Il me revient - avant de céder dans quelques instants la parole à notre collègue Claude Kern en sa qualité de co-rapporteur - de vous présenter le début de nos conclusions après plus d'un an de travaux qui nous ont permis de véritablement prendre la mesure de la situation du football professionnel.
Nous avons souhaité retenir comme angle d'étude la gouvernance car c'est bien le fonctionnement institutionnel du football français qui a connu une crise à l'été 2015 lorsque la Fédération et sa Ligue se sont opposées à propos du nombre de montées et de descentes entre la Ligue 1 et la Ligue 2. Mais derrière ce motif précis - presque technique -, ne nous y trompons pas, c'est une opposition d'hommes et d'intérêts qui s'est faite jour et qui perdure encore aujourd'hui en dépit de la trêve qui a été signée entre les parties. On pourrait parler de « paix armée ». C'est cette situation qui a provoqué la démission de l'ancien président Frédéric Thiriez.
À l'issue des très nombreuses auditions que nous avons tenues, nous pouvons affirmer que malgré les évolutions intervenues à la fois au niveau des responsables de la Ligue et dans les statuts de cette dernière avec la distinction entre un président non exécutif chargé des fonctions de représentation et un directeur général délégué ayant pour mission de gérer la Ligue au quotidien, les conditions d'un apaisement durable ne sont pas pleinement réunies compte tenu des ambiguïtés qui demeurent sur le rôle de chacun.
Pour simplifier, on peut estimer que la gouvernance du football se caractérise de la manière suivante :
- l'État est responsable de l'organisation du football français à travers les dispositions législatives adoptées par le Parlement et les règlements établis par le ministère mais il délègue la responsabilité de l'organisation de la discipline à une fédération, la FFF, sans véritablement définir de feuille de route. Par ailleurs, c'est l'État qui est propriétaire du Stade de France et qui a financé une part essentielle des coûts de construction et de rénovation des stades de l'Euro 2016 mais sans vraiment avoir son mot à dire ;
- la Fédération est compétente pour organiser l'ensemble de la discipline mais elle a délégué à la Ligue de football professionnel l'organisation des compétitions professionnelles tout en conservant un droit de regard à travers le « pouvoir d'évocation » et de réformation qui lui a été reconnu par le Conseil d'État dans un arrêt du 3 février 2016 ;
- la Ligue n'a pas d'existence juridique propre puisque c'est la convention négociée avec la FFF qui détermine son existence alors même que c'est elle qui négocie les droits télévisés et organise les compétitions professionnelles. L'association des ligues nous interpelle sur son insécurité juridique ;
- enfin, les clubs professionnels sont tentés de défendre leurs propres intérêts qui diffèrent de plus en plus entre la Ligue 1 et la Ligue 2, ce qui a amené une majorité de clubs de Ligue 1 à quitter l'UCPF pour créer le syndicat « Première Ligue » en excluant toute perspective de réunification alors même que la composition des deux syndicats n'est plus homogène compte tenu des montées et descentes intervenues cette année.
La situation est donc d'une grande confusion sur le plan institutionnel même si, sur le plan économique, un certain consensus semble avoir été trouvé.
Quelles sont les caractéristiques de ce consensus ?
- Le principe de solidarité, tout d'abord, n'est pas remis en cause. L'article 14 des nouveaux statuts de la LFP prévoit même de geler la répartition de ces droits entre Ligue 1 et Ligue 2 jusqu'à 2026. La FFF, pour sa part, se dit satisfaite des montants attribués au football amateur ;
- La nécessité de renforcer la compétitivité du football professionnel est également largement partagée. Les investisseurs français se font rares, compte tenu d'une image du football peu favorable. Chacun reconnaît donc - quitte à le déplorer - la nécessité de recourir à des investisseurs étrangers ;
- L'importance de la formation constitue le troisième élément du consensus qui se dégage. La qualité de la formation française doit être préservée et elle justifie largement le soutien apporté par la Ligue 1 aux clubs de Ligue 2 voire de National.
En partant de ces quelques points de repères, nous avons choisi non pas de faire des propositions pour révolutionner l'organisation du football français - car nous respectons le principe d'autonomie de la FFF - mais pour lui permettre de poursuivre son évolution dans le cadre de grandes orientations stratégiques.
Comme l'a rappelé le président de la mission, Dominique Bailly, l'adoption, le 15 février dernier, de la loi visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence sur sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs a déjà constitué une étape importante qui a fait évolué le droit tout en respectant le rôle de chacun des acteurs. Une nouvelle étape sera nécessaire au cours du prochain quinquennat qui devra, sans doute, s'appuyer à nouveau sur une initiative parlementaire.
Comment définir les éléments constitutifs de cette nouvelle étape ?
En premier lieu, il me semble essentiel de rappeler les principes auxquels nous sommes tous attachés, au-delà de nos appartenances politiques respectives :
- tout d'abord, le sport constitue un aspect indispensable au développement des citoyens et il est donc légitime qu'il fasse l'objet d'une politique publique dont les principes généraux sont définis par le Législateur ;
- ensuite, si l'État ne peut pas se désintéresser de la conduite de cette politique, c'est d'abord à la fédération qu'il incombe de veiller au développement harmonieux de la discipline et aux équilibres entre les intérêts du monde amateur et professionnel ;
- enfin, si nous sommes d'accord pour accompagner le développement du football professionnel en s'inspirant notamment des meilleures pratiques européennes, la limite à ne pas franchir serait la transformation du championnat en ligue fermée constituée de franchises où les performances financières l'emporteraient sur les performances sportives.
