Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 décembre 2013 : 1ère réunion
Politique de coopération — Relations union européenne-russie - rapport d'information de mm. simon sutour et jean bizet

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Nous étions en Russie en juillet dernier, et nous ne publions ce rapport qu'aujourd'hui, après le sommet du Partenariat oriental, qui s'est tenu à Vilnius, la Russie et l'Union européenne jouant par ailleurs un rôle certain dans les événements d'Ukraine.

Ce rapport va sortir alors que la commission des affaires étrangères s'envole pour Moscou, avec une mission plus large, relative aux problèmes de défense, qui ne relèvent pas de notre compétence.

Jean Bizet et moi-même allons successivement vous présenter les enseignements que nous avons pu tirer de notre déplacement en Russie concernant les volets politique et économique.

Le faible résultat du sommet de Vilnius nous a confortés dans l'idée que l'Union européenne a intérêt à avoir un dialogue plus constructif et plus consistant avec la Russie.

Un accord de partenariat et de coopération (APC) est certes en vigueur depuis seize ans, mais son bilan est mince. Un effort pour le relancer a été engagé en 2007, comme il venait à expiration. L'idée était de le remplacer par un accord, plus ambitieux, de partenariat stratégique.

Les négociations sur ce nouvel accord se sont poursuivies depuis lors, l'APC restant en vigueur en attendant leur conclusion. Celles-ci n'avançant pas, un accord intérimaire intitulé « Partenariat pour la modernisation » a été adopté en 2010, destiné à relancer la coopération sur des sujets précis. Les résultats ne sont pas négligeables, mais restent encore relativement modestes.

Sur le plan politique, le principal facteur de défiance entre l'Union européenne et la Russie est aujourd'hui la situation des pays du Partenariat oriental, qui se situent quasiment tous entre l'Union européenne et la Russie.

Le Partenariat oriental est une initiative parfaitement fondée de l'Union. La politique de voisinage fait partie des devoirs de l'Union dans le traité de Lisbonne. L'Union a intérêt à promouvoir la démocratie, les droits de l'Homme et l'ouverture économique dans son environnement proche, à l'Est comme au Sud.

La Russie a perçu le Partenariat oriental plutôt comme une lutte d'influence, et a exercé toutes sortes de pressions sur les pays concernés pour qu'ils se tiennent à l'écart de cette démarche. Elle a même lancé sa propre union douanière, l'« Union douanière eurasiatique », incompatible avec un accord d'association avec l'Union européenne. Nous en avons rencontré les responsables. Ils ont de grandes ambitions.

Nous estimons naturellement que les pressions russes prennent des formes inacceptables, mais on fait de la politique avec des réalités, et il est clair que la Russie, malgré son immense territoire, a tendance à se sentir « assiégée », du fait de la montée en puissance de la Chine sur son flanc Sud-Est, de l'influence occidentale croissante sur son flanc Ouest, et du « printemps arabe » compromettant son influence au Moyen-Orient.

Si nous voulons intensifier les relations avec les pays du Partenariat oriental, nous devons donc, en parallèle, renforcer le rapprochement avec la Russie, de manière à éviter que la politique de voisinage oriental ne soit perçue comme un effort pour constituer un glacis.

Un dialogue plus constructif avec la Russie est-il possible ? Nous le croyons, les sujets de friction qui concernent les relations entre l'Union européenne et la Russie ne nous semblant pas insurmontables. C'est le cas des contentieux commerciaux et de l'énergie - Jean Bizet y reviendra - car la réalité est celle d'une interdépendance entre la Russie et l'Union, personne n'ayant donc intérêt à « renverser la table ».

C'est aussi le cas du lancement de l'« Union douanière eurasiatique », dont il ne faut pas faire un épouvantail. Nous verrons finalement quels pays en seront membres, plus ou moins contraints.

