Intervention de François Marc

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 novembre 2016 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Proposition de résolution européenne et avis politique de mme fabienne keller et m. françois marc sur la phase i de la réforme de l'union économique et monétaire

Photo de François MarcFrançois Marc :

Les présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, du Parlement européen, de l'Eurogroupe et de la Banque centrale européenne ont présenté en juin 2015 un rapport intitulé Compléter l'Union économique et monétaire. Ce document prévoit deux phases pour le renforcement des structures et des moyens de la zone euro. La première, censée se terminer le 30 juin 2017, doit permettre un approfondissement par la pratique, utilisant les instruments existants, alors que la seconde, prévue pour durer jusqu'en 2025, devrait entraîner des modifications institutionnelles plus ambitieuses.

Le Rapport des cinq présidents reprend le constat d'une construction inachevée, la crise ayant permis à l'Union économique et monétaire de se doter de nouveaux mécanismes sans pour autant que soient totalement consolidées ses fondations. Le principal enjeu tient toujours à la capacité de la zone à pouvoir absorber des chocs économiques, ce qui passe par un partage des risques entre États. Une première étape a été franchie avec le lancement de l'Union bancaire. Il s'agit désormais d'aller plus loin et de viser à moyen terme un renforcement du partage des risques public, par l'intermédiaire d'un mécanisme de stabilisation budgétaire couvrant l'ensemble de la zone euro. La nécessité d'un tel dispositif est d'autant plus aiguë que la possibilité d'utiliser la politique budgétaire à des fins contracycliques diverge d'un État membre à un autre. Une telle asymétrie ne participe pas de l'objectif initial fixé la monnaie unique : la convergence économique.

Le rapport appelle à la mise en place de quatre cercles au sein de l'Union économique et monétaire : l'Union économique ; l'Union financière, fondée à la fois sur l'Union bancaire et l'Union des marchés de capitaux ; l'Union budgétaire, conçue comme un instrument de stabilisation et de viabilité budgétaires ; l'Union politique, envisagée comme une assise aux trois autres et reposant sur le principe de responsabilité démocratique.

Ces quatre Unions sont interdépendantes. Elles impliquent inévitablement un partage de souveraineté accru. Il s'agit de dépasser le stade de la simple coopération ou de la coordination, ce qu'est, pour l'heure, le Pacte de stabilité et de croissance. Les États doivent accepter qu'un certain nombre d'éléments de leurs budgets nationaux et de leurs politiques économiques fassent de plus en plus l'objet d'une prise de décision conjointe et parvenir ainsi à un certain degré de partage des risques public. Celui-ci ne peut néanmoins exister que s'il est accompagné d'un renforcement de la participation et de responsabilités démocratiques, tant au niveau national qu'au niveau européen.

Prenant acte de cette architecture, la Commission européenne a présenté le 21 octobre 2015 une communication sur les mesures destinées à compléter l'Union économique et monétaire au cours de la phase I. Elles concernent l'Union économique, l'Union budgétaire et l'Union politique. La phase II devrait faire l'objet d'un livre blanc, qui sera présenté en mars 2017. Nous l'étudierons alors avec nos collègues de la commission des finances.

Concernant l'Union économique, trois instruments ont été présentés par la Commission : les autorités de la productivité, le programme d'appui à la réforme structurelle et le socle européen des droits sociaux.

Sur proposition de la Commission, le Conseil a adopté le 20 septembre dernier une recommandation instituant des autorités de la productivité ; elles sont esquissées dans le Rapport des cinq présidents. Ces autorités peuvent être créées à partir de structures existantes, à l'instar de France Stratégie ou du Conseil d'analyse économique en France. Elles doivent avant tout être indépendantes. Elles seront chargées de suivre les performances et le rythme des réformes au niveau national, en se concentrant sur les facteurs favorisant les gains de productivité, comme l'innovation, l'attractivité ou le capital humain, et sur les rigidités visant le marché du travail et des produits. Elles devront intégrer dans leur analyse une dimension européenne.

Reste à connaître la valeur ajoutée d'une nouvelle instance dont le positionnement peut apparaître flou. On peut, en premier lieu, s'interroger sur la grille de lecture qui sera utilisée pour une évaluation de la situation macro-économique des États membres. Sera-t-elle homogène pour l'ensemble des autorités de la zone euro, reprenant en cela les indicateurs déjà mis en oeuvre dans le cadre de la procédure pour déséquilibre macro-économique ? Dans ce cas, l'analyse peut-elle différer de celle proposée par la Commission européenne dans le cadre de cette procédure ? Ce faisant, les autorités nationales de la productivité ne seraient que les porte-voix de la Commission européenne, afin de faciliter l'appropriation par les États des réformes qu'elle recommande. À l'inverse, si ces autorités émettent un diagnostic sur la foi d'indicateurs non harmonisés, contribueront-elles à renforcer la convergence entre les économies de la zone ? Qu'arrivera-t-il si la position de ces autorités diverge de celle de la Commission européenne ?

Nous nous interrogeons ainsi avec Fabienne Keller sur l'ajout d'une nouvelle structure qui complexifie un processus souffrant déjà d'un déficit de clarté. En outre, le contrôle de la qualité des réformes mises en oeuvre et les questions de compétitivité et de productivité relèvent également des Parlements nationaux.

En fait, les autorités de la productivité visent plus à diffuser, dans chaque pays, les messages de la Commission européenne qu'à renforcer la convergence des économies. Elles ne résolvent en rien la question de la prise en compte par les États des recommandations du Conseil destinées à lutter contre les déséquilibres macro-économiques. Seules 32 % d'entre elles, en effet, sont suivies par les États. La Commission a augmenté le nombre d'indicateurs, ce qui crée un risque de contradiction et d'illisibilité. La grille de lecture comprend désormais 14 indicateurs principaux et 29 indicateurs complémentaires. Ce tableau de bord de l'économie ne tient pas nécessairement compte des interdépendances entre les pays membres et des arbitrages à faire entre différents objectifs. Ainsi, la poursuite de la réduction de la dette n'est pas toujours compatible avec une politique visant à réduire les coûts pour gagner en compétitivité. Nous estimons que l'analyse des politiques économiques menées au sein des États membres doit impliquer davantage les acteurs politiques plutôt que reposer uniquement sur le respect de seuils chiffrés, qui peuvent se révéler contradictoires.

Parallèlement, la Commission a souhaité mettre en place un programme d'appui à la réforme structurelle, doté de 143 millions d'euros. Si nous saluons ce type d'initiative, il faut en relever la modestie. Il convient de trouver des réponses plus ambitieuses, en utilisant les instruments existants. Pourquoi ne pas réfléchir à une meilleure allocation des fonds structurels ? De façon plus générale, l'appropriation des recommandations du Conseil passe par un soutien accru de l'Union européenne aux États membres, qui, pour la plupart, ne disposent plus de marges de manoeuvres budgétaires. Dans ces conditions, il faudra réfléchir à l'émergence à terme d'un mécanisme de stabilisation budgétaire dans le cadre de la phase II.

La Commission a présenté l'ébauche d'un socle européen des droits sociaux, complément de sa réflexion sur l'Union économique. Le socle n'est pas envisagé comme une simple reproduction de l'acquis de l'Union européenne. Il s'agit, au contraire, de vérifier la pertinence de l'acquis et de déterminer d'éventuels domaines d'action. Le socle ne modifie pas, pour autant, les droits existants. Il servirait à la Commission de « boussole » sociale. Le Rapport des cinq présidents insistait de son côté sur la nécessité pour l'Europe d'obtenir un « triple A social », tout en rappelant qu'il n'existe pas de modèle unique en la matière. Dans ces conditions, le socle doit permettre à la zone euro de surmonter la crise et évoluer vers une Union économique et monétaire plus approfondie et équitable. Quelle sera toutefois sa valeur juridique de ce socle ? Disposera-t-il d'une valeur contraignante comme peut l'avoir aujourd'hui la Charte des droits fondamentaux dont il décline un certain nombre de principes ? Une révision des Traités devra alors s'imposer. À défaut, il resterait une grille de lecture supplémentaire, sans réelle valeur ajoutée. Il viendrait ainsi compléter la liste des indicateurs dont dispose déjà la Commission européenne et dont nous estimons qu'elle prête déjà le flanc aux critiques visant son illisibilité. Il semble pourtant que cette solution soit celle retenue, à l'heure actuelle, par la Commission européenne.

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