Intervention de Nikolaus Meyer-Landrut

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 février 2016 à 9h05
Institutions européennes — Audition de M. Nikolaus Meyer-landrut ambassadeur d'allemagne en france

Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France :

Je vous remercie pour votre accueil et vos questions.

L'Europe se trouve dans une situation grave, et je pèse mes mots. Des défis majeurs s'imposent à nous, pour ne pas parler de crise, et nous devons produire des réponses efficaces. Pour satisfaire les citoyens européens lassés des annonces et des déclarations, il faut des résultats, et cela passe par l'application des décisions que nous avons prises. La lutte contre le terrorisme, la crise des réfugiés et le conflit en Ukraine sont autant de mises à l'épreuve des valeurs européennes. Nous devons nous assurer qu'elles restent partagées par tous, car elles sont la base de l'édifice européen.

En luttant contre le terrorisme, nous défendons nos valeurs, nos libertés, nos façons de vivre, nos démocraties, nos sociétés ouvertes. Les attentats de Paris ne visaient pas seulement la France ; nous nous sommes tous sentis visés. Au-delà des déclarations, il est essentiel de mettre en oeuvre un contrôle des frontières extérieures efficace et systématique, sans que cela signifie pour autant l'abandon du droit d'asile, de nos valeurs ou la mise en place d'un nouveau rideau de fer. Nos deux ministres de l'Intérieur, en déplacement en Grèce et en Turquie, doivent s'entendre sur l'installation concrète des hotspots, ces postes d'enregistrement et d'accueil des migrants décidés depuis des mois. La coopération des services de police et de renseignement est capitale. Il est étonnant, pour ne pas dire scandaleux, que l'auteur de l'attaque contre un commissariat parisien en janvier ait pu circuler librement pendant des années en Europe, alors même qu'il était considéré comme dangereux. Les échanges d'informations sont donc impératifs et il nous faut agir vite. Ce genre de situation ne doit pas se répéter : nos concitoyens ne comprendraient pas.

Ce qui est en question dans le conflit en Ukraine, c'est la défense du droit international et le respect des frontières nationales. Au nom de ces valeurs, nous ne pouvons que condamner l'annexion de la Crimée et les opérations du Donbass. Le processus de Minsk est un début de solution politique. Un cessez-le feu fragile est installé. Il reste à proposer une solution pérenne.

La crise des réfugiés est très présente dans le débat allemand. L'Allemagne a accueilli l'an dernier plus d'un million de migrants. Cet automne, c'étaient 70 à 80 000 par semaine, soit le nombre de réfugiés arrivés en France en un an. Le flux s'est affaibli en début d'année, pour atteindre 2 à 3 000 personnes par jour, soit un million de migrants dans l'année, ce qui est encore beaucoup trop surtout si le phénomène s'installe dans la durée. Soyons pragmatiques. Il faut endiguer ce flux dans les semaines et les mois à venir.

Le gouvernement allemand vient de soumettre une nouvelle proposition législative au Parlement pour durcir la mise en application du droit d'asile. Il ne s'agit pas d'en remettre en cause le principe, mais les conditions dans lesquelles il s'applique. Des centres d'enregistrement spéciaux ont été mis en place pour les personnes en provenance des pays sûrs, comme les Balkans occidentaux, et nous avons élargi la liste à l'Algérie, au Maroc et à la Tunisie. L'objectif est d'y traiter les demandes d'asile en trois semaines maximum, y compris dans les cas de recours en justice. En effet, il n'y a pas de politique du droit d'asile efficace sans décisions rapides.

Des efforts restent à faire. Parmi les demandes traitées, 60 % ont abouti à l'attribution d'un titre de séjour. Pour les 40 % restants, les effets doivent également être visibles et se traduire par des reconduites à la frontière. Nous travaillons aussi à renforcer notre soutien aux demandeurs d'asile, en privilégiant les aides en nature plutôt qu'en argent. Le titre de séjour accordé aux réfugiés de guerre ou aux demandeurs d'asile est de trois ans, contre un an pour la protection subsidiaire, le regroupement familial n'étant pas autorisé pendant deux ans.

Le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne est essentiel. Depuis l'automne, nous coopérons avec la Turquie pour réduire les flux migratoires. La frontière turque est un point de passage qui a pris une importance significative en 2015. D'où l'intérêt de la contrôler davantage. Enfin, sur les 160 000 migrants qui auraient dû être relocalisés après les décisions européennes, moins de 300 l'ont été en janvier 2016. Rien ne sert que l'Union prenne des décisions, si c'est pour qu'elles ne soient pas appliquées.

Hors des frontières européennes, nous travaillons avec les pays voisins, nous soutenons le Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), nous tissons des liens diplomatiques pour résoudre le conflit en Syrie. La crise des réfugiés domine le débat allemand autant que la sécurité préoccupe l'opinion publique en France. Le délai pour apporter des réponses ne se compte même plus en mois, mais en semaines.

Quant à l'approfondissement de la zone euro, nous sommes loin d'être parvenus au bout du chemin. Responsabilité et solidarité vont de pair. Encore une fois, l'argent ne peut pas tout résoudre.

Tous ces défis incitent l'Europe à dépasser ses positions anciennes. Il faut envisager de nouvelles étapes d'intégration qui passeront par un partage plus large de la souveraineté. Osons le dire : la législation est européenne mais la mise en oeuvre est nationale. On ne peut pas reprocher aux institutions européennes la non-application des mesures qu'elles ont prises, puisqu'on ne leur a pas donné le droit ni les moyens de les appliquer. Les problèmes surgissent dès lors que les États membres ont failli à appliquer ces décisions. Nous devons protéger nos frontières, harmoniser nos politiques d'asile, renforcer notre coordination économique et mieux partager les responsabilités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion