Intervention de Bernadette Bourzai

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 juin 2014 à 15h00
Économie finances et fiscalité — Énergie - taxation de l'énergie - proposition de résolution européenne de mme bernadette bourzai

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Cela fait plusieurs mois que je travaille sur ce sujet, mais je crains que vous n'ayez encore à y travailler longtemps. Le texte européen aura sans doute du mal à voir le jour, mais il est particulièrement d'actualité. Comme vous le savez, la Commission européenne a présenté le 13 avril 2011 - trois ans déjà - une proposition de directive visant à modifier les règles de la taxation de l'énergie dans l'Union européenne. L'objectif de la Commission était de réformer le cadre existant de la taxation afin de corriger les déséquilibres actuels d'une énergie à l'autre et d'un pays à l'autre et de mieux prendre en considération le contenu énergétique des produits et les émissions de CO2 qu'ils entraînent.

La Commission souhaite en effet encourager l'efficacité énergétique et la consommation de produits plus respectueux de l'environnement tout en évitant les distorsions de concurrence sur le marché intérieur. Actuellement, la taxation de l'énergie est régie par la directive de 2003 qui a déjà élargi le champ d'application du régime de taux minimum pour l'énergie à tous les produits énergétiques. Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l'électricité aujourd'hui ne peuvent être inférieurs aux niveaux minimaux prévus par la directive. Cependant depuis l'adoption de la directive de 2003, le cadre dans lequel elle s'exerce a fortement évolué sous l'influence des progrès technologiques, mais aussi grâce à la prise de conscience plus aigüe de la nécessité d'oeuvrer en faveur de la réduction des émissions des gaz à effet de serre.

Il s'en est suivi, dans le domaine de la consommation de l'énergie et de la lutte contre le changement climatique, des objectifs ambitieux définis jusqu'à 2020 dans le cadre du Paquet Énergie et climat adopté en 2009. La taxation de l'énergie constitue l'un des instruments dont disposent les États membres pour atteindre les objectifs fixés à la fois par ce paquet et par le Protocole de Kyoto. Aujourd'hui, dans son paquet Climat-énergie 2030, la Commission propose de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 ; l'Ademe nous a assuré que c'était un objectif réaliste.

Traditionnellement, la taxation de l'énergie répond à plusieurs objectifs, dont le principal est de générer des recettes pour l'État, mais aujourd'hui, il s'agit surtout d'inciter les consommateurs à utiliser l'énergie de manière plus efficace et à recourir à des sources d'énergie plus propres afin de lutter contre la pollution et contre son corollaire, le réchauffement climatique. Il faut reconnaître d'emblée que ce projet de directive contient en germe une augmentation générale du coût de l'énergie pour les ménages comme pour les entreprises ; c'est pourquoi le projet avance très lentement. Enfin on rappellera aussi que s'agissant de fiscalité, l'unanimité est nécessaire au sein du Conseil, ce qui rend la négociation d'autant plus difficile.

L'objectif de la réforme est triple : garantir un traitement fiscal cohérent des différentes sources d'énergie afin d'assurer une réelle égalité de traitement des consommateurs d'énergie, indépendamment de la source utilisée, ce qui passe par un alignement des taux pour les produits soumis à un même usage ; mettre en place un cadre adapté pour la taxation des énergies renouvelables ; créer un cadre pour la taxation du CO2 afin de compléter le signal de prix lié au carbone.

