Intervention de Pierre Sellal

Commission des affaires européennes — Réunion du 23 juillet 2015 à 9h00
Institutions européennes — Audition de M. Pierre Sellal ambassadeur représentant permanent de la france auprès de l'union européenne à bruxelles

Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne à Bruxelles :

Je répondrai d'abord, Monsieur le Président, à votre question concernant le portail « diplomatie ». L'idée lors de sa création était de rendre plus accessible - et non pas de restreindre - l'ensemble de la « production » diplomatique. Les courriers électroniques remplaçant de plus en plus les télégrammes traditionnels, s'est posée la question de leur archivage mais aussi le souhait d'en élargir la communication. Par conséquent, les assemblées parlementaires au premier chef, mais aussi les entreprises, les milieux universitaires et académiques, doivent pouvoir accéder pleinement à cette correspondance élaborée au quotidien par nos postes diplomatiques. Pour ma part, et pour ce qui concerne les affaires européennes, je veille à ce que les communications soient « étiquetées » de façon à ce que vous y ayez accès au moins aussi facilement, voire davantage qu'auparavant.

S'agissant de l'actualité qui a dominé ce semestre très dense de présidence lettone et de début de présidence luxembourgeoise, je remarque à quel point tous les dossiers de notre politique économique et sociale sont désormais débattus à Bruxelles. Le fait que le chef de l'État se soit rendu à Bruxelles à neuf reprises depuis septembre 2014 illustre cette nouvelle réalité. On attend de Bruxelles des solutions à nos difficultés, à tort ou à raison... Je remarque aussi que les dossiers phares que vous évoquiez, Monsieur le Président - Grèce, migrations - ont occulté deux dossiers économiques d'importance qui ont occupé ces six derniers mois :

- tout d'abord, le « semestre européen » mis en place dans le contexte de la crise et destiné à permettre de mieux mettre en oeuvre les stratégies économiques proposées aux États membres. Il y avait, en fin d'année dernière et début de 2015, un risque pour la France d'être l'objet de procédures coercitives, de sanctions. Ce n'est plus le cas désormais : les recommandations adressées à la France comme à chacun des États membres ont été adoptées de façon consensuelle après débat au Conseil européen de juin dernier. Si la France avait été l'objet de sanctions, c'eût été une atteinte très forte à notre capacité de proposition et d'initiative ;

- second sujet : le fonds Juncker. Il est important car il donne la priorité à l'investissement productif en mobilisant des ressources publiques et privées. Il illustre une réorientation des politiques européennes qui ajoutent à la seule règle un réel volontarisme. Il est aussi remarquable qu'un accord sur ce fonds Juncker ait été obtenu, au Conseil et entre le Conseil et le Parlement européen, en seulement quatre mois. Il nous appartient désormais d'en tirer le meilleur profit et la France, appuyée sur la Banque publique d'investissement (BPI) et le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), doit pouvoir présenter, avant les autres, les meilleurs projets de soutien de l'activité.

Sur les autres grands sujets, vous avez cité, Monsieur le Président, deux principes : solidarité et responsabilité. Ce sont en effet les deux termes qui ont dominé lors des discussions sur la Grèce et sur les politiques migratoires. La solidarité signifie l'assistance, vis-à-vis de la Grèce et aussi vis-à-vis des pays qui sont en première ligne des mouvements migratoires, la Grèce, l'Italie, Malte et aussi dans une certaine mesure la Hongrie. Mais cela implique aussi le respect de règles, c'est-à-dire la responsabilité : individuelle pour chaque pays - la Grèce, l'Italie... - mais aussi la responsabilité collective qui nous a notamment inspiré dans les discussions sur la zone euro. Les derniers débats ont été marqués par ces deux valeurs, même si l'esprit de solidarité n'est plus toujours également partagé dans l'Union à 28.

La Grèce s'est trouvée dans une situation économique insoutenable : un déficit public croissant, un secteur bancaire en grave déséquilibre, des besoins en liquidités nécessaires au remboursement des aides déjà consenties par le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque centrale européenne (BCE). La question posée après les dernières élections était : que fait-on pour mettre en oeuvre le second programme d'aide et remédier à la dégradation économique continue ?

À la fin 2014, la situation en Grèce se consolidait - avec une perspective de croissance pour 2015 de 3 % et la possibilité d'un retour de la Grèce sur les marchés. Le changement politique du début de l'année a conduit à une dégradation accélérée de la situation financière. Nous avons perdu de quatre à cinq mois, sans discussions, car Syriza récusait par principe les engagements de réforme précédents et refusait de les associer aux conditions d'une nouvelle aide. D'un côté, nous avions donc un gouvernement grec très peu enclin à tenir ses engagements de réforme, et de l'autre une réticence des créanciers à s'engager davantage.

On a souvent fait une lecture de la situation comme une opposition entre la Grèce et l'Allemagne. En réalité, l'opposition la plus forte aux demandes grecques est surtout venue d'une part, des petits pays de la zone euro plus pauvres que la Grèce et, d'autre part, de pays de la zone euro ayant dû consentir de lourds sacrifices comme l'Irlande, l'Espagne ou le Portugal. Les accents les plus forts à l'Eurogroupe sont venus du ministre slovaque, au nom de son pays où les retraites sont inférieures de moitié à celles versées en Grèce...

Au stade final, l'alternative était soit la « mise en congé » de la Grèce de la zone euro, soit tout faire pour l'y garder. Le Président de la République n'a jamais cru à la possibilité d'organiser une sortie de la Grèce de la zone euro. Pour le président de la BCE, M. Draghi, une telle option aurait été une expérience très difficile et constituait pour la zone euro un appareillage vers des eaux inconnues. Pour la Grèce, une sortie de la zone euro signifiait un écroulement économique, une dévaluation de 40 à 60 % et une paupérisation absolue de la société grecque. Par ailleurs, même si le traité ne mentionne pas explicitement l'irréversibilité de l'appartenance à la zone euro, la sortie d'un de ses membres aurait plongé les marchés financiers et le monde dans le doute sur l'avenir même et sur l'intégrité de la zone euro. Quant au concept intermédiaire de mise en congé provisoire de la zone euro, il relevait pour nous de la même incertitude...

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