Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 juin 2011 : 1ère réunion
Volatilité des prix agricoles proposition de résolution de m. jean bizet et m. jean-paul emorine

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Je me réjouis à mon tour de cette réunion commune des deux commissions. Elle est logique, dans la mesure où c'était déjà en commun que nous avions organisé le 27 avril dernier, une table ronde sur la volatilité des prix agricoles avec la participation de six experts.

Notre réunion d'aujourd'hui est le prolongement de cette table ronde. Il nous est apparu nécessaire, au président Emorine et à moi-même, que le Sénat en tire les enseignements et prenne position avant que le G20 n'aborde ces sujets. Et lorsque la Commission de l'économie se sera prononcée définitivement, nous aurons une base pour notre contrôle de l'action du Gouvernement, et une position que nous pourrons communiquer aux autres parlements.

Face à l'instabilité des prix, quelles régulations sont envisageables ? Comment limiter le phénomène et comment limiter ses effets ?

La première voie envisagée est celle de l'encadrement des marchés physiques par la constitution de stocks régulateurs. Cette solution souvent préconisée par les Français a été discutée.

La gestion moderne des entreprises allant vers les flux tendus, l'idée de stocks de régulation a reculé. Plusieurs expériences ont été très négatives et ont entraîné une grande suspicion à l'égard de cette procédure. Dans l'esprit de l'opinion de plusieurs de nos partenaires, le stockage est même l'illustration de ce que la PAC administrée peut faire de pire. Le souvenir de cette époque est cette image désastreuse de « montagnes de beurre » à la fin des années 80 ; immanquablement rappelée à quiconque évoque le retour d'une politique de régulation par le stockage.

Si le stockage devait s'imposer, et j'insiste sur ce point, il devrait plutôt s'appliquer aux pays de consommation pour faire baisser le prix des produits alimentaires, et non aux pays de production.

Enfin, le stockage international pose des quantités de problèmes pratiques : qui paye ? Qui gère les stocks ? Où sont-ils ? Il est presque certain que les États ne s'entendraient pas sur ce sujet.

Tous les intervenants ont donc exprimé leurs doutes sur cette piste préconisée par la France. Il faudra beaucoup d'inventivité pour faire passer cette notion, à travers, par exemple, l'idée de stocks d'urgence, préférable à celle de stocks régulateurs, pratiquement condamnée.

L'autre voie est celle du contrôle des marchés financiers.

L'expérience américaine mérite d'être rappelée et peut donner quelques repères. Aux États-Unis, les marchés agricoles ont 150 ans d'histoire et n'ont cessé de se développer. Le plus grand marché américain de Chicago représente des volumes de transactions considérables. Plus de 100 000 contrats de céréales sont échangés en une journée. A Chicago, l'équivalent de la production annuelle de blé américain s'échange en cinq séances.

Le principal atout d'un marché organisé porte sur la transparence des transactions. Les marchés organisés se distinguent en cela des marchés de gré à gré, des OTC - over the counter - qui ne sont connus que des seules parties contractantes. Le deuxième atout est que, contrairement aux marchés OTC, les marchés organisés imposent de disposer des garanties auprès des chambres de compensation qui s'assurent que le vendeur détient des provisions suffisantes, avant d'opérer sur le marché.

Ces règles sont complétées par un dispositif public d'encadrement. Les deux structures les plus connues sont la CFTC et la DOA.

La CFTC - la Commodity Futures Trading Commission - est une agence indépendante créée en 1974. Elle publie les positions des différents types de traders. Elle applique des limites de position. Elle dispose d'un pouvoir d'enquête. Elle peut même imposer des limites de variations journalières de prix, voire fermer les cotations. Certains traders américains ont ainsi été conduits à quitter les États-Unis pour Londres, où les contraintes étaient moins sévères sur les marchés !

La CFTC a été renforcée par le Dodd Frank Act du 21 juillet 2010. Il vise à encadrer les marchés de gré à gré avec une obligation de compensation. Cette dernière met fin à l'un des intérêts du marché de gré à gré qui permettait aux vendeurs de swap de prendre des positions sans avoir à mobiliser des capitaux, ce qui était provocateur et déstabilisant.

Cette expérience américaine peut être utile aux Européens.

Il est absolument nécessaire de mettre en place une régulation financière des marchés dérivés sur les produits agricoles.

Cela suppose une mobilisation des acteurs agricoles et financiers, un encadrement des intermédiaires agissant sur ces marchés, ainsi qu'une transparence des marchés dérivés qui permette d'avoir une vue d'ensemble sur le fonctionnement des marchés, y compris sur les marchés de gré à gré.

L'amélioration passera aussi par une chambre de compensation qui centralise les options et impose des limites afin que les positions prises sur les marchés dérivés ne soient pas déconnectées des livraisons attendues.

Ces pistes sont régulièrement évoquées. Il faut néanmoins en reconnaître les limites. L'organisation des marchés profite-t-elle aux agriculteurs ou aux places financières ? En outre, pourra-t-on justifier longtemps le maintien d'une dotation annuelle de plus de 50 milliards d'euros à des agriculteurs qui vont consacrer une grande partie de leur travail à surveiller les options et les swaps à Chicago ? Il ne serait pas admissible que l'argent du contribuable aille massivement vers des agriculteurs traders tandis que les éleveurs loin de ces marchés resteraient au bord de la faillite.

Cette évolution posera la question cruciale de l'équité de la PAC. La PAC ne peut se transformer, sans débat, en un complément de revenus pour opérateurs financiers.

Ces questions seront passées en revue lors du G20 des 22 et 23 juin 2011 à Paris.

Cette réunion est un succès français. Le mérite du G20 est d'avoir remis l'agriculture dans l'agenda international. Cette initiative a été très bien perçue par nos partenaires. Cet enthousiasme doit être cependant tempéré. L'accord va probablement se faire sur le plus petit dénominateur commun, sur la transparence des échanges, des productions, des stocks. En revanche, un accord sur les stocks mondiaux est peu probable.

Cette réunion peut permettre de sortir l'agriculture de l'ornière dans laquelle elle est enfermée. Coup sur coup, la volatilité des prix et la nouvelle crise sanitaire ont montré que la sécurité alimentaire en prix, en quantité et en qualité devait être au coeur de la PAC. L'insistance sur la compétitivité et le verdissement ne doivent pas faire oublier que la priorité doit rester sur l'alimentation. Il est temps de revenir à une stratégie agricole. Ce sera sans doute demain le message du G20 et c'est, aujourd'hui, notre appel.

Au vu de ce constat, la proposition de résolution que nous vous présentons aujourd'hui propose au Gouvernement cinq pistes qui pourraient utilement être abordées au sommet du G20 :

- en premier lieu, au niveau européen, la future PAC 2013 devra faire de la sécurité de l'approvisionnement alimentaire et de la sécurité sanitaire des aliments des objectifs fondamentaux ;

- au niveau international, un certain nombre d'outils devront être mis en place pour pouvoir lutter contre l'instabilité excessive des marchés agricoles ;

- troisième point, ces outils devront accroître de manière significative la transparence de la production et des stocks et permettre un système d'alerte rapide afin de prévenir les crises alimentaires ;

- la transparence sur les marchés dérivés doit être améliorée pour ne pas engendrer de dysfonctionnements sur le marché des produits agricoles ; des règles prudentielles consistant par exemple à exiger que les opérateurs financiers couvrent une fraction de leur position en détenant des stocks devront être mises en place ;

- enfin, la constitution de stocks d'urgence en Europe et de stocks alimentaires stratégiques dans les grandes zones de consommation les plus pauvres pourrait être prévue.

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