L'Arménie va ainsi en faire partie, mais elle n'a guère le choix, du fait de sa situation géopolitique, le conflit avec l'Azerbaïdjan, jouant au-delà des échanges économiques.

Si cette Union douanière prend plus de consistance, il deviendra intéressant d'envisager des négociations commerciales globales entre l'Union européenne et cette nouvelle zone, de façon à engager une ouverture commerciale à l'échelle du continent, qui pourrait être mutuellement profitable.

Beaucoup de nos interlocuteurs ont évoqué la question des visas. Il nous paraît effectivement indispensable de progresser sur cette question, et d'en supprimer, dès que possible, l'obligation pour les courts séjours. C'est peut-être le meilleur moyen de progresser sur la question des droits de l'Homme, autre point de friction, car plus les Russes seront nombreux à circuler entre l'Est et l'Ouest, plus le rapprochement sur les valeurs fondamentales sera facile.

Cela paraît d'autant plus souhaitable que la Russie semble aujourd'hui tentée de se tourner davantage vers l'Asie, dont le dynamisme économique fascine. C'est un moyen de pression qu'on a bien ressenti.

Les États-Unis ont, par ailleurs, une influence culturelle certaine, comme c'est le cas un peu partout dans le monde. Si nous voulons préserver l'ancrage essentiellement européen de la Russie, nous avons intérêt à pratiquer une ouverture dans sa direction.

Il faut souligner que, selon les projections démographiques actuelles, l'Union européenne représentera 5 % de la population du globe en 2050. Une bonne entente avec la Russie, qui compte 143 millions d'habitants, et les pays qui lui sont voisins, sera de plus en plus nécessaire pour compter dans l'équilibre mondial.

Je termine mon propos par quelques mots sur la situation de l'Ukraine, qui suscite beaucoup d'espoir, mais aussi beaucoup d'inquiétude. Il faut souligner que nous ne sommes pas dans le cas des Balkans : l'Union n'a jamais reconnu la vocation à l'adhésion des pays du Partenariat oriental, même si elle n'a pas dit non plus que cette perspective était exclue à jamais.

Au cours des dernières années, les pays du Partenariat oriental - et spécialement l'Ukraine - ont vu leur population se tourner davantage vers l'Union européenne qui, malgré ses difficultés, reste synonyme d'État de droit et de relative prospérité. En même temps, ces pays restent en pratique très liés à la Russie, voire dépendants d'elle.

Lors de la conférence que Gérard César et moi avions donnée devant l'Alliance française d'Odessa, lors de notre déplacement en Ukraine, nous avions senti l'attrait des étudiants pour l'Union européenne.

Il n'est donc pas souhaitable que les pays du Partenariat oriental se trouvent tout d'un coup sommés de choisir, un peu comme certains enfants du divorce, alors qu'ils ne peuvent trouver une réponse complète à leurs difficultés et à leurs aspirations ni du côté de la Russie seule, ni du côté de l'Union européenne seule.

À mon avis, l'Ukraine devrait et pourrait être un pont entre la Russie et l'Union européenne, mais elle ne peut répondre à cette vocation que si ces deux grands partenaires ne s'éloignent pas l'un de l'autre.

Nous croyons qu'un dialogue renforcé avec la Russie pourrait aider à ce qu'une issue durable soit trouvée pour l'Ukraine. Bien sûr, la crise politique que connaît ce pays est largement liée à sa situation intérieure, et notamment à une récession qui dure depuis quinze mois, mais les antagonismes se cristallisent sur les rapports avec l'Union européenne et la Russie.

Il serait bon, à notre avis, que l'Union ne fasse rien pour renforcer ces antagonismes et qu'elle s'efforce au contraire de les réduire. Il n'y a pas, selon nous, de fatalité à ce que l'Union et la Russie se trouvent en situation de concurrence, alors que la réalité est celle d'une interdépendance et, d'une manière ou d'une autre, d'un avenir commun.

Je cède la parole à Jean Bizet, afin qu'il aborde le volet économique.

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