L'aspiration à une intégration plus poussée peine à se concrétiser dans un contexte où il y a justement beaucoup de frilosité qui s'exprime face à un tel projet. Le moment historique que nous vivons est ainsi : d'un côté, des mouvements populistes, des résistances face à toute forme de partage supplémentaire de souveraineté et, de l'autre, des situations objectives - les difficultés de fonctionnement de la zone euro ou les pressions migratoires - qui justifieraient des intégrations plus poussées. La difficulté politique de ce moment est de trouver le chemin qui nous permette de progresser dans la voie de partages supplémentaires tout en sachant que l'acceptabilité politique en est incertaine et que les gouvernements ne souhaitent pas avoir à la tester par le référendum, en particulier.
Sur les engagements grecs, j'ai eu la même surprise que vous, Monsieur Nègre, quand j'ai pris connaissance du premier catalogue de mesures que les autorités grecques allaient devoir faire adopter dès le lendemain de l'accord, soit entre autres une révision fondamentale du régime de TVA et un code de procédure civile. On m'a alors indiqué que les textes élaborés en collaboration avec la Task force étaient prêts depuis deux ou trois ans mais étaient restés bloqués. De fait, le Parlement grec a pu voter ces réformes dans le temps imparti, le nouveau code de procédure civile ayant pour but principal d'accélérer les procédures judiciaires en matière commerciale et économique.
La difficulté politique de M. Tsipras est de veiller à la mise en oeuvre d'un plan auquel il déclare, en effet, ne pas croire. Cela étant, conscient qu'il n'y avait pas d'autre alternative, il a bien expliqué que nécessité faisait loi. Pour l'instant, les engagements sont tenus. Mais la vraie difficulté selon moi, c'est l'administration grecque qui n'est pas forcément en état de mettre en oeuvre ces réformes.
L'agenda numérique sera une priorité importante de la Commission Juncker. La sauvegarde de l'économie européenne dans la compétition mondiale passe nécessairement par la numérisation des industries et des services européens. Dans ce domaine, la Commission européenne a tendance à appliquer ses recettes favorites, à savoir le démantèlement des obstacles au marché intérieur et la mise en place de règles juridiques qui assurent la libre circulation et la libre prestation de services. Ce n'est pas suffisant. Mais nous connaissons ce problème depuis 30 ans, depuis la mise en oeuvre de l'Acte unique : il est plus facile de bâtir des règles juridiques à la majorité qualifiée que de bâtir une politique industrielle. La délégation française s'efforcera de rappeler à la Commission et à ses partenaires, avec l'appui des résolutions du Sénat, qu'une authentique stratégie numérique, ce ne sont pas simplement des règles de fonctionnement du marché intérieur.
Le droit d'auteur est une question importante pour la France et pas uniquement pour des raisons liées à la préservation de notre modèle culturel. Nous sommes convaincus que sans protection de la propriété intellectuelle, il n'y a aucune perspective de développement de la recherche et de l'innovation dans le domaine numérique. Nous devons ainsi expliquer à certains de nos interlocuteurs au sein de la Commission européenne que la protection du droit d'auteur n'est pas un obstacle au développement de l'économie numérique mais qu'elle en est la condition sine qua non. Certains ont en effet la conviction que le droit d'auteur serait l'héritage d'une époque pré-numérique et qu'il s'agit donc de faire oeuvre de modernisation en le mettant en harmonie avec le fonctionnement de l'économie numérique qui repose sur la gratuité, la neutralité et l'absence de protection des contenus. Nous avons déjà marqué quelques points : la Commission européenne a ainsi annoncé que ses propositions de révision des directives « droits d'auteur » qui étaient attendues à l'automne sont repoussées au premier semestre 2016 dans le meilleur des cas ; elle a d'ailleurs reconnu qu'il était impossible, d'après les études d'impact qu'elles avaient commandées, de démontrer la nécessité d'une telle réforme.
Lors des négociations financières, à aucun moment, les Grecs n'ont lié leur attitude concernant les flux migratoires et l'aide qu'ils sollicitaient. Je pense qu'en cas de sortie de l'euro, le pays aurait été plongé dans un tel chaos que l'application des règles de Dublin et la gestion des flux migratoires n'auraient certainement pas été sa préoccupation première.
Sur les dépenses budgétaires, il y a deux anomalies par rapport à la moyenne européenne dans le budget grec : le régime de retraite et l'effort de Défense, qui sont disproportionnés par rapport à la richesse du pays. Sur la Défense, cela se justifie historiquement aux yeux des Grecs par le voisinage de la Turquie. La conséquence en a été la sanctuarisation du budget de la Défense pendant des décennies en Grèce. Et aujourd'hui, ce budget est bien supérieur à la moyenne européenne. Il leur est demandé 200 millions d'euros d'économies, ce qui les maintiendra dans les pays qui participent le plus.
Vous avez cependant raison, monsieur le Sénateur, de rappeler qu'un rehaussement de l'effort de Défense est nécessaire au niveau national dans le contexte sécuritaire que connaît l'Europe. Il avait été décidé lors du Conseil Défense de décembre 2013 de faire un point 18 mois plus tard, mais nous nous sommes demandé s'il était opportun de tirer un bilan maintenant. Donald Tusk était réticent, mais le Président de la République a estimé que nous ne pouvions laisser passer ce rendez-vous pour insister sur l'importance de l'effort de Défense.
