Le 24 septembre 2010, la Commission européenne a transmis au Parlement européen et au Conseil une proposition de règlement portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union. Il s'agit en fait d'une refonte du régime existant appelé « POSEI » (pour Programmes d'Options Spécifiques à l'Éloignement et l'Insularité). Ce régime POSEI a fait l'objet de plusieurs modifications depuis son adoption le 30 janvier 2006 : la Commission propose donc de refondre le texte pour intégrer ces modifications, mais aussi pour assouplir les règles et procédures du programme et les adapter aux nouvelles exigences du traité de Lisbonne.
Ce programme répond à deux objectifs :
- d'une part, garantir l'approvisionnement des régions ultrapériphériques en produits agricoles : c'est le régime spécifique d'approvisionnement (RSA), qui compense les surcoûts de l'éloignement en exonérant de droits de douane certains produits importés ;
- d'autre part, préserver et développer l'activité agricole des régions ultrapériphériques : ce sont les mesures en faveur des produits agricoles locaux (MFPL) (aides à la surface ou à la production, primes animales, versements aux producteurs...).
Le régime POSEI a fait la preuve de son efficacité : la Cour des comptes européenne l'a reconnu en octobre 2010. Dans son rapport, elle invite à poursuivre l'approche ascendante et décentralisée, instaurée en 2006, pour améliorer encore l'efficacité des mesures existantes. Surtout, la Cour des comptes souligne publiquement la grande importance de ces mesures pour l'agriculture des régions concernées. Le budget qui y a été consacré en 2010 s'est élevé à 278 millions d'euros pour la France, 268 pour l'Espagne et 106 pour le Portugal.
La proposition de règlement de la Commission ne modifie pas le soutien communautaire à l'agriculture des RUP. Elle ne le modifie pas, alors même que le règlement du 19 décembre 2006, qui a étendu le règlement POSEI au secteur de la banane, a admis que, s'il était constaté un changement significatif dans les conditions économiques affectant les sources de revenu dans les régions ultrapériphériques, la Commission européenne devait le prendre en compte. Mais c'est bien là que le bât blesse car la situation a considérablement changé en une année : le 15 décembre 2009, a été conclu l'accord multilatéral de Genève sur le commerce des bananes, et au printemps 2010, l'Union européenne a conclu des accords avec l'Amérique centrale d'une part, et avec la Colombie et le Pérou d'autre part. Or la proposition de la Commission feint d'ignorer les conséquences que risquent d'avoir, pour l'agriculture en outre-mer, ces accords commerciaux. C'est ce qui justifie la démarche de nos collègues Serge Larcher et Éric Doligé, président et rapporteur de la mission commune d'information sur les DOM qui a rendu son rapport en juillet 2009. C'est au nom du comité de suivi des orientations de cette mission, qui a été créé le 21 octobre 2009, qu'ils ont en effet déposé le 18 janvier 2011 une proposition de résolution européenne dénonçant l'indifférence qu'affiche la Commission européenne, dans son projet de règlement, à l'égard des effets sur l'agriculture des DOM de ces divers accords commerciaux.
En quoi consistent ces accords ? Les textes sont toujours en cours de vérification juridique. Ils doivent ensuite être paraphés et traduits dans les langues officielles avant que la Commission ne les propose à la signature au Conseil. Le texte de ces accords n'a donc pas encore été diffusé ni transmis au Parlement au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Néanmoins, selon les informations disponibles, l'Union européenne a pu obtenir certaines avancées, à savoir la fin des barrières douanières pour ses industries, surtout l'automobile, et un meilleur accès aux marchés péruvien et colombien des vins et spiritueux et des produits laitiers. En contrepartie, les deux États andins ont obtenu pour leur part une amélioration du potentiel d'exportation de bananes, de sucre, de rhum et d'autres produits agricoles.
Plus précisément, concernant la banane, l'UE va abaisser ses droits de douane à 75 euros par tonne au 1er janvier 2020. Déjà l'accord multilatéral de Genève sur les bananes s'était conclu par un abaissement progressif du droit de douane de 176 à 114 euros la tonne, applicable à partir de 2017... C'est donc une baisse supplémentaire importante de 40 euros par tonne qui est consentie sur la taxation des bananes importées des pays andins. Pour la banane, il est également prévu jusqu'en 2020 une sauvegarde spéciale, déclenchant une suspension du traitement préférentiel, dans le cas d'une forte augmentation des importations en provenance de ces pays au-delà d'un certain seuil (seuil qui sera relevé chaque année).
Pour ce qui est du sucre et des produits à teneur élevée en sucre, des contingents à droit nul, avec un taux de croissance annuel, sont consentis à la Colombie et au Pérou.
Enfin, pour le rhum, les lignes tarifaires sensibles du rhum en vrac ne seront pas libéralisées, mais des contingents à droit nul s'appliqueront là aussi pour la Colombie et le Pérou et augmenteront chaque année. Les lignes tarifaires sur le rhum en bouteille, qui sont moins sensibles, seront pour leur part démantelées en trois ans.
De facto, la France, à travers ses RUP, est incontestablement le premier pays contributeur à ces accords : c'est pour elle que le déséquilibre entre les concessions opérées sur les produits sensibles et les résultats obtenus sur le plan offensif paraît important, et surtout pour ses départements ultramarins. En effet, l'économie agricole des RUP françaises est extrêmement dépendante de ces productions. Ainsi, en 2007, la banane représentait 57 % de la production agricole en Martinique et 17,8 % en Guadeloupe. La canne à sucre représentait 20,3 % de la production agricole en Guadeloupe et 6,7 % en Martinique. Le commerce extérieur des DOM est également très étroitement lié à ces produits : pour la Guadeloupe, le sucre représente près de 30 % des exportations en valeur, la banane plus de 14 % et le rhum près de 12 % ; à La Réunion, le sucre représente 38,5 % des exportations en valeur.
Je souscris donc entièrement à l'analyse des auteurs de la proposition de résolution européenne qui nous est soumise : les concessions commerciales accordées par l'Union européenne ne peuvent s'entendre sans compensation destinée à préserver la fragile production agricole locale de nos DOM. Il s'agit de maintenir au niveau international la compétitivité des filières ultramarines, qui vont subir de plein fouet la concurrence des pays d'Amérique latine dont les producteurs ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.
En ce sens, il me paraît que nous devrions appuyer les trois demandes principales qui ressortent de la proposition de résolution qui nous est soumise.
La première consiste à revoir la base juridique sur laquelle repose la refonte du règlement POSEI. En effet, la Commission n'invoque que les articles 42 et 43 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), à l'appui de sa proposition de nouveau règlement POSEI. Ces articles 42 et 43 du TFUE concernent la politique agricole. Or il existe un autre article du TFUE: c'est l'article 349, qui reconnaît la situation spécifique des RUP et la nécessité d'adapter en conséquence la réglementation communautaire. Or, c'est seulement sur cet article 349 que peut se fonder en droit toute compensation pour les RUP. Nous devons, à mon sens, appuyer cette demande et faire valoir nous aussi l'importance qui s'attache à compléter l'assise juridique du futur règlement.
La deuxième demande que nous devrions, selon moi, relayer a précisément pour objet d'obtenir une compensation efficace, notamment financière, des effets des accords commerciaux. Aux dernières nouvelles, la Commission proposerait une compensation de 10 millions d'euros par an pour les trois États membres concernés (Espagne, France et Portugal), ce qui représenterait seulement 4 millions d'euros pour la France : cette proposition est inacceptable pour notre pays qui a estimé le besoin de compensation de pertes de revenu et de restructuration à 30 millions d'euros par an pour sa seule filière ! Nous devons donc maintenir la pression.
Mais une véritable réparation ne peut reposer que sur une analyse des effets des accords commerciaux signés par l'Union européenne sur l'agriculture des RUP françaises. Ceci amène à formuler une troisième demande : que la Commission européenne réalise systématiquement, à l'avenir, des études d'impact, lors de la négociation d'accords commerciaux susceptibles d'affecter les économies des RUP.
Plus globalement, c'est le principe d'adaptation des normes communautaires, notamment commerciales mais pas seulement, aux contraintes particulières des RUP qu'il nous faut défendre à Bruxelles, sur le fondement de l'article 349 du TFUE.