Cette réforme est rendue nécessaire d'abord car les niveaux minimaux de taxation varient considérablement d'un produit à l'autre. Certains produits sont favorisés par rapport à d'autres, le traitement le plus favorable étant réservé, contre toute attente, au charbon. Ensuite, il n'y a pas actuellement de lien adéquat entre le signal de prix donné par les niveaux minimaux de taxation fixés par la directive de 2003 et la nécessité de lutter contre le changement climatique. Troisièmement, bien que les combustibles et carburants provenant de sources renouvelables représentent une part de marché croissante, leur traitement fiscal au titre de l'actuelle directive se fonde toujours sur des règles définies à une époque où ils étaient des produits rares sur le marché. Le contenu énergétique plus faible de ces produits n'est de plus pas pris en compte, ce qui signifie que pour un taux de taxation identique, les taxes sur ces produits sont proportionnellement plus lourdes que celles qui frappent les produits fossiles concurrents. Enfin, les taxes sur l'énergie sont actuellement prélevées de la même manière dans tous les cas, que la limitation des émissions de CO2 soit assurée ou non par le régime d'échange de quotas. Il s'ensuit que les mécanismes destinés à limiter ces émissions prévus par la législation de l'Union peuvent se chevaucher ou faire totalement défaut.

La réforme proposée s'appuie sur une double taxation. Le Conseil envisage de distinguer la taxation de l'énergie spécifiquement liée aux émissions de CO2 résultant de la consommation de produits (taxation du CO2) et la taxation de l'énergie fondée sur le contenu énergétique des produits (taxation générale de la consommation d'énergie).

Deuxième point de la réforme : le principe absolu de la taxation du CO2, étendue aux produits énergétiques non couverts par la directive de 2003, sauf pour les entreprises déjà concernées par le régime des quotas.

Troisième proposition : une augmentation sensible de la taxation de l'énergie. Le projet révise les niveaux minimaux de taxation moyennant des périodes transitoires : 20 euros pour la tonne de CO2, 9,6 euros par gigajoule utilisé comme carburant et 0,15 euros par gigajoule utilisé comme combustible.

Quatrièmement : la proportionnalité de la taxation des carburants. Les États membres auraient l'obligation de reproduire dans leurs niveaux de taxation nationaux le rapport qui existe entre les niveaux minimaux de taxation fixés dans la directive pour les différentes sources d'énergie. Il s'agit de garantir que le traitement cohérent des différentes sources d'énergie s'applique également en ce qui concerne les niveaux de taxation fixés à l'échelon national. Pour les carburants, une période de transition sera nécessaire.

Le principe de l'égalité de la taxation des carburants est également affirmé. La possibilité pour les États membres d'opérer une différence entre le gazole à usage commercial et le gazole à usage privé utilisé comme carburant serait supprimée, car cette possibilité n'est plus jugée compatible avec l'exigence d'améliorer l'efficacité énergétique et la nécessité de limiter l'incidence croissante du transport sur la dégradation de l'environnement.

Enfin, dans un souci de simplification, le projet met fin à la distinction entre usages commerciaux et usages privés des produits énergétiques utilisés pour la production de chaleur et d'électricité. Les produits utilisés à un même usage - carburant ou combustible - se verraient appliquer les mêmes taux de taxation pour la part CO2 et la part énergie lorsque la directive fixe des minima de taxation identiques pour ces produits. En France, cela conduirait à faire converger rapidement les niveaux de taxation de l'essence et du gazole. Le projet de directive limite en outre les possibilités de réduction des taux et d'exonération au seul volet énergie de la taxe. La part liée au contenu carbone serait supportée de manière universelle et absolue par tous les acteurs économiques, y compris dans l'agriculture ou dans l'industrie non couverte par le régime des quotas introduit par le régime d'échange de quotas.

Le gouvernement français s'est dit très favorable à l'adoption d'une nouvelle directive permettant de taxer non seulement l'énergie mais également le CO2 émis. Il a toutefois exprimé une triple inquiétude. La France souhaite d'abord des aménagements ou des mesures d'accompagnement pour les secteurs qui seraient fortement affectés par la réforme : agriculture, pêche, transport routier, taxis, etc. Elle s'oppose ensuite à la suppression du mécanisme propre au gazole professionnel, rendu possible par la directive de 2003, qui fonde le remboursement des transporteurs routiers et autocaristes auquel procède aujourd'hui l'administration. Au nom du principe de libre administration des collectivités locales, elle s'oppose enfin à la limitation de 15 % des variations de taux autorisées par la proposition de directive au niveau régional.

