Intervention de Colette Mélot

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 juin 2014 à 15h00
Éducation — Union européenne et éducation : les moocs une urgence stratégique - communication de mme colette mélot

Photo de Colette MélotColette Mélot :

Les cours en ligne représentent une évolution pédagogique majeure susceptible de transformer à terme l'ensemble des systèmes éducatifs existants, dont l'Union européenne devrait prendre la mesure. Il y a urgence dans ce secteur très concurrentiel. L'acronyme MOOC désigne les Massive Online Open Courses, c'est-à-dire les cours en ligne ouverts à tous. Accessibles gratuitement, sans condition et librement sur internet, les MOOCs peuvent donner lieu à certification, payante ou non. C'est une des modalités de l'enseignement en ligne ou e-learning, mais beaucoup plus massive que les outils pédagogiques précédents.

Si le terme existe depuis 2008, le phénomène a véritablement démarré en novembre 2011, par un cours dispensé à Stanford ayant réuni 160 000 étudiants au lieu des 10 000 attendus, et que 23 000 ont terminé. Cet aspect massif donne une visibilité inédite à un enseignement et oblige à développer en retour une nouvelle pédagogie. Par l'intermédiaire de forums, de véritables communautés se créent à chaque nouveau MOOC : le professeur peut proposer des rendez-vous virtuels où chaque étudiant est invité à dialoguer avec lui ; la vidéo est souvent accompagnée d'exercices en ligne où les élèves s'autoévaluent ; en cas de difficultés, l'étudiant peut s'adresser au forum créé ad hoc, souvent modéré non par les professeurs mais par les étudiants eux-mêmes. Une innovation de la start-up Open Class Room invite chacun à corriger trois copies avant d'obtenir sa propre note à l'examen, ce qui a à la fois un intérêt pédagogique et pratique : chacun peut prendre conscience de ses erreurs, tout en ayant une copie corrigée trois fois, les écarts de notation étant analysés automatiquement.

Le MOOC est plein de paradoxes : massif, il permet une personnalisation du cours, chacun pouvant visionner le cours à son rythme ou s'entraîner sur les exercices d'application autant de fois qu'il en est nécessaire. Il est virtuel, mais créateur de lien social via des forums. Il est accessible librement mais présente un cadre construit qui diffère des ressources pédagogiques libres. Il a en effet une date de début et une date de fin et se déroule selon un ordre précis.

Le MOOC présente des opportunités majeures. Il touche de nouveaux publics auxquels la socialisation apporte une motivation inédite, que ce soit en formation initiale - personnes handicapées ou éloignées de centres d'enseignement nationaux ou même mondiaux - ou en formation continue. Il génère de nouveaux contenus pédagogiques : en matière de santé publique, par exemple, commencent à être créés des modules s'adressant aux personnes victimes de maladies chroniques ou à leurs proches. On en a même expérimenté dans des camps de réfugiés, comme à Dabaad au Kenya, qui accueille 400 000 réfugiés somaliens. Les MOOCs encouragent tous les intervenants à une stratégie de l'excellence : les universités ont tout intérêt à mutualiser leurs efforts pour produire des cours de qualité. Les étudiants peuvent organiser leurs cursus par une sélection rigoureuse des meilleurs MOOCs, auxquels ils peuvent s'inscrire en masse tout en ne validant que les plus opportuns. Rappelons qu'aujourd'hui en France un étudiant sur deux n'obtiendra pas de diplôme lié au cours qu'il suit : 20 % ne seront pas diplômés et 30 % valideront un autre cursus. Les MOOCs pourraient aussi générer de substantielles économies d'échelle, dispensant la plupart des universités d'organiser un cours d'introduction à l'économie, mais permettant à un même étudiant de suivre plusieurs cours d'introduction afin de décider dans quel cursus s'engager.

