Je suis heureux d'être parmi vous cet après-midi dans ce lieu chargé d'Histoire. Permettez-moi de vous remercier pour votre accueil chaleureux. J'apprécie beaucoup cette invitation à venir échanger avec vous.
Je voudrais commencer par remercier le sénateur Jean-François Humbert de sa visite en Irlande, en décembre dernier. L'intérêt que porte votre collègue à l'amitié franco-irlandaise est de longue date, et sachez que les Irlandais y sont très sensibles.
La rédaction, au nom de votre commission, d'un rapport sur les récents rebondissements économiques et financiers en Irlande est une très bonne initiative. Beaucoup d'éléments et de commentaires sont diffusés par les médias à ce sujet, mais il est essentiel que les gouvernements et les parlements obtiennent la meilleure information disponible, et en direct.
J'ai étudié le rapport du Sénateur Humbert et bien que je ne sois pas tout à fait d'accord avec toutes les nuances de son analyse et de ses conclusions, je pense qu'il a fait montre d'une excellente compréhension de la situation en Irlande. Vous rappelez les erreurs que nous, les Irlandais, avons commises dans le passé, tout en décrivant dans le même temps l'étendue du défi auquel nous sommes confrontés. Vous détaillez également la réponse réaliste et déterminée du gouvernement et des Irlandais.
Vous faites apparaître la solidarité et le soutien que nous avons reçu, en Irlande, de nos partenaires et de nos amis en Europe et au-delà, car nous avons été ensemble confrontés à une crise, dont la responsabilité est largement partagée et dont les effets n'ont épargné aucun d'entre nous.
Vous montrez bien qu'une grande part de la force économique de notre pays est toujours présente malgré la crise et constitue une base solide sur laquelle nous allons reconstruire la croissance, l'emploi et la prospérité dans l'avenir.
Vous notez aussi à juste titre que l'Irlande « ne souffre pas d'un déficit de compétitivité » et vous louez la productivité et la flexibilité des Irlandais. Ce sont ces caractéristiques qui nous aident, par-dessus tout, en vue de consolider notre reprise économique, celle-ci étant fondée sur les exportations.
Comme vous le savez, nous continuons à bâtir une économie du futur, verte et intelligente, en mettant l'accent plus particulièrement sur l'investissement à haute valeur ajoutée dans la Recherche, le Développement et l'Innovation (RDI).
Monsieur le Président, quoique je sois enchanté de discuter les points que vous souhaiteriez soulever, je souhaitais néanmoins vous donner, au préalable, mon point de vue sur la situation économique en Irlande depuis l'adhésion à l'Union européenne et à la zone euro.
Il est de notoriété publique que l'adhésion de l'Irlande à l'Union européenne a eu des effets très positifs pour notre pays. Elle a changé notre pays - jusque là l'Irlande était « une île derrière une île » -, selon le mot de votre éminent historien, Jules Michelet. Elle a élargi nos horizons politiquement et psychologiquement, contribuant, notamment, à ouvrir la voie au processus de paix en Irlande du Nord.
Les réalisations économiques de l'Irlande, depuis qu'elle a rejoint le projet européen, parlent d'elles-mêmes. En 1973, le PIB irlandais par habitant était seulement à 58 % de la moyenne européenne. Depuis cette date, le PIB a enregistré une augmentation moyenne de 4,5 % par an, permettant ainsi à notre économie et à notre niveau de vie de converger avec le reste de l'Union européenne. Les importants défis économiques et financiers actuels doivent être évalués dans ce contexte. Nous avons parcouru un long chemin et notre position de force est toute relative face à ces défis.
Notre économie est de petite taille, mais ouverte. Par conséquent, nous sommes, par nécessité, un peuple de commerçants, exportant 80 % de tous les biens et services produits. En effet, Ernst and Young estime ainsi que l'Irlande est la deuxième économie la plus globalisée au monde. Participer au marché unique européen a été très bénéfique pour l'Irlande. Au cours des trente-cinq dernières années, nous avons réussi à diversifier largement nos marchés d'exportation en réduisant considérablement notre dépendance au marché britannique. Les exportations à destination du marché britannique ne représentent plus que 18 % des exportations totales contre 55 % en 1973. Sur la même période, nous avons augmenté nos exportations vers le reste de l'Europe de 21 % à environ 45 %.
Notre adhésion à l'Union européenne a été l'un des facteurs clés pour attirer les investissements directs étrangers (IDE) en Irlande : l'accès au vaste marché unique de 500 millions de personnes a été essentiel. Près de 1 000 entreprises étrangères se sont installées en Irlande, et cet investissement a permis de créer un nombre considérable d'emplois.
Nous n'avons naturellement pas eu autant de succès que la France pour attirer les IDE. Votre Histoire, l'ampleur de votre marché domestique, votre situation géographique centrale et les aides nombreuses octroyées par votre gouvernement ont conféré, à cet égard, un certain nombre d'avantages à la France dans ce domaine. Il n'est ainsi pas surprenant que votre pays soit toujours classé parmi les trois premiers au monde pour attirer les investissements étrangers.
Mais eu égard à notre taille, nous avons bien réussi en Irlande.
Bien sûr, nous avons également perdu des investissements au cours des années, parfois au profit de concurrents à faibles coûts. Cela souligne l'importance de la montée en gamme et de l'innovation en général, un thème que nos chefs d'États aborderont au Conseil européen du 4 février.
Pendant de nombreuses années, nos taux d'imposition sur les entreprises ont eu un rôle à jouer pour attirer cet investissement. Mais bien d'autres facteurs ont entrainé notre essor économique et contribué à attirer les investisseurs. Nous avons ainsi une très forte culture entrepreneuriale. Il existe un large consensus politique et social, fortement soutenu par l'État pour l'entreprise et plus particulièrement en faveur de l'innovation. Il existe, par ailleurs, un consensus général à travers le pays sur l'amélioration constante de compétitivité, indispensable pour continuer à prospérer. « Compétitivité » n'est nulle part en Irlande un gros mot. Notre main-d'oeuvre est jeune, instruite, hautement qualifiée, dynamique et flexible. Elle parle anglais et maîtrise relativement bien d'autres langues. Ces dernières années, nous avons développé de meilleures infrastructures et amélioré les conditions d'exercice de leurs activités pour les entreprises. Tous ces facteurs s'ajoutent aux énormes avantages liés à notre adhésion à l'Union européenne.
Sans ces facteurs qui viennent d'être cités, il n'aurait pas été possible d'attirer les investisseurs étrangers ou de développer l'investissement au niveau national, quand bien même un taux nul d'imposition sur les sociétés aurait été en vigueur.
En ma qualité de ministre délégué des Affaires européennes, j'ai bien conscience que l'Irlande a beaucoup gagné d'appartenir à l'Europe. Aussi avons-nous toujours voulu insister sur notre implication et notre engagement envers l'Union européenne. Les gouvernements irlandais - et les fonctionnaires à titre individuel - ont été parmi les Européens les plus convaincus et les plus actifs, notamment au sein des institutions communautaires. Beaucoup d'entre vous connaissent ainsi Pat Cox qui a fait une belle carrière au Parlement européen, y compris comme Président. Les présidences irlandaises du Conseil ont été unanimement appréciées, car nous nous sommes efforcés de faire passer l'intérêt communautaire avant l'intérêt national. Ainsi, en 2004, et contre toute attente, la Présidence irlandaise a facilité un accord de consensus entre les 27 États membres - dont dix avaient adhéré à l'Union européenne six semaines plus tôt - sur le texte du projet de traité constitutionnel.
Nous avons, par ailleurs, joué un rôle actif dans de nombreux domaines, du commerce à l'aide au développement, en passant par l'agriculture, la sécurité et la défense, en accord le plus souvent avec la France. En 2010, plus de 400 soldats irlandais étaient ainsi aux côtés des troupes françaises engagées dans la mission de l'Union européenne au Tchad, et un général irlandais commandait cette opération depuis le quartier général situé au Mont Valérien.
L'Irlande et la France ont ensemble une longue histoire. En effet, Saint Patrick a étudié ici, et le drapeau irlandais est, bien sûr, inspiré de votre drapeau tricolore. Mais nos liens sont encore d'actualité et vont croissant.
A quelques centaines de mètres d'ici, derrière le Panthéon, rue des Irlandais, se trouve le plus important centre culturel irlandais dans le monde. Vous ne serez donc pas surpris que l'Alliance française de Dublin soit parmi les trois plus actives d'Europe.
