À l'initiative de notre ancienne collègue Françoise Boog, le Sénat a adopté le 16 juillet dernier une proposition de résolution européenne sur un projet de directive de la Commission européenne concernant la consommation de sacs plastiques. Le texte visait à réduire celle-ci à l'échelle européenne et à limiter la prolifération des sacs dans la nature. 8 milliards de sacs en plastique légers ont été jetés dans la nature en 2010 au sein de l'Union européenne. Ce qui représente 16 sacs par habitant. Chaque citoyen européen utilise en moyenne 198 sacs en plastique, dont 90 % sont des sacs légers moins réutilisables et plus enclins à devenir des déchets.
Le texte de la Commission visait tous les sacs en plastique d'une épaisseur inférieure à 50 microns remis sur le lieu de vente, quelle que soit leur nature - biosourcé ou pétrochimique - et leur utilisation, sacs de caisse ou sacs de types fruits et légumes. Je vous rappelle que près de 12 milliards de sacs fruits et légumes sont utilisées chaque année en France. Ces sacs très fins sont les moins réutilisables et, en conséquence, le plus souvent abandonnés.
Si l'épaisseur dépasse 50 microns, les sacs sont considérés comme réutilisables. Les sacs biodégradables dont l'épaisseur est inférieure à 50 microns sont également concernés par le texte de la Commission. Il n'y a rien d'étonnant à cela puisque ces sacs ne se biodégradent pas naturellement. Pour y parvenir ils doivent être soumis à une température de 57 degrés et à un taux d'humidité au moins égal à 90 %. Ce qui est plus facilement atteignable au sein d'une usine de compostage que dans la nature...
S'il est incontestable que les sacs plastiques constituent une menace pour l'environnement, notre ancienne collègue s'était néanmoins interrogée sur le rôle que peut jouer l'Union européenne dans ce domaine. La dimension transfrontalière du problème ne constitue pas véritablement un argument. Cette pollution reste malgré tout faiblement mobile, surtout au niveau terrestre.
L'utilisation de sacs plastiques diffère de surcroît d'un pays à l'autre au sein de l'Union européenne. Si les Danois ou les Finlandais ne consomment qu'un sac en plastique par trimestre, les Chypriotes, les Hongrois, les Polonais, les Portugais, les Slovaques et les Slovènes voient cette fréquence passer à un par jour. Chaque Français consomme quant à lui quatre-vingt-dix sacs par an, soit un peu moins de deux par semaine et surtout deux fois moins que la moyenne communautaire.
Dans ce contexte, quelle peut être la plus-value d'une action uniforme de l'Union européenne ? D'autant que si la proposition affiche un objectif élevé, la réduction de la consommation de sacs en plastique dans un délai de deux ans, les moyens à mettre en oeuvre ne sont pas définis et demeurent à la discrétion des États membres. La Commission communautarise in fine les actions menées par les États membres. Elle ne fixe aucun objectif quantifié de consommations de sacs par habitant et par an. La seule précision du texte concerne son champ d'application, qui vise donc les sacs dont l'épaisseur est inférieure ou égale à 50 microns. Or, des sacs de cette épaisseur ne sont jamais distribués en caisse. Trop épais et trop coûteux, ils n'ont jamais été fabriqués en série.
Dans ces conditions, le seuil de 50 microns apparait manifestement inadapté aux produits désormais mis à la disposition du public. Je pense notamment aux sacs réutilisables dont l'épaisseur tourne autour de 30 microns. Nos voisins belges ont ainsi mis en place des dispositifs dissuasifs visant les sacs d'une épaisseur inférieure ou égale à 20 microns.
Le dispositif adopté par le Parlement européen était quant à lui plus ambitieux que la proposition initiale et établissait des objectifs précis. Les États membres devaient ainsi réduire leur consommation de sacs de caisses d'une épaisseur inférieure ou égale à 50 microns de 50 % d'ici 2017 et de 80 % deux ans plus tard, par rapport aux chiffres de 2010. Les sacs utilisés pour emballer les fruits, les légumes ou les confiseries devaient, quant à eux, être remplacés d'ici 2019 par des sacs en papier recyclés, biodégradables ou compostables.
Si le projet de la Commission européenne manquait clairement de portée et laissait sceptique quant à son utilité, la version modifiée par le Parlement européen nous avait semblé à l'inverse trop radicale et peu en phase avec les réalités commerciales et industrielles. Elle mésestimait notamment les avancées enregistrées au sein de certains pays dont la France.