Mon sentiment est que la base industrielle de Défense est le domaine dans lequel on peut faire plus et mieux ! Je ressens un plus grand consensus sur ce sujet que sur les opérations extérieures ou la construction d'une Europe de la Défense. Cependant, vous savez que notre principale difficulté sur les questions de Défense, c'est que notre premier partenaire, le Royaume-Uni, refuse de participer à tout exercice qui serait de nature européenne. À partir de là, il est difficile pour la France d'aller plus loin dans un cadre européen.
Madame Keller, au sujet du Royaume-Uni, les négociations n'ont pas encore commencé.
Ce qui me frappe, c'est que la démarche britannique est perçue par de nombreux États membres comme quelque chose d'artificiel. Il y a à cela trois raisons. Tout d'abord, ce n'est pas la première fois que les britanniques posent cette question. Dès 1975, Harold Wilson voulait revenir sur l'entrée du royaume dans la Communauté économique européenne (CEE) trois ans auparavant ! Il y a donc un sentiment de déjà-vu. Deuxièmement, la situation économique du pays n'est pas de nature à justifier une plus grande solidarité à l'égard du Royaume-Uni et une action européenne. Cette question relève plus d'un débat interne qu'un sujet européen. Enfin, il convient de mesurer que les britanniques sont à la fois dans une situation particulière à l'égard de l'Union européenne avec le nombre de dérogations dont ils bénéficient et à la fois dans une position avantageuse : bien qu'ils n'appliquent pas un certain nombre de politiques européennes comme l'euro et Schengen, ils participent à leur élaboration.
On entrera véritablement dans le vif du sujet au second semestre. Il y a quatre questions. Cela commencera avec la question de la souveraineté qui porte notamment l'application au Royaume-Uni du principe d'une Union sans cesse plus étroite et sur le pouvoir du Parlement britannique d'interférer dans le processus d'élaboration des politiques européennes. Puis viendra la question de la compétitivité : les décisions européennes sont-elles assez en faveur de la compétitivité et ne peut-on avoir des règles plus simples ? S'il s'agit d'améliorer le fonctionnement des politiques européennes, nos propres intérêts pourront rencontrer les intérêts britanniques. Le troisième aspect est l'articulation « 28-19 », c'est-à-dire entre l'Union européenne à 28 et la zone euro à 19. Comment faire en sorte que le Royaume-Uni ne soit pas perdant face à la zone euro ? Enfin, quatrième pilier de cette évaluation, le plus difficile juridiquement et politiquement, c'est la question des mouvements de personnes dans l'Union et l'accès aux prestations sociales.
Les Britanniques chercheront des réponses à l'ensemble de ces questions et voudront que les réponses aient une forme juridique aussi solide que possible, d'où l'idée d'une révision des traités. L'arbitrage que devra faire M. Cameron sera entre la substance, la rapidité et la forme juridique.
La position française est que nous souhaitons le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, mais pas à n'importe quel prix et surtout pas au prix de l'abandon des principes sur lesquels l'Europe est constituée.
Au sujet de l'approfondissement de la zone euro, la base de réflexion, c'est le rapport des cinq présidents remis au Conseil en juin. Il comprend des mesures de court terme et des mesures de long terme qu'il convient d'examiner avec beaucoup de prudence. Le document franco-allemand de mai met plus en avant des mesures de court terme qui ne nécessitent pas de révision des traités. Par exemple, la question de la gouvernance ne requiert pas de modification des textes. Il existe un semestre européen, mais il manque un semestre européen de la zone euro. Cela peut être envisagé à traités constants. On peut aussi envisager de réunir les ministres de la zone euro des finances, de l'économie, des affaires sociales pour évoquer la convergence sociale, fiscale et économique dans la zone euro. Il manque aussi la capacité du Parlement européen à s'exprimer sur la zone euro sans être obligé de le faire à 28. C'est à lui de s'organiser, peut-être comme l'a fait le Conseil, qui prévoit des sommets des États membres de la zone euro. Mais il y a encore des réticences à le faire.
Enfin, le Président de la République a évoqué la question du travail en commun des Parlements nationaux. On pourrait envisager que des représentants des commissions compétentes se retrouvent régulièrement.
Sur l'Ukraine, Monsieur Leconte, je suis d'accord pour dire que les accords de Minsk sont très fragiles. Ce qu'il manque principalement, c'est une stratégie nationale ukrainienne. On ne voit pas ce que ce pays veut devenir. Parallèlement, il manque une stratégie de l'Union européenne à l'égard de la Russie. Cela a commencé à Riga, où nous avons voulu abandonner la position manichéenne qui avait été celle de Vilnius qui imposait aux membres du Partenariat oriental de choisir entre l'Europe et la Russie. Sur ce sujet, nous nous sommes d'ailleurs trouvés en plein accord avec les allemands tant dans l'analyse que sur ce qu'il fallait faire : le Partenariat oriental, ce n'est pas l'antichambre de l'adhésion et il y a un avenir pour l'Ukraine en dehors de l'adhésion. Maintenant, toute la question est de savoir si la Russie acceptera de réfléchir avec nous à ce que pourrait être un nouveau partenariat !