Il m'a semblé intéressant de dire un mot sur les enjeux politiques liés aux négociations difficiles sur le budget de l'Union européenne pour 2011.
Je voudrais d'abord rappeler brièvement le contexte.
La Commission européenne a présenté, le 26 novembre dernier, un nouveau projet de budget pour l'année prochaine, en raison de l'échec, le 15 novembre, de la procédure de conciliation entre le Parlement européen et le Conseil sur ce projet de budget.
La nouvelle procédure budgétaire issue du traité de Lisbonne place en effet le Parlement européen sur un pied d'égalité avec le Conseil. Si les deux branches de l'autorité budgétaire ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le budget, un comité de conciliation chargé d'élaborer un projet commun est mis en place pendant 21 jours au plus.
Or, le Parlement européen et le Conseil ne sont pas parvenus à un tel accord dans le délai imparti.
Cet échec est intéressant à observer et à analyser car il révèle moins un désaccord proprement budgétaire que des enjeux de pouvoir entre institutions au contenu très politique.
En effet, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à s'entendre sur les chiffres du budget pour 2011. Certes, le Parlement européen s'était initialement prononcé en faveur d'une augmentation de plus de 6 % des crédits de paiement par rapport à 2010, soit plus que la hausse de 5,8 % proposée par la Commission. Au cours de l'été, le Conseil, jugeant une telle évolution inacceptable en raison des fortes contraintes qui pèsent sur les finances publiques nationales, avait - difficilement - dégagé un accord pour une augmentation des crédits de 2,91 %.
Le Parlement européen a, pour la première fois de son histoire, accepté le taux de progression des dépenses arrêté par le Conseil, ce qu'il considère comme une évolution considérable, mais en assortissant son accord sur ce point de contreparties politiques qui ne sont pas directement liées à l'exercice budgétaire 2011.
Le débat s'est alors focalisé sur l'adoption d'une déclaration politique, exigée par le Parlement européen, portant sur trois points :
- l'association du Parlement européen aux négociations des futures perspectives financières, ce que celui-ci appelle une « méthode de travail » ;
- l'engagement du Conseil à ouvrir un dialogue sur les ressources propres ;
- le rétablissement d'un mécanisme de flexibilité budgétaire permettant de faire face à des besoins supplémentaires allant jusqu'à 0,03 % du revenu national brut, que le traité de Lisbonne a de facto supprimé.
Le refus de ces contreparties de la part de plusieurs États membres, en premier lieu le Royaume-Uni, mais aussi les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et la Finlande, s'est traduit par le blocage des négociations.
La perspective que l'Union européenne soit privée de budget pour 2011 est devenue plausible, avec les difficultés suscitées par le recours aux douzièmes provisoires, pour la première fois depuis 1988 : versements financiers perturbés pour les bénéficiaires, absence de financement du projet ITER (1(*)), absence de budget pour le service européen d'action extérieure et les nouvelles agences de supervision financière, risque pour les États membres de ne pas récupérer les crédits non consommés, etc.
Il est certain que le choix du Parlement européen de lier le budget 2011 à des sujets à échéance plus lointaine, tels la négociation du prochain cadre financier ou le financement des politiques européennes, était risqué.
Le Parlement européen, en se ralliant à la position du Conseil sur une hausse des crédits limitée à 2,91 %, a montré qu'il existait un accord entre les deux branches de l'autorité budgétaire sur le budget 2011. Il a du reste mis en évidence les dissensions entre États membres au Conseil, certains d'entre eux ayant manifesté une grande intransigeance, et a réussi à placer celui-ci dans l'obligation de dégager l'unanimité en son sein, en liant un dossier décidé à la majorité qualifiée - les négociations budgétaires - et un autre décidé à l'unanimité - le cadre financier pluriannuel et les ressources propres.
Pour autant, le Parlement européen a aussi sous-estimé un certain nombre de difficultés : la réticence des États membres à ouvrir de façon anticipée le débat, qui s'annonce particulièrement difficile, sur les perspectives financières, la franche hostilité d'un grand nombre d'États membres à l'idée d'un impôt européen, ou encore le regain d'euroscepticisme lié à des courants populistes en Europe.
Le nouveau projet de budget présenté par la Commission reprend les éléments qui ont réussi à faire l'objet d'un accord entre les deux branches de l'autorité budgétaire. Au-delà de la question des chiffres, qui ne posait plus problème depuis longtemps, le Conseil a fait un geste en direction du Parlement européen sur l'instrument de flexibilité au sein de l'actuel cadre financier pluriannuel, le Royaume-Uni ayant finalement assoupli sa position après un entretien entre David Cameron et Nicolas Sarkozy en marge du sommet Union européenne/États-Unis, à Lisbonne.
Il faut maintenant espérer que le Parlement européen acceptera le texte de la déclaration politique sur le financement futur de l'Union européenne que lui propose le Conseil et qui est évidemment beaucoup moins contraignante que ce qu'il souhaitait initialement. Si ce n'était le cas, le Conseil devrait se prononcer sur ce nouveau projet de budget le 10 décembre, puis le Parlement européen le 15 décembre. Ainsi l'Union européenne pourrait-elle enfin disposer d'un budget pour l'année prochaine.
L'absence d'accord pourrait, en effet, emporter des risques d'échec sur d'autres sujets fondamentaux, dans un contexte général de fragilité de l'Union européenne, comme la mise en place d'un mécanisme permanent de gestion des crises dans la zone euro, qui nécessite une modification limitée du traité. L'incapacité de l'Union à arrêter son budget constituerait assurément un mauvais signal, que ne manqueraient pas de relever les marchés financiers.
Pour le budget 2011, le Parlement européen a utilisé la même tactique que celle à laquelle il avait recouru pour le service européen d'action extérieure : subordonner son vote sur un acte pour lequel il dispose d'un pouvoir de décision égal à celui du Conseil à l'obtention d'un accroissement de ses compétences dans des domaines où le traité ne lui accorde pas un pouvoir égal à celui du Conseil.