Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 novembre 2016 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Proposition de résolution européenne et avis politique de mme fabienne keller et m. françois marc sur la phase i de la réforme de l'union économique et monétaire

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

L'Union budgétaire est au coeur des propositions de la Commission européenne. Trois angles ont été choisis : la réforme du semestre européen, la mise en place d'une nouvelle instance, le Comité budgétaire consultatif européen, et enfin les clauses de flexibilité contenues dans le pacte de stabilité.

Introduit en 2011 et consolidé en 2013, le semestre européen commence en novembre de l'année n-1 avec la publication de l'avis de la Commission européenne sur les plans budgétaires nationaux. Il continue en février avec la publication de l'examen annuel de la croissance et des rapports pour chaque pays au titre de la procédure pour déséquilibre macro-économique. Il se conclut en mai-juin par l'examen des programmes nationaux de réforme et des programmes de stabilité et de croissance transmis par les gouvernements et visant les quatre exercices à venir.

La Commission Juncker a déjà apporté certaines modifications au semestre européen depuis son entrée en fonctions en novembre 2014. La publication des rapports sur chaque pays dès le mois de février a permis de donner plus de temps au dialogue avec les États membres. Les programmes nationaux de réformes adressés ensuite à la Commission européenne intègrent désormais les observations de la Commission européenne. La publication des recommandations par pays a été avancée en mai. Ces recommandations ont été concentrées sur quelques priorités afin d'améliorer l'échange avec les États et d'optimiser le suivi.

La Commission européenne entend désormais aller plus loin en intégrant davantage les observations concernant l'ensemble de la zone euro. Elle a souhaité bouleverser la structure du semestre pour que soit mis l'accent sur l'évolution générale de la zone euro avant la situation pays par pays. L'examen annuel de la croissance, publié en novembre, met ainsi en avant les priorités budgétaires, économiques, sociales et financières de la zone euro. La Commission présente surtout, depuis novembre dernier, un projet de recommandation pour l'ensemble de la zone euro, définissant ainsi une stratégie d'ensemble. Si ce document n'est pas une nouveauté, sa parution au début du semestre constitue un changement.

Une telle approche va dans le bon sens : il n'existait pas, jusqu'alors, de véritable revue globale de la situation de l'ensemble de la zone susceptible de fournir une base pour un ajustement plus précis des recommandations. Le semestre européen semblait se concentrer sur une revue de la situation individuelle des États membres et notamment sur leur capacité à mettre en oeuvre les réformes structurelles recommandées.

La réforme du semestre européen gagnerait cependant à être encore approfondie. Comme le relevait en mars 2015 le Conseil d'analyse économique, le semestre européen devrait être divisé en deux périodes afin de mieux mettre en avant l'évaluation de la situation de la zone euro. Le premier trimestre - de novembre de l'année n-1 à février de l'année n - serait ainsi dédié à l'analyse de la situation macro-économique de la zone euro. L'orientation de la politique budgétaire et de la politique économique au niveau de la zone pourrait ainsi être définie. Le deuxième trimestre, entre mars et juillet, serait consacré à l'examen des pays.

La Commission européenne a annoncé parallèlement la création d'un comité budgétaire européen consultatif indépendant, esquissé dans le Rapport des cinq présidents. Il doit contribuer, à titre consultatif, à l'exercice des fonctions dévolues à la Commission européenne en matière de coordination des politiques budgétaires nationales. Il évaluera notamment la mise en oeuvre des décisions adoptées dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, relevant les éventuels manquements. Il doit permettre à la zone euro de définir une orientation budgétaire appropriée. Le Comité est composé d'un président et de quatre membres, experts internationaux, nommés par la Commission européenne pour une période de trois ans sur la base de leurs qualifications et de leurs compétences. Les nominations sont intervenues le 19 octobre dernier. Le Comité sera présidé par un Danois, assisté d'une Française, d'un Italien, d'un Néerlandais et d'un Polonais.

Comme dans le cas des autorités nationales de la productivité, se pose la question du rôle du nouveau Comité et notamment de sa place par rapport à la Commission européenne. Ne risque-t-on pas de créer un millefeuille administratif dans le domaine de la gouvernance de la zone euro ? Quelle sera la valeur ajoutée d'un nouvel organisme, de surcroît consultatif ? Il existe déjà un réseau des comités budgétaires nationaux indépendants (EUNIFI) qui se réunit au moins une fois par an à l'invitation de la Commission européenne depuis novembre 2013. Le rôle de l'EUNIFI aurait pu être renforcé et les avis rendus par ce réseau auraient pu être consolidés au niveau de la zone euro avant d'être transmis à la Commission européenne et au Conseil.

