Intervention de Yann Gaillard

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 janvier 2011 : 1ère réunion
La politique européenne de cohésion rapport de mm. simon sutour et yann gaillard

Photo de Yann GaillardYann Gaillard :

Qu'est-ce que la politique de cohésion ? Elle est souvent méconnue des Européens, qui ignorent le rôle central qu'elle joue dans la construction européenne : la politique de cohésion n'est pas qu'un simple fonds de péréquation entre régions européennes destiné à réduire leurs écarts de développement économique et social ; elle est aussi le vecteur d'un développement partagé de l'ensemble de l'Union au bénéfice de chacun des Européens.

C'est pourquoi nous nous sommes mobilisés, Simon Sutour et moi-même, pour faire valoir la plus value de la politique de cohésion et orienter de manière réaliste la position française dans les prochaines négociations. Nous remercions le président de la commission de nous avoir confié cette mission que nous avions déjà eu l'honneur de mener à bien il y a tout juste sept ans pour la programmation en cours 2006-2013.

Dans cet esprit, nous nous sommes rendus à Bruxelles début 2010, pour amorcer notre réflexion, et une nouvelle fois il y a trois semaines, pour la finaliser. Nous avons eu là-bas des entretiens avec la Direction générale du Budget, dont le directeur est un français, M. Hervé Jouanjean, avec la Direction générale de la Politique régionale et avec la Direction générale de l'Agriculture pour évoquer le développement rural. Nous avons également rencontré le cabinet du commissaire européen en charge de la politique régionale, M. Johannes Hahn. La représentation permanente de la France à Bruxelles nous a enfin éclairés sur le sujet, l'Ambassadeur Philippe Etienne nous ayant lui-même donné son point de vue.

Comme la révision des règles de la politique de cohésion obéit désormais à la procédure de codécision, nous avons également tenu à rencontrer la présidente de la Commission « Développement régional » du Parlement européen : c'est à Strasbourg que nous avons été reçus par Mme Danuta Hübner, qui a été précédemment commissaire européen en charge du dossier.

Enfin, nous avons complété nos informations à Paris : d'abord, concernant le développement rural, nous avons reçu à sa demande l'association Leader France. Ensuite, nous avons rencontré le cabinet de Bruno Le Maire, qui est à la fois Ministre de l'agriculture et de l'aménagement du territoire et qui aura donc en main la négociation à venir sur la réforme de la PAC et celle de la politique de cohésion.

Pour finir, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir, ainsi que le président Bizet, avec le Commissaire Hahn lui-même la semaine dernière. Il est en effet venu à Paris présenter ses grandes orientations sur la future politique de cohésion, que la Commission avait rendues publiques en novembre 2010 dans les conclusions de son cinquième rapport sur la cohésion.

Au terme de ce travail, nous sommes convaincus qu'il est nécessaire et possible de se donner les moyens d'une politique de cohésion au bénéfice de toutes les régions européennes, et cela malgré l'étau budgétaire européen et national.

Simon Sutour vous présentera ensuite les grands principes qui nous paraissent devoir être soutenus par les autorités françaises dans l'élaboration de la future politique de cohésion : équité, efficacité et simplicité.

Avant de lui céder la parole, permettez-moi donc de présenter d'abord les enjeux financiers, pour l'Union puis pour la France.

1. La politique de cohésion, c'est 350 milliards d'euros, très convoités mais justifiés : cela représente 35,7% du total du budget européen sur la période 2007-2013, deuxième poste budgétaire après la PAC (qui mobilise 42 % des crédits). Le 18 décembre 2010, le président de la Commission européenne a reçu une « lettre des cinq», à savoir l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Finlande, préconisant de contenir l'augmentation des crédits sous l'inflation dans le prochain cadre financier pluriannuel. Dans ce contexte très restrictif, l'Union affiche pourtant de nouvelles ambitions : le nouveau Service européen pour l'action extérieure, la stratégie Europe 2020... L'efficacité de la dépense est donc regardée de près.

Pourtant, démontrer la plus value de la politique de cohésion n'est pas simple : comment distinguer l'impact propre de cette politique communautaire parmi la multitude des facteurs qui influencent le développement régional ? En outre, cette politique est une politique d'investissement qui ne produit pleinement ses effets qu'à long terme. En 2009, un non-papier de la Commission mettait en avant l'efficacité supérieure des politiques sectorielles. Il envisageait donc de renationaliser la politique de cohésion, au moins pour les États membres les plus riches : pour ces pays, le transit de ces fonds par Bruxelles était présenté comme absurde et coûteux.

