Dès mai 2015, une table ronde avait été organisée au Sénat sur ce même thème. La résolution que vous avez adoptée le 30 juin 2015, un mois à peine après les annonces de la Commission européenne sur sa stratégie numérique, notait que, en dépit des bonnes intentions affichées, aucune avancée concrète ne figurait dans ces annonces.
Le moment est donc bien venu de tirer un nouveau bilan, car des avancées réelles ont eu lieu depuis. Certes, elles vont plus dans le sens d'un marché unique que d'une politique industrielle volontariste, qui reste largement subordonnée à la capacité de la France et de l'Allemagne de travailler ensemble et de susciter l'adhésion de nos partenaires.
Ce sont là néanmoins des choix politiques qui ne relèvent pas d'une simple autorité indépendante comme l'ARCEP. Nous veillons simplement à essayer d'atteindre au mieux les objectifs qui nous sont fixés par la loi, conformément au droit européen : promouvoir l'investissement et l'innovation, veiller à une concurrence équitable, etc.
Je veux donc récapituler ce qui a été fait depuis un an, y compris les décisions qui attendent encore leurs textes d'application, ce qui est en cours et ce qui, malheureusement, n'est pas encore mûr alors même qu'il s'agit parfois du plus important.
Pour ce qui est fait, je voudrais d'abord saluer l'important règlement sur la protection des données personnelles du 27 avril 2016. Je parlerai un peu plus longuement du règlement du 25 novembre 2015.
Il entend, en premier lieu, introduire un Internet ouvert par des dispositions portant sur trois secteurs : les pratiques commerciales, la gestion du trafic et les services spécialisés. Ce règlement confie aux autorités de régulation nationales le soin de veiller à la bonne application de ces dispositions. On risque donc d'avoir 28 interprétations différentes de ce règlement somme toute assez large. Pour éviter ce problème, l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) se voit confier le soin d'établir des lignes directrices ; elles ont été tout récemment soumises à la consultation publique. Elles portent notamment sur la pratique du zero rating et sur les conditions dans lesquelles peuvent être créés des services spécialisés. Ces lignes directrices ont déjà suscité des réactions parfois assez vives.
Ce règlement porte en second lieu sur la suppression des frais d'itinérance en Europe. Une baisse très sensible de ces frais a déjà eu lieu au printemps dernier ; leur suppression est quant à elle subordonnée à l'adoption de textes d'application, qui seront cruciaux pour déterminer la portée effective de cette mesure.
J'en viens à ce qui est en cours, c'est-à-dire aux domaines où la Commission a déjà publié des propositions de règlement ou de directive. La révision de la directive sur les services audiovisuels ne concerne pas l'ARCEP. En revanche, nous sommes attentifs à la proposition de règlement relatif à la livraison transfrontalière de colis. Elle tend à créer des obligations spécifiques qui peuvent être assez sensibles pour l'opérateur de service universel, notamment en matière de tarifs des frais terminaux pour la distribution de colis en provenance d'autres États membres. Par ailleurs, une proposition de règlement a été tout récemment publiée, visant à contrer les pratiques dites de « geoblocking », consistant à interdire aux non-résidents de faire des achats sur des sites marchands d'un pays donné.
J'en viens au projet de quatrième « paquet Télécom ». Il sera déposé en septembre prochain, sous forme de proposition de règlement ou de directive. Nous savons d'ores et déjà qu'il portera sur cinq points.
Un premier point, assez essentiel, concernera la connectivité. Nous espérons qu'il respectera le principe du « mieux légiférer », c'est-à-dire qu'il préservera les capacités d'action à l'échelon national. En effet, les réseaux s'inscrivent dans des réalités physiques qui diffèrent d'un État à l'autre. Alors que le récent rapport de la Commission sur ce sujet situe la France dans le fond de la classe, pour des raisons circonstancielles d'ailleurs, il semble que cette révision du cadre réglementaire devrait s'inspirer du modèle français de cadre symétrique pour le développement de la fibre optique FttH et imposer des obligations à tous les opérateurs. On peut aussi espérer que cette proposition admette la nécessité de fonds publics, tels ceux qui passent, en France, par les réseaux d'initiative publique (RIP), et même assouplisse quelque peu le contrôle des aides d'État en la matière.
Le deuxième point de ce « paquet Télécom » concerne le spectre. Dans ce domaine, l'urgence est d'harmoniser les calendriers de libération des fréquences, notamment dans la bande des 700 MHz, où la France et l'Allemagne ont ouvert la voie.
