problème régional ? Certains affirment que la multiplication des dispositifs est insupportable, sans doute avec raison. La France, de son côté, se montre certainement déraisonnable avec ses 53 projets. Après trois ans, elle n'est seulement pas capable d'appliquer l'ensemble de ses normes et procédures administratives traditionnelles. Nos problèmes de gestion informatique sont patents, car les ministères ne travaillent pas encore ensemble sur ce front. Quant aux régions, elles subissent leurs propres difficultés. Les demandeurs font donc face à de nombreuses embûches.

Mes chers collègues, nous vous demandons en conséquence de pouvoir mener un travail un peu scolaire : aller en régions pour observer les diverses strates d'action et comprendre comment on a atteint une telle accumulation de réglementations.

Je suis d'un naturel assez optimiste, mais je me dois de le constater, à l'instar des fonctionnaires de Bruxelles : depuis 2008, les régions européennes ont cessé de converger. Elles tendent désormais à diverger. Aussi la politique de cohésion est-elle tout à fait essentielle !

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