Intervention de Claude Kern

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 février 2017 à 9h30

Photo de Claude KernClaude Kern, co-rapporteur :

J'en viens maintenant à des aspects davantage liés à l'organisation même du football dans notre pays.

Comme l'a évoqué Jean-Jacques Lozach, nous devons accompagner le développement économique du football professionnel sans pour autant nous immiscer dans son organisation. Dans un pays de droit romain germanique qui donne une place prépondérante à la Loi, cela signifie que nous devons veiller à ce que le code du sport ne constitue pas un obstacle à des évolutions que nous pressentons, mais qui ne sont pas forcément encore mûres ou qui ne font pas encore l'objet d'un consensus.

Certaines de nos propositions ne sont donc pas des obligations ; elles constituent davantage des possibilités que nous souhaitons ouvrir aux acteurs : la Fédération, la Ligue, les clubs, les supporters. À charge pour eux de s'en saisir s'ils l'estiment utile.

Prenons par exemple le cas de la Ligue de football professionnel. Le code du sport prévoit que la Fédération ne peut créer qu'une seule Ligue. La LFP est donc compétente pour gérer à la fois la Ligue 1 et la Ligue 2.

L'étude de législation comparée que nous avons réalisée a montré que ce choix n'était pas le seul possible puisque, en Angleterre, il existe deux ligues professionnelles et qu'on en compte même trois en Italie. Je le répète, nous ne voulons pas imposer la création de plusieurs ligues professionnelles, ce pourrait être une solution intelligente pour mieux prendre en compte les intérêts des clubs de chaque championnat.

Aujourd'hui, malgré la réforme de ses statuts, la LFP ne fonctionne pas très bien puisqu'une opposition demeure entre les clubs de Ligue 1 et ceux de Ligue 2, qui ont chacun un syndicat différent. Cet émiettement de la représentation des clubs est considéré comme un facteur d'inefficacité et un obstacle à une bonne gouvernance. Pourtant, si la Ligue appelle de ses voeux une réunification, elle n'est pas suivie par les intéressés. Il existe donc structurellement une division de la représentation au sein de la Ligue qui menace l'unité sur chacun des choix stratégiques.

Des collèges distincts ont certes été créés au sein de la Ligue, mais leurs représentants n'ont pas leur place à son conseil d'administration. Ces difficultés n'ont, en réalité, que peu de chances de s'estomper car les intérêts des clubs de Ligue 1 sont devenus très différents de ceux de Ligue 2 et il est donc difficile de les faire gérer en commun leurs enjeux respectifs.

La création de deux ligues distinctes, avec le maintien d'une solidarité forte entre les deux championnats par le biais d'une convention, pourrait donc constituer une voie possible pour retrouver un fonctionnement plus harmonieux. Nous proposons donc de modifier le code du sport pour rendre cette évolution possible si - et seulement si - la Fédération et l'ensemble des parties prenantes le souhaitaient.

Une telle évolution pourrait également ouvrir de nouvelles perspectives pour le championnat de National, la troisième division. Actuellement, ce championnat comprend des équipes professionnelles et des équipes composées d'amateurs. Une professionnalisation du National permettrait d'en faire la véritable antichambre de la Ligue 2. Ce sujet est en débat depuis très longtemps mais n'a jamais été véritablement mis à l'ordre du jour. Pourtant, on voit bien l'intérêt que pourraient avoir les clubs de Ligue 1 à se rapprocher de clubs de National pour développer le temps de jeu de leurs jeunes joueurs. Aujourd'hui un club comme Monaco envisage par exemple de racheter le Cercle de Bruges qui évolue en Division 2 belge et auquel il prête déjà plusieurs joueurs. Dans l'intérêt de la formation française, il pourrait être opportun d'inciter les clubs de Ligue 1 à développer des clubs de National.

Dans cette perspective, on pourrait imaginer que, sur le modèle de la Football League anglaise, une seconde ligue professionnelle soit chargée de gérer la Ligue 2 et une nouvelle « Ligue 3 ».

Le développement du football professionnel nécessite également d'accroître la capacité de la Ligue à augmenter ses ressources. La structure associative de la Ligue peut, à cet égard, constituer un inconvénient puisque la gouvernance associative rend souvent difficile la prise de décision et que le secret des délibérés dans ce type de structures n'est pas nécessairement respecté par tous les acteurs.

