Intervention de Jean-Paul Emorine

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 novembre 2016 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean-paul émorine et didier marie sur le premier bilan et les perspectives du plan d'investissement pour l'europe

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine :

À l'occasion de son discours sur l'état de l'Union devant le Parlement européen, le 14 septembre dernier, le Président Juncker a aussi tracé les perspectives du plan d'investissement et, à ce titre, a fait deux principales annonces : d'une part, un doublement à la fois de la durée et de la capacité financière du FEIS ; d'autre part, un volet extérieur en direction de l'Afrique et des pays du voisinage venant compléter le plan.

J'évoquerai, tout d'abord, les modifications apportées au plan d'investissement pour l'Europe.

La Commission propose de faire évoluer le plan d'investissement sur plusieurs points pour amplifier la dynamique créée et tirer les enseignements du premier bilan que vous a présenté Didier Marie.

L'aspect principal concerne la durée du FEIS, requalifié de « FEIS 2.0 », qui serait prolongée de 2018 à la fin 2020 et couvrirait ainsi la période du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Ce doublement de la durée initiale du Fonds s'accompagnerait de celui de sa capacité financière : 500 milliards d'euros d'investissements seraient visés dans un premier temps, avant d'aller plus loin, comme l'a indiqué le Président Juncker dans son discours : « Nous irons au-delà de cet objectif pour atteindre 630 milliards d'euros d'ici à 2022. Bien sûr, avec le concours des États membres, nous pourrons y arriver encore plus vite. »

La logique de l'effet de levier de fonds publics sur des fonds privés reste la même. Néanmoins, la décision d'amplifier le FEIS requiert diverses modifications de nature financière.

Ainsi, la garantie du budget de l'Union européenne passerait de 16 à 26 milliards d'euros, 16 milliards au maximum étant disponibles pour les appels de garantie antérieurs au 6 juillet 2018. Cette opération serait réalisée grâce à une augmentation de la dotation du fonds de garantie de 1,1 milliard d'euros - 500 millions du mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE), dont 345 millions au titre de l'énergie et 155 millions au titre des transports, 450 millions du placement des ressources du fonds de garantie et 150 millions des marges budgétaires non utilisées - et à un abaissement du taux de provisionnement du fonds de garantie de 50 % à 35 %.

Par ailleurs, la BEI porterait sa contribution au FEIS de 5 à 7,5 milliards d'euros.

Au total, le FEIS disposerait ainsi de 33,5 milliards d'euros, au lieu de 21 milliards, ce qui, grâce à l'effet de levier de 1 à 15, permettrait d'atteindre les 500 milliards d'euros annoncés, 502,5 milliards exactement.

Il convient de s'interroger sur la façon dont le Parlement européen accueillera ce mécanisme financier, alors qu'il avait critiqué le dispositif initial, en particulier le transfert depuis le MIE et le programme de recherche Horizon 2020, ce dernier n'étant toutefois plus mis à contribution dans le nouveau schéma.

Au-delà de la prolongation et du renforcement du FEIS, diverses modifications sont également proposées.

Il s'agit d'abord de renforcer l'additionnalité du dispositif lors de la sélection des projets. Le soutien du FEIS serait apporté aux projets qui visent à pallier des défaillances du marché ou certaines situations d'investissement non optimales. De même, les projets transfrontaliers relevant du volet Infrastructures et innovation, y compris dans le numérique, seraient présumés additionnels par nature.

Ensuite, pour remédier aux critiques sur les inégalités de répartition des projets, seraient privilégiés ceux qui contribuent à réaliser les objectifs de la COP 21, en matière d'interconnexion et d'efficacité énergétiques en particulier. De même, il sera explicitement indiqué que les projets relatifs à l'agriculture, à la pêche et à l'aquaculture seront éligibles - ce qui ne pourra que satisfaire le président Bizet ! En revanche, le FEIS ne financerait plus d'autoroutes, sauf si ce financement venait compléter des fonds structurels. Quant au volet PME, il devrait être renforcé compte tenu de son succès : 40 % de l'augmentation de la capacité de prise de risques du FEIS serait consacrée à faciliter l'accès des PME au financement. Une attention particulière serait portée aux entreprises sociales.

Autre mesure, la transparence du processus décisionnel serait renforcée par l'obligation faite au comité d'investissement du FEIS de motiver ses décisions, en particulier du point de vue de l'additionnalité.

Enfin, la plateforme européenne de conseil en investissement serait réformée. Ses activités seraient davantage centrées sur les secteurs insuffisamment couverts aujourd'hui et devraient mieux contribuer à atteindre les objectifs de la COP 21. Elle devrait aussi soutenir plus activement la mise en oeuvre de projets transnationaux et ceux qui font appel à des financements alternatifs au FEIS. De manière générale, elle devrait aussi contribuer à l'objectif d'une plus grande diversification sectorielle et géographique du FEIS en adaptant ses activités de conseil au niveau local.

