Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 octobre 2012 : 1ère réunion
Institutions européennes — Les décisions du conseil constitutionnel et de la cour de karlsruhe relatives au tscg - communication de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Le projet de loi autorisant la ratification du TSCG vient à l'ordre du jour de notre assemblée la semaine prochaine. La commission des finances en est saisie au fond - à l'Assemblée nationale ce fut la commission des affaires étrangères. Nous ne pouvons être saisis pour avis sur un projet de loi ; c'est regrettable. Nous serons cependant présents en séance et j'userai pleinement du temps de parole que me donne le Règlement.

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 9 août, une décision très attendue, sur laquelle les spécialistes du droit constitutionnel étaient pour le moins partagés. L'article 88-1 de la Constitution précise : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. » N'était-il donc pas requis, dès lors qu'intervenait un nouveau traité, de réviser la Constitution, pour y faire référence ? Le Conseil en a jugé autrement, considérant que le TSCG est un traité intergouvernemental, qui ne se situe pas au même niveau que les traités européens visés à l'article 88-1, et qui se définit lui-même comme devant être interprété et appliqué conformément aux traités sur lesquels l'Union est fondée, ainsi que comme un traité transitoire, dont le contenu est appelé à être intégré ultérieurement dans le droit de l'Union. Un texte qui se situe en quelque sorte à mi-chemin entre le droit européen ordinaire et les traités européens proprement dits. Il suffit au reste que douze États membres, et non vingt-sept, le ratifient pour qu'il entre en vigueur.

Une jurisprudence constitutionnelle bien établie veut qu'une révision soit nécessaire dès lors qu'un traité met en cause « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ». Le Conseil a jugé que tel n'était pas le cas. Il s'était déjà prononcé dans ce sens, du reste, à quatre reprises, sur des traités européens comportant des règles contraignantes relatives au déficit budgétaire et à la dette.

Le juge constitutionnel souligne que le TSCG ne fait que reprendre, en les renforçant, des règles existantes. Celles qui concernent le déficit et la dette figurent déjà dans les traités. Le « six pack » de novembre 2011 limite déjà à 1 % le déficit structurel à moyen terme, le TSCG ne fait que ramener ce taux à 0,5 %. Il n'y a donc ni transfert de compétences vers l'Union, ni atteinte aux « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

L'aspect qui a le plus occupé le Conseil avait été fort peu évoqué. Le juge constitutionnel a considéré que la nouvelle règle limitant à 0,5 % le déficit structurel sur le moyen terme par des dispositions « permanentes et contraignantes » reviendrait à imposer un cadre pluriannuel contraire au principe constitutionnel de l'annualité budgétaire. Or, et c'est là que le raisonnement du Conseil constitutionnel devient subtil, à bien y regarder, le traité n'oblige pas absolument les États à prendre des mesures « contraignantes et permanentes » : il ouvre une alternative en évoquant des dispositions « dont le plein respect et la stricte observance sont garantis de quelque autre façon »... par exemple, par une modification appropriée du cadre organique des lois de finances sans modifier sa nature.

Le Conseil rappelle en outre que les traités ont, en vertu de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois : les objectifs du TSCG s'imposeront au Parlement. Il conclut que la France n'a pas à introduire dans le droit national des dispositions « permanentes et contraignantes » pour respecter les engagements du TSCG.

Cette décision ouvre une alternative entre révision constitutionnelle et changement du cadre organique. Mais dès lors que l'on choisit, comme l'ont fait le président de la République et le Gouvernement, de réviser la loi organique, la voie est étroite. Si les dispositions de la loi organique sont très contraignantes, le Conseil constitutionnel les jugera contraires à la Constitution. Si elles le sont peu, c'est la Cour de justice de l'Union qui les jugera contraires au traité. Il faudra peser minutieusement les termes... mais nous connaissons la sagacité de nos collègues de la commission des finances.

J'en viens à la décision de la Cour de Karlsruhe. Elle porte à la fois sur le mécanisme européen de stabilité et sur le TSCG. Je précise que la Cour s'est prononcée uniquement sur des demandes de suspension de la ratification - rejetant les recours - sans cependant statuer au fond.

C'est surtout la décision concernant le mécanisme européen de stabilité (MES) qui était attendue. Elle s'inscrit, sans surprise, dans la continuité des décisions antérieures, qui avaient mis en avant le principe de la responsabilité budgétaire du parlement allemand. La Cour a jugé le MES compatible avec la loi fondamentale, sous deux réserves : le montant de la contribution allemande ne pourra être augmenté qu'avec l'aval du parlement allemand ; aucune disposition de l'accord ne pourra faire échec au droit à l'information des deux chambres.

Ces deux réserves ont été validées par l'Eurogroupe jeudi dernier, qui a déclaré qu'« aucune disposition du traité ne peut être interprétée comme conduisant à des obligations de paiement plus élevées que la part de capital correspondant à chaque État membre, sans accord préalable des représentants de chaque État membre et conformément aux procédures nationales » et que « rien ne devra entraver la fourniture d'une information exhaustive aux parlements nationaux, tel que prévu dans la législation nationale ». Cette déclaration de portée générale étend à tous les parlements le bénéfice de la décision de Karlsruhe, pour autant que leur législation nationale le prévoie.

La Cour n'a émis aucune réserve, en revanche, concernant la ratification du TSCG. Elle a estimé que la loi fondamentale allemande satisfait déjà aux exigences du traité et que celui-ci n'apporte pas de changement majeur au droit européen en vigueur.

Finalement, le TSCG n'a peut-être pas toute l'importance qu'on lui a prêtée - sinon symbolique. Les deux juridictions soulignent que la nouveauté de ce texte réside plus dans la forme que dans le fond et ne doit pas être surestimée. La discipline budgétaire s'imposait auparavant, les gouvernements ont voulu lui donner la solennité d'un traité. Cela mérite-t-il tant de débats ?

Pour finir, je forme encore une fois le voeu que notre Règlement nous autorise à l'avenir à nous saisir pour avis d'un tel texte.

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