Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 novembre 2016 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean-paul émorine et didier marie sur le premier bilan et les perspectives du plan d'investissement pour l'europe

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Notre communication de ce jour s'inscrit dans le travail de suivi de notre commission et présente un premier bilan et les perspectives du plan Juncker. Jean-Paul Emorine et moi-même vous soumettrons une proposition de résolution européenne et un avis politique reprenant ces éléments, qui vous ont préalablement été communiqués.

Je vous rappelle que le plan d'investissement comprend trois piliers : un pilier financier, avec le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) institué au sein de la Banque européenne d'investissement (BEI), qui a pour objectif de mobiliser 315 milliards d'euros sur trois ans, dont 240 milliards pour le volet Infrastructures et innovation, et 75 milliards pour le volet PME, grâce à un effet de levier de fonds publics auprès d'investisseurs privés ; un pilier centré sur les projets à soutenir ; enfin, un pilier réglementaire visant à favoriser l'environnement des investissements.

Qu'en est-il du premier bilan quantitatif du plan d'investissement, plus d'un an après l'entrée en vigueur du règlement ayant institué le FEIS ?

La Commission a présenté ce bilan en deux temps, d'abord par une communication du 1er juin dernier, puis, concomitamment au discours sur l'état de l'Union du Président Juncker devant le Parlement européen, le 14 septembre, par une nouvelle communication qui trace également des perspectives. La BEI a publié sa propre évaluation du FEIS en même temps. Une évaluation externe indépendante, confiée à Ernst & Young, est également attendue pour la fin novembre.

La procédure législative a été rapide et les organes de gouvernance sont désormais en place. Le comité de pilotage, chargé de superviser la mise en oeuvre générale du FEIS et d'en déterminer l'orientation stratégique, fonctionne depuis juillet 2015 et comprend quatre membres, dont le vice-président français de la BEI, M. Ambroise Fayolle. Le comité d'investissement, qui décide de l'apport de la garantie financière aux projets soumis, est opérationnel depuis le début de cette année et comprend huit experts indépendants, dont un Français. Le directeur exécutif du FEIS, qui préside également le comité d'investissement, et son adjointe ont été approuvés par le Parlement européen le 14 octobre 2015.

Par ailleurs, le portail européen de projets d'investissement, qui doit accroître la visibilité des projets et donner ainsi à leurs promoteurs et aux investisseurs potentiels l'opportunité d'entrer en contact, a été lancé le 1er juin 2016. Plus de 130 projets, d'un montant minimum de 10 millions d'euros, ont été mis en ligne sur ce portail. De même, la plateforme européenne de conseil en investissement, qui fournit une assistance technique et de conseil, y compris en matière de financement, a été mise en ligne le 1er septembre dernier grâce à la collaboration entre la Commission, la BEI et les banques nationales de développement. À la fin juillet, cette plateforme avait reçu près de 240 demandes, dont environ deux tiers proviennent du secteur privé.

À la mi-septembre, quel est bilan quantitatif du plan d'investissement ?

Le plan d'investissement a permis de mobiliser 116 milliards d'euros, avec un effet de levier moyen de 1 à 15, ce qui correspond au tiers des 315 milliards d'euros prévus sur trois ans ; 200 000 PME et TPE ont bénéficié de ce financement ; plus de 260 projets ont été financés, dont 30 % sur le volet Infrastructures et innovation, mis en oeuvre par la BEI, et 70 % sur le volet PME, mis en oeuvre par le Fonds européen d'investissement (FEI), la filiale de la BEI dédiée aux PME ; l'ensemble des États membres, à l'exception notable de Chypre, sont concernés par des projets soutenus par le FEIS ; enfin, plus de 100 000 emplois auraient été créés en Europe grâce à ce plan.

Sur le plan qualitatif, la Commission considère que la première année de fonctionnement du FEIS a été « couronnée de succès », même si elle reconnaît que « l'incidence macroéconomique du plan se fera sentir concrètement dans les années à venir ». Il paraît indéniable que le plan a créé une réelle dynamique. Le volet PME, en particulier, est monté en charge bien plus rapidement que prévu, puisque 65 % de l'objectif a été atteint en un an. En juillet, la garantie de l'Union européenne accordée à ces projets a d'ailleurs dû être abondée de 500 millions d'euros.

En revanche, on peut constater certaines inégalités dans la répartition des projets financés au titre du plan.

Des inégalités sectorielles, d'abord : au niveau de l'Union, l'analyse des montants par secteur fait apparaître la prééminence de l'énergie et de l'environnement, avec 47 % du montant total engagé, suivis des transports, à 17 %, l'innovation représentant seulement 10 %. Il convient de prendre garde à ce que les grands projets d'infrastructures n'éclipsent pas le financement de l'innovation. On peut souhaiter qu'à l'avenir, les questions liées à l'éducation et à l'enseignement soient mieux prises en compte, ainsi que celles qui sont relatives à l'économie sociale et solidaire.