Dans ces conditions, la résolution adoptée par le Sénat insistait sur trois objectifs :
- la mise en place d'un objectif clair de nombre de sacs par habitant, par an et par pays, adapté à l'état d'avancement des États membres dans ce domaine ;
- la promotion des véritables filières industrielles de compostage dès lors que l'accent serait mis au niveau européen sur l'utilisation des sacs biodégradables ou compostables ;
- l'adoption d'un cadre européen en faveur du recyclage des sacs plastiques avec pour objectif zéro plastique dans les décharges à partir de 2020.
L'accord conclu entre le Parlement européen et le Conseil le 17 novembre dernier se démarque nettement de la position maximaliste des députés européens. L'accord trouvé répond à notre souhait d'une approche plus respectueuse des spécificités nationales, comme le souligne le gouvernement dans la fiche de suivi de notre résolution qu'il nous a transmise hier, le 20 janvier.
Afin de réduire la consommation de sacs en plastique, les États membres auront le choix entre imposer des objectifs de réduction contraignants - 90 sacs par personne et par an d'ici au 31 décembre 2019 puis 40 sacs par personne et par an d'ici au 31 décembre 2025 - ou adopter des mesures interdisant la fourniture gratuite de ce type de sacs. Soit ce que nous faisons en France depuis 2005 et qui nous a permis de réduire de 95 % notre consommation depuis cette date, en généralisant les sacs payants de 12 microns. Les sacs pour les fruits et légumes ne sont, par ailleurs, plus concernés par la directive qui vise désormais spécifiquement les sacs compris entre 15 et 50 microns. Rappelons que toute mesure visant les sacs pour les fruits et légumes se heurtait à deux écueils :
- une majoration du coût d'emballage et donc du prix des fruits et légumes ;
- une difficulté technique en grande surface où le traitement de ces denrées implique que la quantité puisse être visible via un sac transparent.
Les États disposent de 18 mois après l'entrée en vigueur de la directive pour la transposer dans le droit national. Ils devront au cours de la première année d'application lancer des campagnes d'information sur le sujet. La Commission européenne s'associera à cette promotion et devra, deux ans après l'entrée en vigueur du texte, évaluer l'impact sur l'environnement des sacs oxo-dégradables, défendus par nos amis Britanniques et exclus du champ d'application de la directive au terme du trilogue. Elle devra, dans le même délai, proposer de nouvelles pistes de réflexion pour la réduction des sacs très légers.
Je vous rappelle que les sacs dits oxodégradables sont censés représenter la deuxième génération des sacs biodégradables. Ces sacs sont fabriqués à base de polymères traditionnels, mais grâce à des additifs, comme des sels de métaux, le plastique abandonné dans la nature s'oxyde sous l'action de la lumière ou de la chaleur et finit par se biodégrader. Ces sacs semblent laisser néanmoins de fines particules dans l'environnement.
Si le compromis trouvé répond pour partie aux réserves formulées par le Sénat il y a six mois, nous pouvons continuer à nous interroger sur la portée d'un texte qui sera, selon la Commission européenne elle-même, difficile à appliquer. La nouvelle Commission européenne, par la voix de son premier vice-président, Frans Timmermans, a estimé le 18 novembre dernier que le texte ne correspondait pas, en effet, à l'objectif de mieux légiférer qu'elle s'est assignée. Ses doutes portent notamment sur le fait que huit États n'avaient pas transmis de données destinées à identifier et fixer des objectifs adéquats lorsque la proposition a été élaborée. La Commission européenne émet également des doutes sur les normes d'emballages pouvant être compostés retenues dans le texte adopté. Elle s'interroge enfin sur le choix des outils laissés aux États membres. Elle regrette de plus la première version du texte qui n'apportait pourtant pas grand-chose comme on l'a vu et laissait tout autant de marges de manoeuvres aux États membres... En cela, la nouvelle Commission européenne ne déjuge pas totalement la précédente.
La Commission européenne n'a cependant pas retiré son texte comme elle l'avait initialement envisagé. Seul alors un vote à l'unanimité du Conseil aurait pu maintenir le texte. Ce faisant, la Commission renouvelle son engagement en faveur de la protection de l'environnement et d'une économie circulaire. En affichant ses réserves sur les modalités pratiques du dispositif, elle rappelle également l'engagement pris par le président Juncker lors de son investiture et contenu dans les lettres de mission du Premier vice-président et du commissaire à l'environnement, à savoir simplifier et recentrer la législation existante tout en luttant contre l'inflation normative. Au risque, il faut bien le reconnaître, de faire passer cette directive pour une simple déclaration de bonnes intentions, sans réelle valeur ajoutée. Ce que notre assemblée n'avait déjà pas manqué de relever en juillet dernier.