Voilà pourquoi je crois pouvoir dire que les propositions que nous allons vous présenter s'inscrivent dans la philosophie de notre modèle du sport français et respectent le rôle de la fédération qui doit être garante de l'organisation générale de la discipline. Pour autant, il nous est apparu que le développement des enjeux économiques justifiait de mieux identifier le rôle de chacun des acteurs afin de pouvoir mieux les responsabiliser.
J'en viens maintenant aux premières propositions et je laisserai Claude Kern poursuivre la présentation.
Les deux premières propositions concernent le rôle de l'État vis-à-vis du football.
· La délégation de service public est aujourd'hui accordée à travers un simple arrêté ministériel pour quatre ans. Le dernier a été pris le 31 décembre dernier sans qu'aucune véritable contrepartie n'ait été établie ni même un cadrage stratégique définissant les grands choix pour l'avenir. La convention pluriannuelle qui définit la contribution de la FFF à la mise en oeuvre des priorités ministérielles ne concerne pas le coeur des actions de la FFF.
C'est pourquoi nous proposons que le renouvellement de la délégation s'accompagne de la rédaction d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'État et la fédération qui définira les grandes priorités pour les quatre années à venir. Ce COM, dont le principe devra être prévu dans le code du sport, pourra être transmis aux commissions compétentes du Parlement et servira notamment pour apprécier le bilan des équipes fédérales.
· La seconde proposition relative à l'État concerne le Stade de France dont ce dernier est propriétaire et qui en a concédé la gestion à un consortium mené par Vinci et Bouygues jusqu'en 2025. Beaucoup a été dit sur le Stade de France et son coût pour le contribuable compte tenu de l'absence de club résident. Aujourd'hui, cet équipement est à un tournant puisqu'il a besoin d'importants travaux de rénovation dont la nature et le coût dépendront de l'accueil ou non des Jeux olympiques de 2024. Une enveloppe de 70 millions d'euros est prévue dans le dossier de candidature pour rénover le Stade. Une décision devra donc être prise à la fin de cette année sur la nature des travaux à conduire mais aussi sur l'avenir de cet équipement dont rien ne justifie qu'il demeure propriété de l'État.
L'abandon par le nouveau président de la Fédération française de rugby (FFR) du projet de Grand stade à Évry ouvre la possibilité de faire entrer les deux Fédérations de football et de rugby, ainsi peut-être que les deux ligues professionnelles, au capital du Stade de France aux côtés d'un éventuel opérateur. Le moment de la clarification est venu et il nous apparaît essentiel que la FFF puisse maîtriser un de ses « outils de travail ». Les échanges menés avec l'ensemble des parties montrent que les esprits sont mûrs.
· Concernant les rapports entre la Fédération et la Ligue, j'ai déjà dit que nous n'envisagions pas de remettre en cause le fait que la Ligue est l'émanation de la Fédération. Mais les responsabilités très importantes qui incombent aujourd'hui à la Ligue rendent nécessaire de mieux définir ses compétences.
Le pouvoir d'évocation de la Fédération ne peut donc être sans limite au nom du seul intérêt général du football. Sans doute convient-il de mieux définir dans le code du sport les compétences propres de la Ligue et surtout de garantir sa pérennité en allongeant la durée de la convention qui la lie à la Fédération et en excluant la possibilité pour cette dernière de supprimer sa ligue de manière unilatérale.
· Concernant le fonctionnement de la FFF, dont les instances de direction seront renouvelées le 18 mars prochain, force est de constater la grande complexité du mode de scrutin et l'absence de véritable pluralisme alors même que cette Fédération comprend plus de 2 millions de licenciés et 5 millions de pratiquants.
Si l'on peut comprendre que les clubs professionnels se voient réserver une part des voix à l'assemblée générale (37 %), il n'est pas sûr que le recours à un scrutin indirect, qui associe à la fois les districts et les ligues régionales, facilite la clarté des choix. C'est pour cela que nous proposerons de privilégier à l'avenir un vote direct des clubs qui tiendrait compte uniquement de deux facteurs : le nombre de licenciés et le caractère amateur ou professionnel.
De la même manière, il ne semble pas judicieux que l'ensemble des pouvoirs incombe à une seule tendance arrivée en tête grâce au scrutin de liste. Le comité exécutif doit être plus équilibré afin de refléter toutes les tendances du football français.
Afin de favoriser un certain renouvellement, il nous est aussi apparu nécessaire de prévoir dans la loi une limitation à trois des mandats du président de la FFF et de la LFP.
Bien entendu, l'ensemble de ces modifications aurait vocation à s'appliquer à toutes les fédérations et à toutes les ligues. La FFF étant la plus avancée dans son développement, il va de soi que toutes les dispositions qui apparaissent aujourd'hui nécessaires la concernant seront également utiles demain pour les autres fédérations.
Mon dernier mot sera pour les supporters qui sont souvent l'âme d'un club. Beaucoup a été fait pour lutter contre la violence dans les stades et beaucoup reste encore à faire pour combattre les comportements inacceptables. Pour autant, il faut donner des perspectives à ceux qui veulent s'organiser et trouver leur place dans leur club.
Nous ne pouvons que soutenir l'idée du président de la FFF de faire émerger une « fédération nationale de supporters » qui pourra, à terme, se voir reconnaître sa place dans les instances de la FFF et de la LFP.