Des inégalités géographiques, ensuite, même si une évolution est observée. Il est important de prendre en considération le poids relatif de chaque pays et la part totale de son PIB dans le PIB européen.

La France, l'Italie et le Royaume-Uni ont bénéficié, dans un premier temps, de ce fonds, avec 56 % du total des montants approuvés, mais la part des projets de ces trois pays a ensuite décru à 28 %. Cette situation initiale n'était guère étonnante, car ces pays avaient la capacité, de par leur administration et leur expérience, de présenter de tels projets. Aujourd'hui, la Pologne, l'Espagne, le Portugal, la Grèce ou encore la Lituanie sont devenus des bénéficiaires significatifs du plan. Il est intéressant de noter que ce rééquilibrage géographique ne s'est pas accompagné d'un déséquilibre sectoriel au profit du volet Infrastructures.

Des interrogations existent aussi sur le caractère véritablement additionnel des projets financés. L'additionnalité reste indéniablement délicate à mesurer : la BEI gagnerait sans doute à mieux distinguer les projets relevant du plan Juncker et ceux qu'elle aurait de toute façon financés - des interrogations demeurent sur un effet d'aubaine. Pour autant, des changements ont été constatés au sein de la BEI. D'abord, pour répondre à ses nouvelles missions, la Banque a recruté 500 personnes, dont 200 travaillent à temps plein pour le FEIS. Surtout, elle a réorienté ses activités, par exemple en pratiquant le capital-risque, et cette évolution s'observe jusque dans son bilan : sur 80 milliards d'euros par an, la part des opérations les plus risquées, dénommées « activités spéciales », devrait passer de 5 à 7 milliards d'euros à 16 à 20 milliards, et ce dès 2016.

La place qu'occupent les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre du plan demeure perfectible. Certes, ces collectivités se sont mobilisées et nombre d'entre elles bénéficient de projets importants, à commencer par la France, où plusieurs conseils régionaux se sont fortement impliqués, par exemple en Alsace et dans les Hauts-de-France avec des projets d'efficacité énergétique. Cependant, même si elles bénéficient de l'assistance de la BEI et de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance, leurs ressources administratives ne leur permettraient pas toujours d'appréhender la complexité du montage financier des projets. De même, les collectivités peuvent se heurter aux difficultés de l'articulation du FEIS et des fonds structurels de la politique de cohésion, ou à l'inadaptation au contexte local de la plateforme européenne de conseil. Par ailleurs, l'échelon départemental comme celui des intercommunalités les plus importantes restent trop souvent à l'écart des projets.

Enfin, nous avions regretté la faiblesse du troisième pilier du plan d'investissement. Sur ce point, la situation n'a guère évolué. La Commission insiste sur l'importance, au niveau national, des recommandations adressées aux États membres dans le cadre du semestre européen visant des réformes structurelles pour lever les obstacles à l'investissement, et, au niveau européen, des stratégies relatives à l'union de l'énergie, à l'union des marchés de capitaux, au marché unique et au marché unique numérique. Mais elle peine à expliciter concrètement le lien entre ces réformes et leur contribution au succès du plan. Cela continue de relever surtout de l'incantation.

J'en viens au premier bilan en France.

La France apparaît comme l'un des « champions » du plan Juncker pour ce qui concerne le nombre de projets sélectionnés, avec l'Italie et le Royaume-Uni.

Notre pays a bénéficié d'environ 12 milliards d'euros affectés à 35 projets, dont une vingtaine pour le volet Infrastructures. Bien que l'énergie y occupe une place importante, ces projets, dont certains ont une dimension transfrontalière, avec la Belgique et l'Allemagne notamment, concernent plusieurs secteurs : l'industrie, l'agriculture, l'accès au haut débit, l'environnement ou encore le logement social. La répartition sectorielle des projets français se distingue par rapport à la moyenne européenne : l'énergie et l'environnement pèsent moins, 36 % contre 47 % au niveau européen, de même que les transports, 13 % au lieu de 17 %, tandis que l'innovation occupe une part plus importante, 27 % contre 10 %.

Parmi les projets français financés grâce au FEIS, nous pouvons citer le programme de « 3e révolution industrielle », un fonds d'amorçage pour des projets énergétiques dans les Hauts-de-France ; l'accès au très haut débit en Alsace et dans les Hauts-de-France ; le fonds « sociétés de projets industriels », première, et pour l'instant unique plateforme d'investissement labellisée par le FEIS ; le contournement autoroutier de Strasbourg ; les Maîtres laitiers du Cotentin, pour la construction et l'exploitation d'une usine de traitement du lait en vue de l'exportation de lait UHT en Chine.

Je laisse maintenant Jean-Paul Émorine vous présenter les perspectives du plan d'investissement.

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