Intervention de Paul Kavanagh

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 février 2013 : 1ère réunion
Institutions européennes — Audition de M. Paul Kavanagh ambassadeur d'irlande en france

Paul Kavanagh, ambassadeur d'Irlande en France :

Merci pour votre invitation, et pour l'accueil que vous nous réservez toujours : le président du Parlement d'Irlande est venu l'an dernier, et plus récemment c'était la directrice générale aux affaires étrangères chargée de l'élargissement. Nous vous comptons, monsieur le Président, parmi nos amis depuis votre mythique voyage de jeunesse en Irlande, et davantage encore depuis votre récent déplacement à Dublin, où votre allocution devant l'Institut des affaires européennes et internationales a été très bien accueillie.

Cette semaine - cette journée - est chargée : Conseil européen, réunion de la Banque centrale européenne (BCE), réunion informelle des ministres des affaires sociales à Dublin... Nous attendons aussi le résultat de nos négociations avec la BCE sur la dette bancaire.

Notre présidence est un défi, si nous voulons égaler nos prédécesseurs chypriotes. Elle coïncide avec le quarantième anniversaire de notre adhésion à ce qui était alors la Communauté économique européenne, que nous avons rejointe en même temps que le Danemark et la Grande-Bretagne lors de la première vague d'élargissement. C'est la septième que nous exerçons ; nous le ferons dans l'objectivité, la transparence et la neutralité, dans un esprit de rassemblement et de compromis. Nous n'essayerons jamais d'imposer nos priorités nationales.

Nous sommes réalistes mais optimistes. Le grand défi est de ramener l'économie européenne à la croissance et à la création d'emplois, surtout pour les jeunes, dont un quart - voire un sur deux en Espagne - est au chômage. Cela implique d'améliorer notre compétitivité, tout en assurant la stabilité de la zone euro. Tel sera notre leitmotiv dans notre présidence des conseils sectoriels.

Stabilité, emploi, croissance : les chefs d'État et de gouvernement ont décidé en juin dernier de briser le lien entre dette souveraine et dette bancaire, et ils ont fait un grand pas dans cette direction par leur accord de décembre, qui prévoit la mise en place du mécanisme unique de supervision bancaire. Nous le mettrons en oeuvre dans les délais convenus, ce qui aboutira à la recapitalisation directe des banques à travers le mécanisme européen de stabilité (MES), au cadre de résolution bancaire puis à la garantie des dépôts : la crédibilité de l'Union en sera renforcée.

Nous veillerons à la coordination des politiques économiques des pays membres. Un accord sur le cadre pluriannuel budgétaire est demandé le plus tôt possible. Mettant en sourdine nos exigences nationales, nous soutenons les efforts du président du Conseil européen M. Van Rompuy. Bien sûr, l'Europe peut fonctionner en l'absence d'accord, toutefois sa crédibilité en souffrirait. Une fois l'accord conclu, un deuxième chantier s'ouvrira, propre à la présidence : élaborer avec le Parlement un accord cadre interinstitutionnel et mettre en place, en codécision avec lui, 67 dispositifs législatifs. Nous demandons à nos partenaires de veiller à ce que cet accord, loin de se borner à un take it or leave it, nous laisse une marge de manoeuvre. Le président Hollande y a insisté à Strasbourg cette semaine, et nous lui en sommes reconnaissants.

Nous préparons un ensemble de mesures constitutives d'un grand effort en faveur de l'emploi des jeunes. Les ministres des affaires sociales, réunis de manière informelle à Dublin, y travaillent, et nous donnerons suite aux propositions de la Commission de garantir aux jeunes un emploi, une formation ou un apprentissage qui les libère de ce fardeau personnel, familial, sociétal qu'est le chômage. M. Van Rompuy présentera un programme de soutien à l'emploi des jeunes dans le même sens.

