Intervention de Bernadette Bourzai

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 octobre 2013 : 1ère réunion
Agriculture et pêche — Sécurité sanitaire et santé animale - communication et proposition de résolution européenne de mme bernadette bourzai

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

En mai 2013, la Commission européenne a présenté un ensemble de propositions de règlements -un « paquet législatif »- relatifs à la santé végétale, à la santé animale, aux semences. La présentation qui suit concerne le seul volet « santé animale ».

Cette proposition de règlement, plus connue sous l'appellation « loi santé animale », se présente comme une opération de toilettage et de simplification d'un ensemble de textes anciens et disparates. Cet objectif, évidemment louable, n'exclut pas certaines interrogations, notamment sur le processus de décision dans l'Union européenne, qui appellent notre vigilance.

Je vous propose de présenter cette proposition de règlement avant d'analyser les questions en débat et de proposer une résolution européenne.

L'Europe doit régulièrement faire face à des crises sanitaires animales. Les maladies restent présentes dans les pays d'élevage. L'Union européenne doit se préparer à affronter ces risques accrus sous l'effet de la multiplication des échanges, du changement climatique, et des mutations des agents infectieux.

L'aptitude à traiter une crise est un critère légitime d'appréciation des citoyens sur le fonctionnement des institutions. Lors de l'épisode de la vache folle, les tergiversations de la Commission sur les restrictions aux échanges avaient beaucoup affecté la crédibilité des institutions européennes dans leur ensemble. C'est à cette époque que la santé animale est entrée dans le champ du débat politique.

En 2007, la Commission européenne publie une communication intitulée « une nouvelle stratégie de santé animale pour l'Union européenne ». Elle a présenté ses propositions réglementaires en mai 2013 au sein d'« un paquet sanitaire ». La formule est désormais courante. En 2004, le « paquet hygiène » visait la sécurité sanitaire des aliments, s'intéressait au produit fini, en laissant de côté les producteurs primaires - éleveurs et agriculteurs. Le « paquet santé » vient en quelque sorte en complément, en amont, du précédent « paquet hygiène ».

L'objectif du texte est de garantir un niveau élevé de santé publique et de sécurité sanitaire. Cet objectif passe par la simplification des textes actuels. Le cadre législatif européen actuel en matière de santé animale comporte près de 50 directives et règlements de base ainsi que quelque 400 textes de droit dérivé remontant pour certains à 1964. Une telle accumulation pouvait conduire à des incohérences, des redondances.

Cette proposition de règlement de 260 articles codifie l'ensemble de l'acquis législatif européen en santé animale. Elle prévoit quelques clarifications. La catégorisation répond en quelque sorte au classement : quelles actions pour quelles maladies ? La proposition précise quelques dispositions sanitaires qui portent sur les niveaux de surveillance, la dématérialisation des documents, la limitation des mouvements d'animaux à un seul centre de rassemblement dans le pays de départ, la reconnaissance de l'intérêt du recours à la vaccination d'urgence. Enfin, la proposition reprend des principes, aujourd'hui acquis, sur l'analyse des risques.

Le texte est aujourd'hui examiné selon la procédure législative ordinaire, par les deux branches du législateur européen.

Concernant le Parlement européen, le texte a été renvoyé au fond à la commission de l'agriculture. Deux autres commissions sont saisies pour avis : la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, ainsi que la commission pêche. Quatre femmes ont été nommées rapporteurs. Un vote en commission est prévu en janvier 2014 et un vote en plénière en février ou mars 2014.

Concernant le Conseil, le texte est actuellement soumis à l'examen des groupes d'experts.

Un accord en première lecture entre le Parlement européen et le Conseil est peu probable. Compte tenu de l'agenda politique européen, une adoption de ce texte ne peut être envisagée avant fin 2014/début 2015. La Commission a annoncé un délai de 36 mois pour adopter des décisions complémentaires, de telle sorte qu'une application du texte ne peut être attendue avant début 2017.

La France accueille très favorablement cette initiative européenne. Elle est considérée par ses partenaires comme un État plutôt interventionniste, mais efficace. Les principes d'action, initiés par la France, ont été repris par la Commission. Malgré ce satisfecit général, quelques interrogations se font jour. Elles sont à trois niveaux.

Le premier niveau est technique. Experts et éleveurs ont pu s'inquiéter de certaines dispositions techniques du texte. C'est le cas, par exemple, des dispositions sur les mouvements d'animaux. La proposition prévoit que les animaux envoyés dans un autre pays de l'Union européenne ne soient pas soumis à plus d'un rassemblement par pays. Cette disposition est destinée à limiter à la fois les risques sanitaires liés aux mouvements, aux mélanges d'animaux à statut sanitaire différent et au stress des animaux. Une règle qui peut s'avérer problématique dans le cas d'éleveurs dispersés.

La France, qui reste un pays d'élevage et d'élevages de taille moyenne, pourrait pâtir d'une règle comme celle-là. La moyenne serait en France entre deux et trois allotements par expédition. Selon le ministère, au moins 10 % des expéditions seraient condamnées par ce dispositif de centre de rassemblement unique.

Dans le souci de bien faire, la Commission n'irait-elle pas trop loin ? Il faut privilégier l'obligation de résultat à l'obligation de moyens.

De même, le dispositif de police sanitaire avant les exportations d'animaux serait modifié par la proposition. En vertu d'une ancienne disposition, remontant à 1964, les actes de police sanitaire sont allégés lorsque l'État dispose de réseaux de surveillance. Ces notions de réseau d'épidémiosurveillance et de contrôle allégé ne sont pas reprises dans le texte, ce qui pourrait représenter une charge supplémentaire pour les éleveurs.