L'Irlande se prépare également - dans un esprit fair-play - à accueillir à Dublin, le 13 février, l'équipe de France de rugby, vainqueur en titre du Tournoi des Six-Nations après un brillant Grand Chelem. Ce match sera une nouvelle fois l'occasion pour les deux équipes et leurs supporters de témoigner du respect et de l'affection que ces deux nations partagent l'une pour l'autre. La France a remporté le Grand Chelem en 2010 après que l'Irlande l'a remporté en 2009 ; c'est le genre « d'alternance » que nous aimerions voir se poursuivre indéfiniment !
L'Irlande et la France ont toujours travaillé en étroite collaboration pour faire progresser la cause d'une politique agricole durable, compétitive et sûre. Elle devrait répondre, dans un contexte marqué par la croissance de la population mondiale, aux défis liés à la sécurité alimentaire et au changement climatique.
Nous avons à peu près 8 milliards d'euros d'échanges commerciaux entre nos deux pays, et l'Irlande fait partie des dix premières destinations touristiques préférées des Français. Il y a aujourd'hui environ 9 000 ressortissants français vivant et travaillant en Irlande. Malgré notre petite taille, l'investissement irlandais en France est impressionnant et vise de nombreux domaines : la climatisation, l'industrie alimentaire, la fabrication du verre, les produits de ciment vert, l'ingénierie de l'agriculture et les services. Les entreprises irlandaises dans votre pays emploient environ 10 000 personnes.
Les sociétés françaises sont également très présentes en Irlande dans différents secteurs, qu'il s'agisse notamment des services environnementaux, de l'assurance, des équipements de transport, de l'énergie, des produits pharmaceutiques, de l'alimentation et de la mode. Leur expansion est due à l'intensité de leur activité en Irlande et à leur partenariat avec les sociétés irlandaises. Il y a quelques années, notre ambassade à Paris a réalisé une étude sur l'étendue de la coopération entre la France et l'Irlande dans le secteur de la recherche, et a relevé des centaines de partenariats académiques et commerciaux.
La France demeure notre quatrième partenaire commercial. La balance commerciale a tendance à être en notre faveur. Au cours des dix premiers mois de 2010, le montant des exportations de produits français vers l'Irlande est estimé à 1,5 milliard d'euros, contre 1,8 milliards d'euros pour la même période en 2009. De fait, une économie prospère et croissante en Irlande profite non seulement aux Irlandais, mais également aux Français.
L'Irlande est souvent caricaturée comme un aimant pour les investissements étrangers. Pourtant, un certain nombre d'entreprises françaises ont des intérêts en Irlande. Veolia a réalisé les lignes de tramway de Dublin et les tramways ont été construits par Alstom. La participation française peut également se faire par le biais d'acquisitions. Ainsi, Pernod Ricard a acquis Irish Distillers et BSN possède une participation importante au sein d'Irish Biscuits.
Cette relation incarne les principes de libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. Elle vient parallèlement souligner tout ce que l'Union européenne et le marché unique ont pu apporter à l'Irlande.
Concernant les mesures que l'Irlande adopte pour répondre à la crise économique et financière, elles sont parfois difficiles à faire accepter même si nous bénéficions du soutien de l'Union européenne et de la communauté internationale. Nous comptons sur une croissance tirée par les exportations pour nous aider à juguler cette crise ; les premiers signaux sont, à cet égard, encourageants. Les investissements directs étrangers nous aideront à atteindre nos objectifs en matière de croissance et d'emploi, objectifs auxquels nous souscrivons tous au sein de l'Union européenne.
L'économie irlandaise s'est stabilisée. La plupart des analystes s'attendent à une reprise de croissance cette année, et au-delà, liée, notamment, à l'amélioration de la compétitivité et à l'augmentation concomitante des exportations. La croissance de celles-ci s'avère être l'une des plus fortes de l'Union européenne. Le marché du travail a également été réformé. Les recettes fiscales dépassent les prévisions, les dépenses publiques ont été diminuées et le déficit est en passe d'être réduit.
Il existe à ce sujet, en Irlande, un consensus réunissant les principaux partis politiques sur l'objectif de réduire notre déficit à 3 % du PIB d'ici 2014 ou 2015 si nécessaire. Le plan national de relance couplé à l'aide de l'Union européenne et du Fonds monétaire international devraient permettre à l'Irlande de dépasser ses difficultés.