A court terme, notre objectif est de prêter main forte au Gouvernement dans la négociation qui s'ouvre : présentée pour la première fois au Conseil agriculture du 27 septembre 2010, la proposition de règlement POSEI sera examinée en codécision, ce qui laisse présager sa finalisation fin 2011 ou début 2012.
Pour conclure, je me propose de vous soumettre quelques menues modifications de la proposition de résolution qui nous est soumise et à laquelle, vous l'aurez compris, je souscris très largement, dans son esprit : favorable aux accords commerciaux, nous jugeons néanmoins nécessaire de prévoir des mesures d'accompagnement pour parer aux conséquences préjudiciables que ces accords pourraient entraîner pour l'agriculture des départements d'outre-mer.
Je vous propose d'abord d'ajouter dans les visas de la proposition de résolution deux références : l'une à l'accord de Genève sur les bananes puisque, à l'examen, il me semble que sa compensation est encore à l'ordre du jour. Un nouveau visa serait placé entre les alinéas 5 et 6 : « Vu l'accord multilatéral signé à Genève le 15 décembre 2009 relatif au commerce des bananes ». L'autre référence qui me paraît manquer renverrait au règlement de décembre 2006 auquel je faisais allusion tout à l'heure : ce règlement, qui a étendu le règlement POSEI au secteur de la banane, appelle en effet la Commission européenne à prendre en compte tout « changement significatif dans les conditions économiques affectant les sources de revenu dans les régions ultrapériphériques ». Il importe de le rappeler en introduisant ce visa entre les alinéas 9 et 10 : « Vu le règlement n° 2013/2006 du Conseil du 19 décembre 2006 modifiant les règlements (CEE) n° 404/93, (CE) n° 1782/2003 et (CE) n° 247/2006 en ce qui concerne le secteur de la banane ».
Je vous propose aussi de compléter l'alinéa 11 de la proposition de résolution par des mots laissant entrevoir que nous ne sommes pas opposés à la signature d'accords de libéralisation du commerce de l'UE mais que nous jugeons nécessaire d'assortir leur conclusion de protections ou « garde-fous » adaptés, susceptibles de réduire les risques encourus par l'agriculture des DOM du fait de ces accords. Cela donnerait : « Considérant que les accords de libre échange conclus en mars 2010 par l'Union européenne avec la Colombie et le Pérou, d'une part, et avec les pays d'Amérique centrale, d'autre part, font courir un risque important à l'agriculture des régions ultrapériphériques françaises si des garde-fous suffisants ne sont pas mis en place, ».
Je voudrais aussi vous proposer une reformulation à l'alinéa 12 de la proposition de résolution : en effet, la lecture de cet alinéa pourrait laisser croire que l'intérêt de l'UE est de soutenir le développement endogène des RUP. Je crois qu'il serait plus exact d'écrire que l'intérêt de l'UE est, par ces accords, de ne pas mettre en péril le développement endogène de ces régions, puisque notre objectif précis est bien ici d'éviter un péril provoqué par la politique commerciale de l'UE. L'alinéa 12 serait ainsi rédigé : « Considérant qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de ne pas mettre en péril le développement endogène des régions ultrapériphériques ».
Je vous soumets aussi une formulation plus volontariste à l'alinéa 17 : nous demandons au Gouvernement non pas de négocier, ce qui laisse entendre que nous avons des contreparties à céder, mais d'intervenir pour compenser ce qui a déjà été cédé. L'alinéa 17 se lirait ainsi : « Demande au Gouvernement d'intervenir pour que la Commission assure toute forme de compensation efficace pour préserver l'agriculture ultramarine des effets négatifs des accords commerciaux signés avec la Colombie et le Pérou et avec l'Amérique centrale ».
Enfin, je propose de compléter par une formule plus générale l'alinéa 18, invitant à une prise en compte de la spécificité des RUP dès en amont de la signature des accords commerciaux, et non pas seulement par le biais d'une évaluation de l'impact sur leur économie des accords. L'alinéa 18 serait ainsi rédigé : « Invite la Commission européenne à prendre en compte la spécificité des régions ultrapériphériques dans sa politique commerciale et, dans ce cadre, à évaluer systématiquement les effets sur les régions ultrapériphériques des accords commerciaux qu'il lui revient de négocier, particulièrement grâce à des études d'impact préalables à l'échange d'offres. »