Le troisième point est le périmètre du cadre réglementaire. Le moment paraît en effet venu de soumettre à des réglementations identiques des services similaires, quelle que soit la nature du fournisseur. Je pense notamment à Skype ou à WhatsApp.
Le quatrième point a trait au service universel. Le moment ne serait-il pas venu d'y inclure l'accès à l'Internet à haut débit ? Faudrait-il étendre à tous les opérateurs les dispositions favorisant l'accès des handicapés au réseau ?
Enfin, le cinquième point concerne les questions institutionnelles. Il est probable que cette proposition va accroître le rôle et les moyens de l'ORECE. Il pourrait notamment être amené à rendre systématiquement des avis sur les problèmes qui se posent et les solutions possibles préalablement à chaque initiative législative de la commission.
J'en viens à ce qui n'est pas encore suffisamment mûr pour une initiative européenne, alors même que l'Union constitue l'échelle optimale pour traiter ces problèmes. Je parle là bien sûr de la régulation des plateformes. La notion même de « plateforme » comprend un large éventail de modèles : moteur de recherche, magasin d'applications, comparateur de prix, etc. Tous ont pour point commun de créer une forme de relation entre des utilisateurs et des contenus ou services développés par des tiers.
De nombreuses définitions en ont été proposées : il est dès lors assez remarquable que la dernière communication de la Commission renonce à les définir. La définition la plus opérationnelle à ce jour est celle donnée dans le projet de loi pour une République numérique.
Il existe un consensus pour reconnaître qu'il ne serait possible de traiter au mieux cette question qu'au niveau européen, face aux géants américains que sont les GAFA, sans même mentionner les géants asiatiques tels Baidu ou Alibaba. Certes, il est possible de poser à l'échelon national un principe de loyauté des plateformes à l'égard des consommateurs, comme le fait le projet de loi pour une République numérique. Néanmoins, comme l'a relevé l'ARCEP dans son avis, on ne peut guère aller au-delà en l'état, car une réglementation purement nationale risquerait d'être facilement contournée et pénaliserait surtout les plateformes françaises comme Blablacar ou Le Bon Coin.
Le Conseil d'État a par ailleurs souligné d'éventuels problèmes de compatibilité si l'on étendait cette protection, au-delà des consommateurs, aux professionnels, qui en ont pourtant bien besoin. Être victime d'un déréférencement brutal peut représenter un désastre pour une PME !
Malheureusement, il n'existe encore de consensus européen ni sur la nécessité d'une régulation spécifique des plateformes ni a fortiori sur les formes qu'elle pourrait prendre. Plus d'une dizaine d'États, emmenés par le Royaume-Uni, sont vigoureusement hostiles à une régulation spécifique des plateformes. Nous avons noté avec intérêt le Livre vert du ministère allemand de l'économie, publié le 30 mai dernier, qui souligne que la situation de certaines plateformes est proche du monopole. Il demande si les outils existants du droit de la concurrence suffisent et annonce des solutions concrètes dans un prochain Livre blanc. Les préoccupations allemandes semblent sur ce point très proches de celles de la France.
La Commission européenne, quant à elle, semblait encore récemment partagée entre une approche horizontale et une approche verticale. Dans sa communication du 25 mai, elle semble trancher en faveur d'une approche sectorielle verticale et met en avant des mesures d'autorégulation, par exemple pour lutter contre les contenus haineux ou assurer la protection des mineurs par l'instauration de codes de bonne conduite. Selon la Commission, au moins un point nécessite une réglementation : la nécessité d'une concurrence équitable, pour des services similaires, entre les opérateurs de télécommunications et ce qu'on appelle les « services par contournement », ou « over the top » (OTT). Cela devrait être inclus dans le prochain « paquet Télécom ».
Il reste que, même dans une approche fondée, comme le propose la Commission, sur le traitement pragmatique des problèmes, il faut se doter des outils nécessaires pour détecter ces derniers et les analyser, afin de pouvoir ensuite les traiter, si nécessaire. Il me semble donc que la proposition du Conseil national du numérique (CNNum), consistant à promouvoir un système de notation des plateformes, permettrait de mieux connaître ces problèmes et de mettre une certaine pression sur les acteurs. Nous la jugeons donc intéressante.
Enfin, l'année 2017 sera à mon sens déterminante pour nombre de ces chantiers. Je me réjouis à cet égard de ce que le président de l'ARCEP présidera l'ORECE l'an prochain.