Le modèle économique des MOOCs reste cependant aujourd'hui encore incertain. Ils coûtent cher : entre 50 000 euros et un peu plus de 100 000 euros en France et jusqu'à 300 000 dollars pour des sessions de vingt-cinq semaines aux États-Unis. Les universités françaises disposent d'un avantage concurrentiel, ne dépendant pas des droits d'inscription. La moitié du coût relève du fonctionnement ; l'autre moitié est donc un coût non-récurrent que l'on peut amortir par plusieurs rééditions, le ramenant à un prix plus raisonnable. Le coût par étudiant n'est pas si élevé, les effectifs étant multipliés par dix ou par cent. Si la certification peut être payante, elle ne suffit pas pour l'instant, étant donné le faible taux de complétion des MOOCs, seuls 5 à 10% des étudiants parvenant en moyenne à l'examen final. Aux États-Unis, il s'est d'abord agi d'une vitrine pour attirer de nouveaux étudiants, mais ce gadget marketing a acquis peu à peu son autonomie : l'université de Georgia Tech a désormais un master qui peut être obtenu entièrement en ligne et pour un moindre coût.

Après une phase d'engouement, la plupart des universités, désormais sur la réserve, évoluent vers des modèles hybrides. Des entreprises privées lancent des partenariats avec les universités pour mettre en place des Small Private Online Courses (Spoc), tel Starbucks avec l'Université d'Arizona (ASU) pour proposer gratuitement des cours à ses employés américains sans obligation de rester dans l'entreprise une fois le diplôme obtenu. Le Spoc est aussi une façon d'augmenter le taux de complétion comme à l'Université de San José en partenariat avec la plateforme edX, où 91 % des étudiants ont réussi leur examen contre 65 % dans un cursus classique, tandis que la majorité avait échoué au MOOC Udacity.

Un autre modèle économique émerge : celui de la vente des données, notamment aux recruteurs, qui peuvent ainsi dresser une typologie des étudiants. Cela pose des problèmes en termes de protection des données et de droits d'auteur, dont l'échelle pertinente ne peut être que l'Union européenne. Ses initiatives tant réglementaires que de soutien sont cependant limitées et risquent d'intervenir après le développement spontané du marché.

Les MOOCs représentent donc des enjeux majeurs qui touchent à la souveraineté nationale : dans ce nouveau modèle éducatif, Harvard concurrence chaque université française. Le marché a été pour l'instant dominé en Europe par les grandes plateformes américaines, auxquelles se sont ajoutées des initiatives nationales, privées ou publiques. L'étude du marché américain nous éclaire sur les évolutions à venir, l'Europe ayant aujourd'hui, selon les estimations, entre six mois et un an de retard. Avec un développement extrêmement rapide, la prime aux premiers entrants est considérable : les plateformes aujourd'hui leaders du marché sont les trois premières, créées aux États-Unis entre février et mai 2012. La première est Coursera, une entreprise privée qui en draine aujourd'hui près de la moitié et réunissait en un peu plus d'un an d'activité plus de 4 millions d'utilisateurs. La seconde est edX, une organisation à but non lucratif fondée conjointement par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Harvard. Vient ensuite la plateforme Udacity, elle encore une entreprise américaine. Se lancent aujourd'hui des entreprises telles que Google avec Mooc.org et Microsoft avec Microsoft Virtual Academy.

Depuis le début de l'année 2013, de nombreux MOOCs ont eu lieu en Europe, dont la plupart sur les grandes plateformes américaines ou via des portails propres aux universités. Certaines initiatives de plateformes nationales ont été lancées : MiriadaX, en Espagne, est un portail de MOOCs hispanophones réunissant des universités espagnoles ou sud-américaines, créé en 2012 par le géant des télécoms espagnol Telefonica. En Allemagne, Iversity, une startup berlinoise fondée en 2011, s'est reconvertie en plateforme de MOOCs. Au Royaume-Uni, l'initiative de la plateforme Future Learn revient à l'Open University, institution d'enseignement à distance créée en 1969. En France, France Université Numérique (FUN) a été lancée en octobre 2013 par le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. Par ailleurs, conformément aux évolutions constatées sur le marché américain, de nouveaux acteurs privés émergent aujourd'hui : Orange par exemple a inauguré en février dernier Solerni, sa propre plateforme.