La question de l'application des recommandations adoptées au titre du Pacte de stabilité et de croissance reste entière. Les cas espagnol et portugais ont souligné la faiblesse du volet correctif du Pacte. La Commission a proposé, depuis 2015, un certain nombre de dérogations permettant de reporter les objectifs de réduction du déficit budgétaire ou de la dette si les États procèdent à des réformes structurelles coûteuses ou à des investissements d'ampleur, si un changement de cycle est manifeste ou si un État doit faire face à un afflux de réfugiés. Ces clauses de flexibilité ont suscité un certain nombre de réserves au sein du Conseil, en particulier celles qui visent les réformes structurelles et les investissements. Leur utilisation semble aujourd'hui plus resserrée sans pour autant être plus claire. De l'avis d'un certain nombre d'observateurs, les clauses sont trop nombreuses, inefficaces et opaques, voire insuffisantes, puisque principalement dédiées aux pays concernés par le volet préventif du Pacte. Dans ces conditions, le Comité budgétaire européen consultatif trouverait une utilité à apprécier la situation budgétaire et économique de la zone afin de juger de l'opportunité d'une application flexible du Pacte, en excluant temporairement certaines dépenses du calcul des déficits. Cet avis pourrait être transmis au Conseil, qui déciderait alors de suivre ou non cet avis.

Venons-en désormais au dernier point, l'Union politique. Le Rapport des cinq présidents insistait sur la nécessité de renforcer la légitimité démocratique de l'Union économique et monétaire dès la phase I. La Commission reste peu précise sur ce point. Elle s'intéresse essentiellement à la question de la représentation unifiée de la zone euro au sein des institutions financières internationales. La Commission européenne relève que, si l'approfondissement de l'intégration de la zone euro a contribué ces dernières années à renforcer l'influence internationale de la zone euro, sa représentation extérieure n'a pas suivi cette évolution. Elle ne dispose pas, en effet, d'un représentant officiel, mandaté pour la représenter. L'Allemagne et la France disposent d'un poste d'administrateur permanent au sein du Conseil d'administration du FMI. Les dix-sept autres pays de la zone euro se répartissant dans six groupes, les associant à d'autres États, pas forcément européens, en fonction de leur proximité géographique ou linguistique. La représentation de la zone euro est donc fragmentée.

L'objectif de la Commission est de parvenir, au plus tard en 2025, à une représentation unifiée de la zone au sein du FMI, soit au moment de la phase II. Avec François Marc, nous estimons que, compte tenu des différences d'approches nationales sur le FMI et des renoncements demandés à certains pays, comme l'Allemagne et la France, le projet d'une représentation unifiée doit être subordonné à l'avancement de la réflexion sur les structures de gouvernance de la zone, à l'amélioration de la coordination des politiques économiques et au renforcement de la légitimité démocratique de l'Union économique et monétaire. Des propositions tangibles doivent être portées en la matière. Une réflexion doit par ailleurs être menée sur les quotes-parts ou le rôle de la Banque centrale européenne qui siège pour l'heure au sein de certains comités au FMI. Qu'en sera-t-il lorsque la représentation unifiée sera assurée par le président de l'Eurogroupe ?

Nous partageons l'ambition d'un approfondissement de l'Union économique et monétaire. Celui-ci doit répondre à un double objectif : clarifier l'architecture de la zone euro afin de la rendre à la fois plus lisible et plus visible et améliorer sa capacité à résister aux chocs économiques, via des instruments contra-cycliques. La phase I de l'approfondissement, telle que présentée par la Commission européenne, tend à se concentrer sur le premier objectif. Elle ne parvient pas, pour autant, à simplifier totalement les dispositifs existants et court le risque de complexifier un peu plus l'ensemble. Une proposition de résolution européenne résume nos observations. Elle pourrait être doublée d'un avis politique transmis directement à la Commission. Notre travail visait avant tout à prendre acte des propositions concernant la phase I et se garde de toute dimension prospective. Celle-ci sera plus nette dans le travail que nous mènerons en commun avec la commission des finances sur la phase II, dès que le livre vert de la Commission aura été publié au printemps prochain.

Notre résolution insiste sur nécessité de renforcer le lien avec les Parlements nationaux. Il faudra à l'avenir réfléchir à la création d'une chambre de la zone euro comprenant des membres du Parlement européen et des Parlements nationaux. Strasbourg s'est porté volontaire pour l'accueillir.

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