Nous miserons, pour promouvoir la croissance, sur les initiatives susceptibles d'avoir un impact réel - y compris en revoyant dans le sens d'une plus grande réciprocité les accords commerciaux avec nos principaux partenaires, dont les Etats-Unis et le Japon. Le renforcement du marché unique, le soutien aux PME, les avancées vers le numérique compteront également. Notre pays est aussi favorable à l'élargissement de l'Union, ce qui n'est guère surprenant.

Nous soutiendrons l'action de Mme Ashton. Nous avons déclaré notre soutien à l'intervention française au Mali. Nous sommes conscients de la nécessité de faire progresser les discussions sur la politique commune de sécurité et de défense dans la perspective de la réunion décisive, en fin d'année, du Conseil européen, et suite aux conclusions de celui de décembre. Nous respectons pleinement les prérogatives du Parlement et de la Commission. J'ai plaisir à souligner que nous avons bénéficié du soutien du Président Hollande, et que nous lui en savons gré. Nos liens bilatéraux se sont renforcés : notre Premier Ministre est venu en octobre, notre Président sera à Paris dans dix jours, plusieurs de vos ministres nous ont rendu visite, M. Ayraut et notre vice-Premier Ministre se sont entretenus au Chili...

Après une rude épreuve, qui a duré plusieurs années, l'Irlande a renoué avec la croissance en 2011, car elle a retrouvé de la compétitivité : la Commission évalue à 22% l'amélioration de la compétitivité du coût de travail. Nos exportations sont fortement reparties, notre balance des paiements est excédentaire depuis deux ans. Les finances de l'État sont maîtrisées et se rapprochent de l'équilibre : avec la recapitalisation des banques, en 2010, le déficit de 2010 était de 32% du PIB ; il a été de 7,8% l'an dernier, où l'objectif était de 8,6% ; nous espérons dépasser l'objectif 2013 de 7,5%, et atteindre les 3% du PIB en 2015. Cela correspond au programme que nous avions négocié avec la troïka. L'ajustement budgétaire qu'il comporte s'élève à 20% du PIB sur la période 2008-2015, nous en avons déjà réalisé 85% : ce sont 16% de notre PIB qui ont été extraits de notre économie. Pénible pour les familles, ce sacrifice considérable ne nous a pas empêchés de retrouver la croissance. Les marchés ont repris confiance, les rendements sur nos obligations tombant de 15% à 4,1% ; à la fin du programme, dès la fin de l'année, nous retrouverons les conditions ordinaires.

Sans esquiver les difficultés, nous avons assumé nos responsabilités, nos propres erreurs, celles des autres également, qui avaient alimenté la folie immobilière. Le contribuable irlandais a payé, et la note était salée.

A 14,6%, le chômage reste élevé, même si les investissements et les exportations battent des records, il n'est pas facile de le faire baisser. Notre expérience prouve que si le sérieux budgétaire est nécessaire, il ne suffit pas. La réorientation de la politique européenne, à laquelle nous avons poussé aux côtés de la France, nous paraît donc bienvenue : les sacrifices ne suffisent pas à atteindre l'objectif. Notre problème a été l'éclatement de la bulle immobilière. Celle-ci s'était développée car notre système bancaire n'était pas assez strict, et l'État avait fait des transactions immobilières une source importante de revenus, dont il a été brutalement privé. Bien que la solidarité européenne ait joué en notre faveur, ce sont nos contribuables qui ont assumé le coût final. Notre dette reste importante : l'an prochain, notre endettement culminera à 121% du PIB. Heureusement nous avions profité des années fastes pour réduire notre ratio d'endettement à 25% du PIB, grâce à quoi nous avons abordé la crise avec une situation saine. Le gros de la dette provient du coût de la recapitalisation des banques : 64 milliards d'euros, soit 40% du PIB. C'est pourquoi l'Irlande est bien consciente, comme la France et comme l'Europe, de la nécessité de briser le lien entre la dette souveraine et la dette bancaire. Nous avons tous intérêt à mettre en oeuvre les décisions de la fin de l'année dernière.

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