Si une transformation de la Ligue en société commerciale, sur le modèle anglais, nous semble à exclure compte tenu du fait qu'elle reviendrait à devoir rétrocéder à la FFF les compétences régaliennes de la LFP, une évolution « à l'allemande » avec la création d'une filiale chargée de négocier les droits commerciaux pourrait constituer une piste intéressante.

Il n'est pas sûr que la loi doive être modifiée pour permettre à la Ligue de créer cette filiale. Dans le passé, celle-ci avait déjà créé une société - C foot - chargée de produire des programmes. Pour autant, il est aussi possible que, pour sécuriser le statut de cette filiale au regard du droit de la concurrence, une disposition législative soit nécessaire. Cette question doit, à notre sens, être examinée sans tabou et, là encore, il s'agit pour nous d'ouvrir une possibilité sans faire obligation à qui que ce soit.

Si les évolutions institutionnelles doivent se faire avec l'accord des parties, nous pensons, par contre, qu'il est du rôle du Législateur de donner une impulsion plus ferme concernant certaines valeurs du sport.

Nous proposons ainsi de mettre encore davantage l'accent sur la formation en l'intégrant dans les critères définis par l'article L. 333-3 du code du sport pour procéder à la répartition des droits TV. Le critère de la formation est aujourd'hui pris en compte en Ligue 2, mais il n'est pas un véritable critère en Ligue 1, si ce n'est dans le cadre de la « licence club ».

Il nous semble essentiel de rappeler que la formation doit être au coeur des préoccupations des clubs. Dans cet esprit, nous proposons également de rendre obligatoire, pour les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, la possession d'un centre de formation.

Nous ne voyons pas d'obstacles à ce qu'ils soient mutualisés, même avec les clubs de National. Il nous semble par contre essentiel de veiller à développer également la formation féminine.

Concernant précisément le football féminin, celui-ci a clairement passé un cap. Chacun, aujourd'hui, moi en premier, peut constater que le jeu est de qualité, souvent plus technique que le football masculin, ce qui le rend particulièrement agréable à regarder. Le moment est donc venu d'obliger l'ensemble des clubs de Ligue 1 à créer une section féminine, ce qui permettra de développer le championnat féminin.

J'en viens maintenant aux clubs. Pour les inciter à investir dans la formation, il est indispensable qu'ils y trouvent leur intérêt en leur permettant de garder plus longtemps les jeunes joueurs talentueux. C'est pour cela que nous proposons d'allonger la durée du premier contrat professionnel des joueurs - aujourd'hui fixée à trois ans au maximum - à cinq ans au maximum. Bien entendu, rien n'empêcherait un club d'accepter un transfert avant l'échéance des cinq ans, mais le club pourrait alors obtenir un juste retour de son investissement.

Afin de mieux réguler l'évolution des effectifs de clubs - profondément déstabilisée par l'arrêt Bosman de 1995, qui a libéralisé la circulation des joueurs en Europe avec pour conséquence une forte inflation salariale - il nous semble indispensable d'instituer en Ligue 1 un quota de joueurs formés dans les clubs.

Une telle disposition, qui existe dans d'autres disciplines comme le handball et le rugby, a également été instituée par l'UEFA dans les compétitions européennes. Il nous semble que ce principe doit également s'appliquer au principal championnat de Ligue 1.

Concernant la Ligue 2, composée aujourd'hui de clubs qui connaissent pour beaucoup une situation financière fragile, nous souhaitons proposer la mise en place d'un plafonnement de la masse salariale (« salary cap ») calculé en fonction du chiffre d'affaires de chaque club.

Le Top 14 a déjà pris l'initiative d'un tel dispositif prévu par le code du sport. Ce doit être le rôle du contrat d'objectifs et de moyens (« COM ») que nous proposons de négocier avec la Fédération et la Ligue. La mise en place de ce type de régulation peut être utile pour assurer la pérennité du football français.

Les propositions que nous voulions vous présenter constituent ainsi des compléments indispensables aux dispositions de la proposition de loi adoptée, à l'unanimité, le 15 février dernier. Elles ne couvrent pas toute l'étendue des questions que connaît le football. Celle de la propriété des stades, qui a souvent été débattue au Sénat, ne doit pas être oubliée. C'est aussi le cas de la question de la consommation de bière dans les stades et de la publicité pour l'alcool. Nous n'avons pas souhaité élargir autant notre réflexion, qui portait, je le rappelle, sur la gouvernance du football.

Je crois, néanmoins, que cette contribution sénatoriale constitue un ensemble cohérent de nature à enrichir le débat et à prolonger le dialogue avec les acteurs, afin de préparer ensemble de nouvelles évolutions.

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