Intervention de Laurent Wauquiez

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 mars 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Laurent Wauquiez ministre chargé des affaires européennes dans le cadre du débat préalable au conseil européen en commun avec la commission de l'économie du développement durable et de l'aménagement du territoire et est ouverte à tous les sénateurs

Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes :

Je répondrai tout d'abord à M. Arthuis sur le rôle des institutions.

S'agissant de la construction européenne, il est clair que le traité de Lisbonne permet de dépasser l'affrontement entre approche intergouvernementale et démarche fédéraliste, en distinguant les domaines relevant préférentiellement de l'une ou de l'autre. Il n'y a pas d'opposition entre ces deux perspectives : comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire à des parlementaires européens, adopter une méthode intergouvernementale ne revient pas à tourner le dos à l'intérêt général communautaire.

En l'occurrence, monsieur le président de la commission des finances, le choix a en effet été d'obtenir des avancées par le biais d'une démarche intergouvernementale. Il aurait été impossible d'aboutir au même résultat en se fondant sur une approche purement communautaire. Les États membres ont fait leur devoir et ont oeuvré dans le sens de l'intérêt général communautaire : nul ne saurait s'en plaindre.

Quant à la Banque centrale européenne, elle a joué son rôle pendant la crise, de façon assez large et pragmatique, notamment en intervenant sur la dette souveraine. Son action a été utile, mais on ne peut lui demander d'aller au-delà, car elle doit garder son impartialité à l'égard des différents États membres ; c'est ce que l'on attend d'elle.

En ce qui concerne les procédures en cas de déficits excessifs, une période transitoire de trois ans a été accordée, pour une unique raison : tous les États membres ayant été secoués par la crise, il s'agit de leur permettre de purger leurs comptes et de solder les erreurs du passé avant d'intégrer le cadre qui a été défini. En d'autres termes, on donne aux États la possibilité de tourner la page d'une crise historique, pour ensuite pouvoir partir sur des bases saines.

Les sanctions seront-elles opérationnelles ? Comme vous l'avez souligné, monsieur le président de la commission des finances, le dilemme est le suivant : d'un côté, le bâton doit être suffisamment dur pour sanctionner efficacement certains comportements ; de l'autre, il ne doit pas l'être trop dans la mesure où il s'abat sur un pays en difficulté. En fait, il faut que la menace de la sanction soit dissuasive. De ce point de vue, les contraintes et les ajustements auxquels ont été soumis la Grèce, le Portugal ou l'Irlande ont tout de même marqué les esprits.

Pour le reste, le mécanisme de sanction permettra de distinguer le cas des États touchés de façon passagère par des crises macroéconomiques qui les dépassent. Par exemple, si le déficit budgétaire de la Finlande s'est élevé au-delà de la limite de 3 % du PIB, c'est seulement parce que l'économie de ce pays dépend étroitement de celle de la Russie, laquelle a subi en 2009-2010 un choc majeur. Pour autant, il n'y a eu ni dérive ni laxisme de la part du gouvernement finlandais.

La situation sera tout autre quand un gouvernement aura été jugé responsable d'un déficit budgétaire excessif. Dans un tel cas, la Commission européenne disposera de vingt jours pour proposer des sanctions, et le Conseil de dix jours pour s'y opposer. Une telle procédure ne pose aucun problème au regard du droit des traités.

M. César a évoqué les déséquilibres macroéconomiques. Ce sujet est encore en discussion, mais il paraît évident que l'endettement privé doit être pris en compte, notamment dans le cas de l'Irlande.

Plus globalement, le paquet législatif - ce que l'on appelle les six mesures de M. Van Rompuy - manifeste la volonté de resserrer les mailles du filet, car on ne peut juger de la santé ou de la stabilité d'une économie sur le seul fondement de l'examen du ratio dette/PIB et du niveau du déficit : une économie ne se réduit pas à cela. Au regard de ces seuls critères, l'économie irlandaise apparaissait très solide, mais elle reposait sur une construction macroéconomique très fragile, notamment en raison de la surexposition du secteur bancaire.

