Intervention de Jean-Daniel Guyot

Commission des affaires européennes — Réunion du 9 juin 2016 à 10h00
Économie finances et fiscalité — Union européenne et enjeux du numérique - Audition conjointe avec la commission de la culture de l'éducation et de la communication et la commission des affaires économiques

Jean-Daniel Guyot, membre du conseil d'administration de France Digitale :

Merci, mesdames, messieurs les sénateurs, pour votre invitation. Notre association, assez unique au monde, regroupe la plupart des fonds d'investissement français et environ 800 start up. Nous portons leur voix dans le débat public sur les sujets qui intéressent ces acteurs.

Je suis aussi fondateur et président de Captain Train, une start up qu'un concurrent anglais vient d'acquérir dans l'une des plus grosses opérations de ce genre à avoir eu lieu en France. Nous vendons des billets de train en Europe et non pas seulement en France. De multiples nationalités européennes sont donc représentées dans notre équipe, qui est dirigée conjointement par un Français et un Allemand.

Les termes « industrie numérique », utilisés dans votre question, me gênent beaucoup. Ils reflètent en effet une image très répandue en Europe de la révolution numérique : il faudrait numériser les industries existantes, ce ne serait qu'une étape dans la vie des vieux géants industriels actuels. Cette image est complètement fausse ; il faut éviter ce piège. Ce n'est en effet pas du tout ce qui se passe, par exemple, outre-Atlantique : de nombreux acteurs apparaissent alors que d'anciens acteurs sont amenés à mourir. C'est ce changement douloureux, mais puissant qu'il faut accompagner le mieux possible.

Deux questions sont en revanche légitimes et peuvent recevoir une réponse. Comment faire, d'une part, pour que des Français prennent leur place dans l'économie numérique en Europe ? Comment faire, d'autre part, pour que l'économie numérique européenne soit forte ?

Sur la première question, je ferai d'abord remarquer qu'il n'y a pas aujourd'hui d'exemple majeur, hormis Blablacar, de nouvelle société française qui soit devenue un géant européen. La principale raison de cet état de fait est qu'il est extrêmement compliqué de faire grandir son entreprise à l'échelle européenne. En effet, il s'agit d'une multitude de marchés. Dans le cas de Captain Train, nous n'avons pas encore de bureaux en Espagne, en Italie ou en Allemagne, alors que nous vendons des billets dans ces pays, parce qu'il faudrait créer une nouvelle société dans chaque pays. Les législations nationales sont différentes, de même que les contrats de travail, les agences de protection des données, etc. Il n'y a ni contrat de travail européen ni statut de société européen. L'Europe n'a pas complètement fait son travail. CesPour répondre à la seconde question, trois grands sujets sont essentiels : la technologie, le financement et les ressources humaines.

Le problème de la technologie, qui était encore problématique il y a dix ou quinze ans, a été réglé. Les États n'y peuvent plus grand-chose. Il n'y a plus de divergence entre les différentes parties du globe quant à l'accès aux technologies nécessaires.

Quant au financement, l'Europe est en train de rattraper ses concurrents grâce à une importante initiative publique. Pourtant, l'enfer est pavé de bonnes intentions : souvent, l'apport massif d'argent public, en France par le biais de Bpifrance, empêche les investisseurs privés de grandir aussi vite qu'ils le souhaiteraient. Les réseaux d'investissement américains, qui se sont construits eux-mêmes, vont aujourd'hui sur le marché européen et les réseaux européens ne peuvent faire le poids face à eux.

Enfin, la question des ressources humaines est extrêmement large, de la législation à la culture du travail. On assiste à une croissance extrêmement rapide des acteurs du secteur : Uber, bien sûr, mais aussi Amazon, qui embauche des dizaines de milliers de personnes chaque mois. Construire ce type de sociétés demande un travail gigantesque de ressources humaines ; or personne n'a cette expérience en Europe. On ne peut faire grand-chose, sinon simplifier le droit du travail, l'unifier à l'échelle européenne et prier pour que nous rattrapions notre retard.

On se congratule beaucoup de la numérisation en cours en Europe, ainsi que du développement de réseaux et de sociétés, mais la situation reste assez mauvaise en comparaison avec les États-Unis ou même la Chine. Le risque d'être complètement « mangés » avant de pouvoir construire des géants de l'Internet existe.

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