L'autre principale annonce de Jean-Claude Juncker concerne la mise en place d'un plan d'investissement extérieur, présenté comme le volet extérieur du plan européen.

Ce nouveau dispositif vise à stimuler l'investissement et la création d'emplois en Afrique et dans les pays du voisinage méridional et oriental de l'Union européenne. Il poursuit deux grands objectifs ambitieux, ainsi résumés par le Président Juncker : « Nous compléterons notre aide au développement et nous nous attaquerons à l'une des causes profondes de la migration. [...] Le nouveau plan apportera une aide vitale à ceux qui, autrement, seraient contraints d'entreprendre un voyage périlleux dans l'espoir d'une vie meilleure. »

Le plan d'investissement extérieur est conçu comme un cadre global intégré venant compléter les instruments de développement et de coopération internationale existants. Il sera destiné, certes, à attirer davantage d'investissements, mais aussi à mettre en oeuvre une nouvelle approche de l'aide au développement en recourant à des garanties et à des instruments financiers innovants pour mieux utiliser et optimiser des fonds publics limités. Il cherchera aussi à promouvoir la bonne gouvernance et la collaboration entre l'Union européenne, les institutions financières internationales, les pouvoirs publics et le secteur privé. Il s'agit d'investir prioritairement dans des projets qui contribuent au développement économique et social, l'emploi des femmes et des jeunes notamment, à l'amélioration des infrastructures - eau, énergie, transports - et au soutien aux PME et à la microfinance.

Le plan d'investissement extérieur comporterait trois piliers.

Premièrement, un nouveau fonds d'investissement : le Fonds européen pour le développement durable (FEDD), comprenant deux plateformes régionales d'investissement sous la forme d'un guichet unique, l'une pour l'Afrique et l'autre pour le voisinage de l'Union européenne, chargées de recevoir les propositions d'investissements. Ce fonds combinera des mécanismes de financement mixte prêts-dons existants et une garantie constituée sur le budget européen et le 11e Fonds européen de développement pour un montant de 3,35 milliards d'euros jusqu'en 2020. Il devrait ainsi permettre, grâce, ici aussi, à un effet de levier, de mobiliser 44 milliards d'euros, et jusqu'à 62 milliards si les États membres et divers autres partenaires contribuent également à la garantie européenne, voire 88 milliards s'ils contribuent aussi au financement mixte. La Commission assurera le secrétariat du FEDD et sera assistée par un conseil stratégique comprenant des représentants des États membres et de la BEI et par deux conseils opérationnels, un pour chaque plateforme régionale d'investissement.

Deuxièmement, une assistance technique serait intensifiée à destination des pouvoirs publics, y compris locaux, et des investisseurs pour les aider à monter les projets.

Troisièmement, un soutien aux réformes structurelles, comportant un dialogue politique, serait destiné à améliorer la gouvernance générale et le climat des affaires.

Sur ce dossier aussi, la Commission voudrait aller vite, de manière à ce que le nouveau fonds soit opérationnel au plus tard pour le sommet UE-Afrique prévu à l'automne 2017.

Ce projet est naturellement intéressant et ambitieux dans ses objectifs, mais plusieurs aspects restent à approfondir à ce stade.

D'abord, il mériterait sans doute d'être mieux documenté quant à la façon dont il pourrait être reçu dans les pays concernés et dont ses retombées pourraient être évaluées, compte tenu de la sensibilité que revêt habituellement la politique de coopération et de développement.

Ensuite, le rôle que la BEI pourrait jouer dans la mise en oeuvre de ce plan extérieur devrait être précisé, car il est indispensable d'en assurer la complémentarité avec son initiative dite « résilience » destinée au voisinage sud. D'ailleurs, la présentation du plan extérieur a été concomitante à la révision des mandats externes de la BEI, qui a vu l'augmentation de 2,3 milliards d'euros du plafond global pour son action en soutien au secteur privé sur des projets en faveur des réfugiés et/ou des communautés d'accueil, le plafond maximal des opérations de financement de la BEI garanties par l'Union à ce titre passant ainsi à 32,3 milliards d'euros.

Enfin, il conviendrait de tenir compte des dispositifs existants - je pense plus particulièrement à l'Union pour la Méditerranée et au Partenariat oriental -, et de veiller à leur bonne articulation avec le nouveau plan d'investissement extérieur.

Voilà ce que nous souhaitions vous dire sur le premier bilan et les perspectives du plan Juncker et que nous avons traduit dans la proposition de résolution européenne et l'avis politique que nous vous soumettons.

Permettez-moi, monsieur le président, d'ajouter quelques mots.

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