Un mot sur l'état de la négociation. Tous les États membres ne l'abordent pas sur un pied d'égalité. Les États du Nord de l'Europe, en particulier la Suède et l'Allemagne, sont déjà bien avancés dans le domaine de la taxation du carbone par rapport au reste de l'Europe. La Pologne souhaite conserver la priorité donnée au charbon peu cher et peu taxé qui alimente ses centrales thermiques et éviter de dépendre davantage du gaz russe. La France et la Belgique ont pris du retard dans la taxation du carbone.

Sans surprise, la négociation se révèle très difficile, car une forte opposition au projet s'est manifestée dès le début des négociations. L'Allemagne, le Royaume-Uni, la Pologne, les Pays-Bas et le Luxembourg sont en effet hostiles à la restructuration de la taxe en deux composantes. Sur la question du gazole professionnel, la France est soutenue par l'Italie, la Belgique, le Luxembourg et l'Espagne, mais la position allemande diverge. L'Italie soutient également le taux réduit pour les chauffeurs de taxi.

La modulation infrarégionale des taux a le soutien de la France et de l'Espagne, mais la Belgique et l'Italie s'y opposent. La Belgique, l'Italie, la Lituanie, le Portugal et l'Espagne sont favorables au régime d'exonération pour le secteur agricole, mais se heurtent à l'Allemagne, l'Autriche, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède.

Le texte sur lequel nous travaillons désormais est par conséquent très éloigné du texte initial : la part carbone est devenue facultative ; le principe de proportionnalité a été supprimé ; le gazole professionnel a été réintroduit, ainsi qu'une mesure de sauvegarde pour les taxis. Restent en discussion le niveau des taux applicables, l'abaissement jusqu'à zéro du taux réduit pour le secteur agricole, la possibilité d'un traitement différencié pour les biocarburants durables, l'articulation de la taxation des entreprises grandes consommatrices d'énergie, du système ETS et de la double composante de la taxe. La modulation régionale devrait encore faire l'objet d'une discussion approfondie.

Le projet de directive a ainsi été vidé de ses objectifs initiaux. Les États membres, pourtant très favorables à une fiscalité écologique, craignent qu'il renchérisse le coût de l'énergie, mine la compétitivité de l'Europe, fragilise des secteurs économiques particulièrement dépendants du coût de l'énergie, complexifie le traitement social de la précarité énergétique, et opacifie les conséquences de la taxation des énergies renouvelables en quête d'investissements.

Un consensus pourrait se dégager autour du principe du signal-prix : les prix devant refléter l'ensemble des coûts, le consommateur doit savoir, grâce au prix dont il s'acquitte et quelle que soit l'énergie qu'il utilise, le niveau d'empreinte carbone qu'il laisse sur l'environnement.

L'introduction de ce type de taxation entraîne dans un premier temps une augmentation du coût de l'énergie. Celle-ci devrait être compensée par des baisses proportionnées d'autres prélèvements obligatoires. La voie la plus raisonnable consisterait à compenser plutôt qu'exonérer les ménages et secteurs menacés par cette augmentation. Le système suédois pourrait servir de modèle : l'introduction en 1991 d'une taxe carbone, couplée à la diminution de moitié de la fiscalité sur l'énergie, et à une baisse de la fiscalité sur le travail et l'impôt sur le revenu, a en effet permis d'améliorer la situation économique à court terme, sans nuire outre mesure au pouvoir d'achat des ménages les plus vulnérables ni à la compétitivité des entreprises. Entre 1990 et 2007, les émissions de CO2 ont diminué de 9 % et la croissance annuelle moyenne a atteint 3 %.

Dans la conjoncture actuelle, l'enjeu est de démontrer que l'introduction d'une taxe carbone au sein d'une réforme fiscale équitable permettrait de recréer rapidement de la valeur économique et de la cohésion sociale. Ce texte européen a donc le mérite de remettre au coeur du débat la taxation du carbone. À ce stade des négociations, il ne va pas plus loin et nous risquons d'en reparler.

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