Ces plateformes nationales vont devoir atteindre rapidement une taille critique afin de s'imposer à l'échelle internationale. Le risque de voir les plateformes américaines prendre une avance croissante est bien réel. Coursera et edX ont déjà de nombreux partenariats avec de prestigieuses écoles européennes, ce qui leur apporte une visibilité à l'échelle mondiale dont aucune plateforme européenne ne peut aujourd'hui se prévaloir. Pour le moment, aucune initiative européenne ne vise à coordonner les quelques plateformes nationales qui émergent. La structuration du marché européen en quelques champions régionaux s'annonce pourtant. Pour la France s'ajoute par ailleurs un enjeu stratégique lié à la Francophonie, à l'instar de l'Espagne avec l'Amérique du Sud.

À l'échelle de l'Union européenne, l'Association européenne des universités d'enseignement à distance a ouvert en avril 2013 OpenupED avec le soutien de la Commission, non une plateforme mais un portail - un annuaire recensant les MOOCs - qui a rencontré peu de succès. Lancé en septembre 2013, Open Education Europa est le nouveau portail de la Commission européenne consacré à l'éducation ouverte européenne. La faible affluence sur le site peut faire douter de la valeur ajoutée de ce simple portail. Le 14 avril dernier a été lancé un agrégateur européen de MOOC multilingue, l'European Multiple Mooc Aggregator (EMMA), pour 5 millions d'euros, financé pour moitié par l'Union Européenne et coordonné par le groupe Federica Web Learning de l'université de Naples. Son objectif est de lancer 16 MOOCs dans sept langues différentes pour un total d'utilisateurs de 60 000 personnes, chiffres peu ambitieux.

Dans un contexte de restriction budgétaire où seize États membres ont diminué leurs investissements dans l'éducation entre 2008 et 2011, les MOOCs présentent un fort potentiel. Comme nos interlocuteurs nous l'ont indiqué lors de notre déplacement à Bruxelles, la Commission européenne, pour l'instant, a surtout lancé le débat. Après sa communication « repenser l'éducation » d'octobre 2012, elle a insisté sur le rôle de l'évolution numérique dans l'éducation dans sa communication « ouvrir l'éducation » de juillet 2013. En ce qui concerne les financements, les appels d'offre viennent d'être lancés et rien ne devrait être mis en place avant 2015. Les MOOCs sont actuellement éligibles aux fonds structurels mais les financements proposés ne peuvent couvrir que 20 % du projet et donc être des compléments de financement.

Enfin, le cadre européen actuel n'aborde les MOOCs que de façon incidente : la Commission européenne a proposé en janvier 2012 une réforme de la directive sur la protection des données personnelles. Le règlement européen voté par le Parlement en mars dernier n'intègre pas la spécificité des MOOCs, ceux-ci ayant émergé postérieurement à son élaboration. Une révision de la directive sur les droits d'auteur est en cours à la Commission européenne : l'actuelle directive intègre une exception pour les matériaux à des fins éducatives mais assez restreinte, mais il n'est malheureusement pas prévu de l'étendre. Enfin, le processus de Bologne à la base du système de reconnaissance des crédits European Credit Transfer Unit (ECTS), lui-aussi en cours de réexamen, ne devrait pas non plus en tenir compte de façon particulière.

C'est bien de la souveraineté des États européens dont il s'agit. L'Union européenne doit se doter d'un cadre adapté pour favoriser le développement des cours en ligne en Europe sans le freiner, tout en préservant le contrôle des États membres sur leurs propres systèmes éducatifs.

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