Bien sûr, il est indispensable, pour permettre à l'Irlande de renouer avec la croissance, ainsi que pour la stabilité et la prospérité de l'Union européenne dans son ensemble, que rien ne vienne faire obstacle à nos efforts pour stimuler la reprise via les exportations. A ce titre, prendre des mesures comme l'augmentation de l'impôt sur les sociétés pénaliserait nos perspectives de croissance fragiliserait in fine l'Europe dans son ensemble. Le sénateur Humbert a d'ailleurs abordé cette question avec grand sérieux dans son rapport.
Notre plan national de relance prévoit des mesures de nature à renforcer notre compétitivité, remettre de l'ordre dans les finances publiques et, surtout, éliminer les obstacles à la croissance.
La croissance, comme je l'ai expliqué, est au coeur de la stratégie de relance. Les économistes peuvent diverger sur le détail des projections, mais tous prévoient une croissance de l'économie irlandaise cette année et l'an prochain.
Des études récentes de l'OCDE ont montré l'impact positif d'un faible taux d'imposition sur les sociétés pour favoriser la croissance. En classant les impôts en fonction de leur impact sur la croissance économique, l'impôt sur les sociétés a été considéré comme le plus nocif. Les gouvernements qui cherchent des recettes fiscales supplémentaires sont invités à augmenter tous les autres types d'impôts avant de majorer l'impôt sur les sociétés !
La loi de finances adoptée la semaine dernière par le Parlement irlandais prévoit de nombreuses hausses d'impôts. Peu d'Irlandais, regardant leurs fiches de paie aujourd'hui, admettraient qu'on leur dise que l'Irlande est une économie à faible imposition ! Les Irlandais sont tous d'accord pour dire que la décision de fixer le taux d'imposition sur les sociétés doit être prise au niveau national. Il existe à ce titre un consensus sur l'échiquier politique pour conserver notre taux à 12,5 %. Comme vous le savez bien, l'Union européenne repose sur un équilibre délicat entre compétences communautaires et nationales. 1,2 million d'Irlandais ont souscrit à cette approche le 2 octobre 2009, en votant en faveur du traité de Lisbonne avec une majorité écrasante de 67 %.
L'Irlande a utilisé la stratégie de l'impôt sur les sociétés depuis les années cinquante pour stimuler la croissance, et pas seulement pour attirer les investissements directs étrangers, mais également pour encourager les PME et l'innovation dans les différents secteurs de l'économie.
Monsieur le Président, je sais que les défis économiques auxquels l'Europe est confrontée sont une priorité pour la France, et que collectivement, nous ne devons pas manquer l'opportunité qu'offre 2011 pour apporter les changements nécessaires pour renforcer notre monnaie et nos économies.
Nos chefs d'État et de gouvernement ont travaillé sur cette question, l'amélioration de la gouvernance économique de l'Union européenne est déjà une réalité. Le semestre européen a commencé et des travaux sont également en cours concernant six textes législatifs européens visant à assurer une coordination plus étroite des politiques budgétaires et macro-économiques au sein de l'Union européenne. Des discussions et de nouvelles idées pour défendre nos économies se poursuivront, de façon informelle, lors du Conseil du 4 février et surtout lors du Conseil européen des 24 et 25 mars. La France a toujours joué un rôle de leader dans cette discussion que je tiens à saluer. Si nous divergeons sur certains détails et sur certaines approches, nous partageons à ce sujet le même objectif.
Nous devons chercher des idées nouvelles pour résoudre cette crise économique. Nous devons avoir, à ce titre, un débat ouvert. En ma qualité de ministre des affaires européennes, je suis bien placé pour reconnaître l'importance de l'Union européenne dans le développement de mon pays. L'Union a été le moteur de notre essor économique. De fait, face à cette crise, nous ne devons pas refuser les modalités et les processus qui nous ont jusqu'ici bien servis. Nous devons travailler ensemble au travers du cadre institutionnel de l'Union européenne afin de résoudre, dans la mesure du possible, nos difficultés. Nous devons, à cet égard, privilégier une approche fondée sur des règles, qui garantissent tout à la fois stabilité et équité.
Je tenais enfin à rendre hommage au sénateur Jean-François Humbert pour son intérêt de longue date pour l'Irlande et à la sénatrice Jacqueline Gourault, présidente du groupe d'amitié France-Irlande, ainsi que ses membres. Je suis partisan de la coopération entre nos parlements, en vue de davantage développer nos relations bilatérales et renforcer la compréhension mutuelle. J'espère que mon exposé a contribué à cet objectif.
Monsieur le Président, je serais heureux de poursuivre cette discussion, d'entendre vos points de vue et de répondre à toutes vos questions.