Il sera désormais possible de révéler les déséquilibres macroéconomiques, d'identifier les économies fragiles parce que reposant sur un modèle macroéconomique non soutenable sur la durée.

En ce qui concerne la question du coût unitaire du travail, l'objectif est précisément de dénoncer les politiques nationales non coopératives. Cela étant, soyons lucides : nous ne pouvons, pour notre part, laisser dériver durablement, à coups de promesses illusoires, notre productivité et nos coûts salariaux. De ce point de vue, l'Allemagne a tout de même indiqué la voie de la responsabilité politique et montré que si l'on consent des efforts, on finit par en récolter les fruits.

Pour autant, la France a désormais engagé un réel effort d'assainissement de ses pratiques, notamment en renonçant à donner des « coups de pouce » au SMIC, ce qui avait des effets catastrophiques sur l'emploi des personnes les plus faiblement qualifiées. L'objectif est d'adopter une approche globale afin d'écarter les politiques nationales non coopératives.

La question de la coordination des politiques fiscales et sociales se rattache à cette problématique. L'objectif de M. Van Rompuy est que les États membres prennent chaque année un engagement chiffré sur ce point, qui donnera ensuite lieu à une évaluation. Nous aurons ainsi une vision d'ensemble de la situation de chaque État membre et pourrons mesurer si l'on se dirige ou non vers une convergence.

Monsieur le rapporteur général, une modification du traité de Lisbonne est en effet nécessaire, mais tous les États se sont accordés sur le fait qu'elle devra être limitée et intervenir par la voie de la procédure simplifiée. Certains étaient tentés d'en profiter pour ouvrir la boîte de Pandore et débattre, par exemple, de la prise en compte des retraites dans les déficits et des réformes de transition qui peuvent être menées dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie, mais il n'en sera rien. Le Parlement européen se prononcera sur cette question le 23 mars prochain.

S'agissant de la préservation des intérêts patrimoniaux de la France, j'attends de disposer de tous les éléments nécessaires avant de vous apporter une réponse. Il en va de même pour la question des engagements en capital par tranches appelées et susceptibles d'être appelées, qui a constitué un point très important de la négociation d'hier. Excusez-moi, monsieur le rapporteur général, de ne pouvoir vous répondre précisément sur ces points dans l'immédiat.

En ce qui concerne les conditionnalités, il est hors de question d'accepter qu'un État puisse bénéficier de la solidarité de ses partenaires sans apporter de contrepartie. J'évoquerai à cet égard deux cas actuels.

La Grèce, qui s'est vu demander de mettre en oeuvre un programme d'ajustement difficile, a rempli ses engagements, notamment en consentant des efforts en matière de rémunération des fonctionnaires ou de régimes de retraite. Il est normal que nous adressions en retour aux Grecs un signal positif, en l'occurrence un abaissement de 100 points de base du taux d'intérêt et des facilités de financement pour permettre à ce pays de sortir le plus rapidement possible la tête de l'eau. Les représentants de la Grèce se sont montrés très satisfaits, hier, de ces mesures.

À l'inverse, nous attendons un geste de l'Irlande. Ainsi, nous avons clairement signifié qu'une convergence des bases de l'impôt sur les sociétés devrait intervenir. Dans le cadre de l'agenda fiscal sera examinée la fameuse question du Double Irish Arrangement, dispositif fiscal qui permet à des sociétés multinationales de soustraire à l'impôt, en les faisant remonter vers des structures irlandaises, une large partie des bénéfices qu'elles réalisent ailleurs dans l'Union européenne. C'est grâce à ce dispositif que Google bénéficie d'un taux moyen d'imposition de 2,6 % ! Il est hors de question que nous laissions subsister ce genre de pratiques, et nous allons porter le fer sur ce point. Du reste, la position de la France et de l'Allemagne a été on ne peut plus claire : aucune facilité ne sera accordée au Gouvernement irlandais si celui-ci ne modifie pas sa position à ce sujet.

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