Ces questions techniques seront vraisemblablement traitées au sein des groupes d'experts dans les formations du Conseil.

En revanche, sur un plan plus général -c'est le deuxième niveau d'interrogation le texte comporte quelques insuffisances.

Tout d'abord, on pourra s'interroger sur les dispositions financières. L'Union européenne doit se préparer à affronter des risques sanitaires. Les professionnels de l'élevage suivent et s'inquiètent de la progression de maladies dans et aux frontières de l'Europe.

Comment ces risques seront-ils gérés sur le plan financier ? Il y a une forte ambiguïté financière depuis que la santé animale est sortie du cadre budgétaire de la politique agricole commune (PAC) pour figurer maintenant dans la rubrique 3 du cadre financier pluriannuel - sécurité et citoyenneté.

Le nouveau règlement OCM unique prévoit bien une clause de soutien de marché financée sur la réserve de crise en cas d'épizootie. Mais cette réserve ne peut être utilisée pour traiter les cas évoqués ci-dessus puisque la santé animale est sortie de la PAC ! Comment ces mesures vont-elles être financées ? Sur l'instrument de flexibilité ? Ce point mérite d'être précisé.

Ensuite, le volet recherche est très peu évoqué dans cette proposition. Comment annoncer une loi de santé animale, censée être décisive pour l'Union européenne, sans un volet recherche puissant ? Il n'y a pratiquement aucune disposition sur ce thème.

L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a, bien entendu, son rôle à jouer dans cette évaluation. Tel fut le sens de l'avis politique présenté à la Commission européenne à la suite de notre rapport sur le virus de Schmallenberg, en décembre 2012. Notre commission avait demandé à la Commission européenne de saisir l'EFSA afin qu'elle conduise une analyse des risques d'introduction des maladies nouvelles dans une zone d'importation suspecte.

Dans un courrier du 7 mai 2013, adressé au Président du Sénat, M. Maro efcoviè, vice-président de la Commission européenne, s'est engagé à donner une suite à cette initiative.

C'est un succès pour le Sénat et pour sa commission des affaires européennes en particulier. Il doit nous encourager à renouveler ces initiatives qui contribuent à faire vivre le dialogue politique entre les parlements nationaux et la Commission.

Le troisième niveau concerne l'interrogation institutionnelle sur le pouvoir réglementaire délégué à la Commission. Le texte se veut un texte de codification regroupant des dispositions dispersées, mais de nombreux articles fixent renvoyés à des textes d'application.

La santé animale est un exemple de transfert massif du pouvoir législatif à la Commission européenne. Il y a une forte inquiétude à ce sujet.

Le traité de Lisbonne apporte des modifications majeures dans le processus décisionnel de l'Union européenne. Cela est bien connu s'agissant de l'adoption des textes de base. Mais une évolution tout aussi importante touche le pouvoir réglementaire dérivé.

Jusqu'au traité, le pouvoir d'application de la Commission était encadré par ce que l'on a appelé, « la comitologie ». Le pouvoir dérivé de la Commission restait sous contrôle des États par l'intermédiaire des avis des comités d'experts. Selon les cas, ces comités avaient un pouvoir consultatif, un pouvoir d'opposition ou un pouvoir d'approbation.

Le traité de Lisbonne a modifié ces règles en distinguant deux nouvelles procédures : la procédure des actes délégués, instituée par l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et la procédure des actes d'exécution instituée par l'article 291.

Avec les actes délégués, la Commission se voit confier le pouvoir de compléter ou modifier les éléments non essentiels de l'acte de base. La Commission est assistée d'un groupe d'experts. Mais la consultation n'est pas obligatoire et il ne s'agit pas des représentants des États membres. Le législateur présente son projet d'acte délégué aux deux législateurs qui peuvent s'opposer à la mesure.

Avec les actes d'exécution, on retrouve le système classique de comitologie, composé des représentants des États membres. Dans la procédure d'examen la plus courante, le comité doit adopter un avis, positif ou négatif, à la majorité qualifiée. En cas d'opposition, la décision remonte à une formation du Conseil.

Ces procédures ont été souvent utilisées et les positionnements se sont affinés. Le Parlement européen serait plutôt favorable aux actes délégués car il dispose d'un vrai pouvoir d'opposition. Mais il n'y a pratiquement pas de contrôle des États membres. Le Conseil serait plutôt partisan des actes d'exécution car la procédure est voisine de l'ancienne comitologie. Selon un observateur, « la Commission s'arrange toujours pour éviter une situation de blocage et parvient presque toujours à faire passer ses projets ».

La présente proposition de règlement se caractérise par un nombre considérable d'actes dérivés : les 260 articles de base renvoient à quelques 106 actes délégués et 57 actes d'exécution. Le texte est parfois ressenti comme étant « une coquille vide » qui sera remplie plus tard. Remplie par la Commission, au nom de son pouvoir délégué et de son pouvoir d'exécution.

Cette situation a déjà été dénoncée par deux parlements, autrichien et tchèque. Sous prétexte de faciliter le travail législatif, de le rendre plus rapide, la procédure de législation dérivée ne doit pas être détournée de ses objectifs. Le pouvoir délégué de la Commission ne doit pas se substituer au pouvoir normatif du législateur.

Cette situation est souvent évoquée dans l'examen des propositions d'actes législatif, dans la plupart des domaines, mais elle atteint sans doute, dans le cas présent, un niveau excessif.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous suggère d'adopter la proposition de résolution qui vous a été communiquée.

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