Intervention de Célia Zolynski

Commission des affaires européennes — Réunion du 9 juin 2016 à 10h00
Économie finances et fiscalité — Union européenne et enjeux du numérique - Audition conjointe avec la commission de la culture de l'éducation et de la communication et la commission des affaires économiques

Célia Zolynski, professeur agrégée de droit privé à l'université Versailles-Saint-Quentin, membre du Conseil national du numérique et du comité de prospective de la CNIL :

Merci de m'accueillir, mesdames, messieurs les Sénateurs, pour ce rapide panorama des propositions qui, selon le CNNum, doivent être portées au niveau de l'Union européenne afin de penser la régulation de l'économie numérique et, plus spécifiquement, dans le prolongement des propos tenus à l'instant, une régulation efficiente des plateformes.

Ces plateformes jouent, au sein de l'économie numérique, un rôle de prescripteur, qui conduit à s'interroger sur leur encadrement. Si le principe de leur régulation ne fait plus de doute, il convient de mieux penser les approches régulatoires à retenir, la portée de la régulation ou encore les instruments permettant sa mise en oeuvre.

S'agissant de ces approches, deux méthodes existent, toutes deux poussées par le Parlement européen dans sa résolution de janvier 2016. La première, uniforme et transversale, vise à consacrer un principe de loyauté pour toutes les plateformes. Elle peut être complétée par la seconde, l'approche en silo, déjà évoquée par Mme Lombard.

La portée de la régulation doit concerner à la fois les rapports entre plateformes et consommateurs et les rapports entre plateformes et professionnels, compte tenu du rôle acquis par des infomédiaires qui se sont transformés en points d'entrée sur le marché, et pour éviter tout phénomène de dépendance à leur égard.

S'agissant des instruments de la régulation, enfin, les législateurs et régulateurs souhaitent se doter d'instruments d'observation du trafic, des données, des outils de quantification des pratiques, du marché et de son évolution. Or ces instruments font défaut à l'heure actuelle. Le CNNum a donc proposé la création d'une agence européenne de notation de la loyauté, qui prendrait la forme d'une plateforme appuyée sur un réseau ouvert de contributeurs et fonctionnant selon une logique participative.

Cette proposition présente un intérêt multiple : elle permettrait de rendre accessibles, via une plateforme, des signalements de pratiques contraires à la loyauté, remontant des associations de consommateurs, des acteurs de l'Internet citoyen, des consommateurs et utilisateurs, voire des entreprises ; ces informations pourraient agir sur la réputation des plateformes et assurer la promotion des acteurs les plus vertueux, en leur permettant de faire de la loyauté un avantage compétitif ; elles pourraient être prises en compte par les investisseurs, publics et privés, à l'image des informations relatives à la responsabilité environnementale.

Une convergence de vues paraît émerger, aujourd'hui, en Europe sur ces différents points.

En France, la vision a été portée au travers de différents travaux et votes parlementaires - je pense notamment au projet de loi pour une République numérique.

Mais elle est partagée par différents États membres, comme l'illustre un récent rapport de la Chambre des lords britannique.

Bien que le Royaume-Uni soit réputé pour sa position libérale en matière de régulation de ces pratiques, ce rapport se prononce en faveur de la création de règles sectorielles très fortes, visant à réguler certains marchés, notamment celui de l'hôtellerie. Il met l'accent sur la nécessité de promouvoir une plus grande transparence, au bénéfice de l'information du consommateur dans sa relation avec les plateformes. Il propose de porter la composition d'un panel d'experts chargés d'objectiver les pratiques.

Cette vision paraît également, en certains points, partagée par la Commission européenne. En attestent les communications récentes - rappelées par Mme Lombard - sur la promotion du commerce électronique dans l'Union européenne, sur « les plateformes en ligne et le marché unique du numérique : opportunités et défis pour l'Europe » ou encore sur les plateformes collaboratives.

Il ressort de ces textes, qui prolongent la consultation publique lancée par la Commission européenne à la fin de 2015, que celle-ci a bien dressé la liste des problèmes : asymétrie informationnelle et déséquilibre contractuel, manque de transparence, risque de discrimination dans les rapports entretenus par les plateformes avec les consommateurs, mais également avec les professionnels.

La Commission semble se montrer favorable à une régulation portant sur ces deux types de rapports. Elle propose de promouvoir une meilleure transparence des pratiques, ce qui mérite d'être salué. Le consommateur serait ainsi mis en capacité de faire un choix éclairé, par le contrôle des risques de biais et de manipulation.

Pour cela, la Commission entend réformer l'acquis. Elle porte une approche par silo, consistant, par exemple, à encadrer différemment les plateformes à but lucratif et les plateformes acteurs de l'économie du partage. Elle propose aussi de réaliser une revue globale de l'acquis, notamment en adaptant sa législation sur les pratiques commerciales déloyales. Enfin, elle propose de renforcer le respect de la réglementation en encourageant une approche ex post visant à réformer les structures de règlement alternatif des conflits, sans évoquer la nécessité de garantir la portabilité pour éviter l'enfermement des écosystèmes captifs.

Outre ces réformes portant sur la réglementation, la Commission souhaite s'appuyer sur d'autres leviers de régulation, ces instruments de soft law et bonnes pratiques à promouvoir ayant été rappelés.

Cette approche croisée de la régulation et de la co-régulation doit être encouragée. Pour autant, elle n'est pas suffisante, en raison de son caractère assez réactif.

Il est essentiel que l'Union européenne porte une véritable stratégie proactive numérique, d'autant que l'inertie dont elle a fait preuve jusqu'à présent - on constate beaucoup d'effets d'annonce et de réformes réactives - tranche avec la stratégie très active mise en oeuvre par les États-Unis, depuis 50 ans, sur le sujet.

Cette absence de stratégie d'envergure européenne tient à l'absence de structure dédiée à la construction d'une vision à l'échelle européenne. Les idées émanant des collectifs informels sont insuffisamment récupérées, tandis que les informations remontant du lobbying classique, des grandes plateformes ou des start up, parce qu'elles portent des intérêts particuliers, ne permettent pas une approche suffisamment transversale pour servir de base à la construction d'une politique industrielle pour l'Union européenne.

Dès lors, il faut de toute urgence structurer des réseaux de réflexion au niveau européen, créer de véritables courroies de transmission entre les autorités de l'Union européenne et les écosystèmes numériques pour porter de nouvelles propositions, de nouvelles visions et des solutions innovantes en vue de la fondation d'une véritable politique industrielle européenne. Ces réseaux doivent être structurés autour d'une interface avec l'écosystème numérique, comme le propose le commissaire européen Günter Oettinger.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion