Le montant affiché est objectivement un peu démesuré : 50 milliards d'euros. Nous avons fait observer au promoteur de cette idée que le montant géré par l'Agence des participations de l'État (APE) est entre 120 et 130 milliards d'euros en France. Alors, demander à la Grèce de céder 50 milliards d'euros, c'est énorme, mais n'oublions pas non plus l'importance de toute l'aide apportée : 130 + 100 + 80 milliards d'euros, cela fait beaucoup aussi. Mais il est douteux que la Grèce soit capable de réaliser 50 milliards d'euros de cessions d'actifs à court terme. Donc, voilà où nous en sommes. Pour l'instant, les réformes sont progressivement votées en Grèce : révision du régime de TVA, révision des taux, mise en place d'un nouveau code de procédure civile, réforme du droit du travail, révision des mesures prises sur les retraites. Point symbolique : certains États membres demandaient le retrait de toutes les mesures prises par Syriza depuis son arrivée au pouvoir. On pouvait difficilement demander à un gouvernement de s'engager à retirer tout ce qu'il avait fait voter depuis son arrivée. On a trouvé des formulations et des modulations qui rendaient les choses plus acceptables politiquement parce que, encore une fois, il fallait trouver un accord politique. Alors, est-ce que ces mesures auront des effets ? Dans l'économie française, vous pouvez manipuler les taux de TVA et en mesurer aussitôt les effets économiques, mais dans une économie grecque anémiée avec une base industrielle aussi faible, il n'est pas évident que vous puissiez agir avec des leviers de cette nature sur l'activité économique. C'est l'inconnue des mois qui viennent. J'espère néanmoins que ce qui a été convenu permettra d'éviter la faillite et de retrouver un fonctionnement normal de l'économie grecque. Les leçons à en tirer sont de plusieurs ordres. Sur le plan politique, il doit y avoir une nécessaire conciliation des choix démocratiques nationaux avec la continuité des règles européennes. C'était un grand débat au départ de la crise grecque : est-ce que le fait qu'une nouvelle majorité s'installe remet en cause les règles européennes ? La réponse est non. L'Europe est faite de règles qui s'inscrivent dans la permanence. Un gouvernement peut modifier certains choix, mais il y a un principe de continuité d'engagement de l'État membre. Plutôt que de demander au gouvernement grec de faire ce à quoi le précédent gouvernement s'était engagé, nous l'avons invité à produire des mesures équivalentes. L'Union repose sur la continuité des engagements pris au nom de l'État.
Toujours parmi les leçons de cette crise : les imperfections de la construction de la zone euro sont devenues plus visibles. Objectivement, cette construction souffre de l'écart entre une gestion totalement fédérale et intégrée de la politique monétaire et la moindre intégration des politiques économiques, budgétaires et fiscales des États membres. D'où l'idée défendue par M. Draghi et d'autres que la pérennité de la zone euro passe à terme par une plus grande intégration avec peut-être une possibilité d'action budgétaire au niveau de la zone euro. Il y a un travail franco-allemand continu sur ce sujet et une contribution a été déposée qui a été suivie du rapport des cinq présidents sur cette question. Certes, il existe des nuances d'appréciation entre la France et l'Allemagne, mais nous continuons à travailler ensemble. Une des nombreuses questions qui se posent est la suivante : que peut-on entreprendre à court terme ? On ne veut pas lancer une révision des traités. Il y a plusieurs raisons de redouter une révision prématurée des traités à cause de la difficulté politique de l'exercice. Cela prendrait du temps et les ratifications sont de plus en plus aléatoires. Aussi ne faut-il se lancer dans la révision des traités que lorsqu'on a l'absolue certitude qu'elle est nécessaire et sûre de réussir. J'ajoute que le contexte des demandes britanniques pousse encore davantage à la prudence et nous ne souhaitons pas donner à nos amis britanniques l'occasion de faire valoir leurs exigences dans ce domaine et d'obtenir un nouveau statut ou de nouveaux aménagements favorables au Royaume-Uni. Nous pensons dans un premier temps à un renforcement de la zone euro dans le cadre des traités existants.
Je passe maintenant à l'immigration qui illustre aussi la recherche d'équilibre entre responsabilité et solidarité. Pourquoi autant de débats et de tensions ? Parce que la pression migratoire s'est accrue de façon impressionnante en Europe (150 000 migrants en Europe depuis le 1er janvier de cette année). Il y a une explosion migratoire sur la Route des Balkans occidentaux en provenance de la Hongrie. Les naufragés sur les côtes siciliennes ont frappé les esprits. L'effondrement de l'État libyen, la situation au Proche et au Moyen-Orient et la paupérisation du Sahel, due à une explosion démographique, en sont les causes premières.
Nous avions donc besoin d'une réaction européenne solidaire parce que le système européen - dont Schengen - est une responsabilité partagée. La contrepartie nécessaire du projet Schengen, la contrepartie de la suppression des frontières à l'intérieur, est le renforcement de la frontière extérieure. Il y a une responsabilité de chaque État membre détenant une part de frontière extérieure à la protéger. Il faut aussi une réponse collective rendue nécessaire par la situation de crise et cette réponse passe par des actions politiques. Les pays de première entrée comme l'Italie et la Grèce doivent appliquer rigoureusement la règle que nous connaissons tous (règles de Schengen, règles de Dublin) et qui impose aux pays de première arrivée d'identifier les migrants, de les enregistrer et de procéder à une répartition entre ceux qui sont éligibles à une protection et ceux qui n'ont pas vocation à bénéficier d'une protection (ceux-là sont des migrants irréguliers et doivent faire l'objet d'une politique de retour dans leur pays d'origine). Comment obtenir des pays en première ligne d'appliquer rigoureusement cette règle pour le bon fonctionnement de l'espace Schengen ? Quand on voit cet afflux sur les côtes italiennes, on comprend que la tâche est difficile. Nous avons constamment rappelé l'Italie à ses obligations, mais il est clair que sans une perspective de répartition des migrants réguliers entre les États membres, l'Italie se lassera du rôle qu'elle assume.
Les autorités italiennes n'assureront pas un respect intégral de leurs obligations, à savoir garder sur leur territoire tous les migrants susceptibles de bénéficier d'une protection ; d'où l'idée d'un programme de relocalisation pour les réfugiés des côtes italiennes. Le débat porte sur le principe du programme, sur le quantum (40 000 personnes sur deux ans) et sur la répartition entre les États membres de ces 40 000 réfugiés. Il ne s'agit donc que des réfugiés (et non de l'ensemble des migrants), mais ce serait un soulagement pour l'Italie. Beaucoup de nos partenaires répugnent à la solidarité imposée par cette répartition. Cependant, nous sommes parvenus à un accord sur 32/33 000 réfugiés. L'important est de montrer aux Italiens qu'un processus est engagé et qu'un dispositif se met en place. La dernière pièce du dispositif est une politique de retour effectif et efficace. C'est difficile, mais il faut le faire. Il faut des accords avec les pays d'origine. Exemple des mesures prises : l'agence Frontex ne pouvait aider à des programmes de retour que s'il y avait plusieurs États membres réunis sur la même opération. Nous avons levé cet obstacle et, aujourd'hui, Frontex peut participer à une opération de retour au bénéfice d'un seul État membre. Surtout, il faut coopérer avec les pays d'origine et il y aura une conférence entre les chefs d'États africains et les Vingt-huit qui aura lieu à La Valette au mois de novembre pour essayer de définir un cadre de coopération. Le Niger peut constituer un cas d'école, car c'est un carrefour de tous les trafics. Il faut en faire une opération pilote.
Sur l'Ukraine, il n'y a pas d'alternative aux accords de Minsk qui constitue le seul cadre reconnu par les deux parties comme viable. Le « format Normandie » continue à fonctionner sous forme d'appels téléphoniques entre les quatre exécutifs (français, russe, allemand et ukrainien). La difficulté principale consiste à déterminer l'avenir de la région de Donbass. Les Russes veulent une structure fédérale. Je ne pense pas que les Russes veuillent une véritable autonomie ni une indépendance du Donbass, car ils seraient obligés d'en prendre la charge. Du côté ukrainien, on cherche à maintenir l'unité nationale, et donc on est plus favorable à une simple décentralisation. Nous suivons le processus avec attention. Sur le plan économique, on cherche à expliquer à la Russie qu'elle ne perd rien au développement des échanges Est-Ouest. Enfin, il y a un « dialogue gazier » qui se poursuit. Nous avons réussi à passer l'hiver, mais nous n'avons pas d'accord pour l'hiver prochain.
Quant aux sanctions, celles qui concernent la Crimée ont vocation à rester en place à cause de la violation du droit international. Pour les autres sanctions qui concernent l'Ukraine, il a été convenu qu'elles évolueraient en fonction de l'application des accords de Minsk. Elles restent en place jusqu'à la fin de l'année 2015. Si à cette date, les accords sont mis en oeuvre, elles seront levées.