C'est méconnaître l'ambition de la politique de cohésion, qui est double : rattrapage des régions en retard mais aussi solidarité entre toutes les régions européennes. C'est aussi ignorer les réalisations concrètes de cette politique : entre 2000 et 2006, 1,4 million d'emplois créés, 38.000 projets de recherche soutenus, 4000 kilomètres de rail et 2000 kilomètres de routes construits, raccordement de plus de 23 millions de personnes à des systèmes de collecte et de traitement des eaux usées...Surtout, grâce à son approche spécifique, la politique régionale européenne apporte une plus-value : en encourageant une approche décentralisée et partenariale, elle permet de construire des stratégies de développement régional intégrées et orientées vers des objectifs communs à toute l'Union. Elle leur assure un cadre financier stable sur sept ans ainsi qu'un effet de levier car elle n'intervient qu'en complément des autorités publiques nationales : la politique de cohésion assure 25 % de l'investissement public total au niveau régional dans les régions françaises métropolitaines. Chacun de nous peut en témoigner !

Le Parlement européen et la Commission européenne semblent aujourd'hui convaincus de la plus value de la politique de cohésion mais le Gouvernement devra rester vigilant au Conseil européen et y défendre une politique de cohésion pour toutes les régions européennes, dotée de moyens adaptés.

2. Tout en visant la reconduction de l'enveloppe budgétaire qui y est consacrée, il serait plus réaliste, sur le plan financier, de défendre une évolution des règles en vigueur de la politique de cohésion. En effet, l'élargissement en 2004 et 2007 a bouleversé la donne : la population de l'Union a augmenté de plus de 20 %, et sa richesse d'environ 5 % seulement. Le PIB moyen par habitant de l'Union européenne a de ce fait diminué de plus de 10 % et les disparités régionales ont été multipliées par deux. Surtout, le centre de gravité de la politique régionale s'est déplacé vers l'Est.

Deux conséquences :

- un « effet statistique » : la baisse du PIB moyen dans l'Union va faire mécaniquement sortir certaines régions éligibles en 2007 de l'objectif convergence, leur PIB par habitant n'étant plus inférieur à 75 % de la moyenne communautaire ;

- un effet « rattrapage économique », pour d'autres régions, si bien que sur les 84 régions relevant actuellement de l'objectif convergence, 16 d'entre elles en sortiront, ce qui représente une économie évaluée à 50 milliards d'euros pour le budget alloué à la cohésion.

Mais il faut mettre en regard de cette économie mécanique un effet inverse, qui résulterait des règles en vigueur : le règlement des fonds structurels adopté en 2006 prévoit de plafonner les transferts financiers vers les nouveaux États membres entre 3 et 4 % de leur PIB. Cette règle, dite du « capping », a été conçue à l'origine pour contenir les transferts dans les limites de la capacité d'absorption des nouveaux États membres. Mais, si elle était appliquée telle quelle en 2013 à ces 12 États dont le PIB a sensiblement progressé, elle aurait une incidence financière importante : le surcoût qui en découlerait pour la politique de cohésion atteindrait environ 75 milliards d'euros, dépassant l'économie résultant de la sortie mécanique de l'objectif convergence.

Or il n'est pas envisageable que des pays comme l'Allemagne ou l'Espagne, sans parler du nôtre, contribuent encore plus qu'ils ne le font déjà à la politique régionale. Les 12 nouveaux entrants le savent et, d'après Mme Danuta Hübner, ils sont prêts à revoir l'intensité des aides au profit des régions relevant des États contributeurs nets, pour que ces derniers consentent au maintien d'une politique régionale ambitieuse.

Il est donc indispensable d'imaginer des correctifs afin de rendre soutenable la politique de cohésion :

- d'une part, il nous paraît nécessaire de revoir la règle du « capping », ne serait-ce que pour tenir compte de la capacité d'absorption de ces nouveaux États qui peinent à consommer les fonds européens ;

- d'autre part, rééquilibrer la dynamique de la politique de cohésion au profit de l'Europe des 15, celle d'avant l'élargissement. La Commission elle-même le propose : elle envisage d'augmenter l'aide par habitant aux régions aujourd'hui éligibles à l'objectif compétitivité (nos régions métropolitaines) mais elle suggère aussi de créer une nouvelle catégorie de régions intermédiaires, c'est-à-dire dotées d'un PIB compris entre 75% et 90 ou 100% de la moyenne communautaire.

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