Intervention de Pervenche Bérès

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 février 2017 à 17h30
Institutions européennes — Audition de M. Pierre Sellal ambassadeur représentant permanent auprès de l'union européenne conjointe avec la commission des affaires européennes de l'assemblée nationale et les membres français du parlement européen

Pervenche Bérès, membre du Parlement européen :

Je ne vais pas me prononcer sur le fait de savoir si tout ira mieux lorsque Martin Schulz deviendra chancelier de la République fédérale d'Allemagne... Je me contenterai ici, après m'être réjouie d'avoir entendu le diagnostic très précis de Pierre Sellal, de souhaiter que les travaux de cette commission ne s'arrêtent pas mais qu'au contraire ils irriguent la campagne pour l'élection présidentielle, tant ce rendez-vous électoral national constitue une sorte de rampe de lancement pour toutes les réalisations à venir en matière européenne.

Parmi les atouts de l'Union européenne, Pierre Sellal a commencé par citer le marché intérieur. Je suis une avocate indéfectible du marché intérieur - un des éléments les plus précieux de l'Union européenne - mais, franchement, je ne propose pas d'aller le vendre comme le carré d'as de l'Union européenne : nos concitoyens n'en ont en effet que faire. Ils n'en voient pas l'avantage, ne le voient pas comme un élément de croissance ni de prospérité, bien au contraire, mais plutôt comme un espace de dumping fiscal et social. Il me semble que plaider en faveur du marché intérieur importait surtout tant que nous devions procéder à une triangulation avec les Britanniques. Ce n'est sans doute d'ailleurs pas pour rien que David Cameron n'évoquait jamais l'Union européenne, mais toujours le marché intérieur.

Nous n'avons désormais plus besoin de ce plaidoyer. Certes, le marché intérieur demeure un bien précieux qu'il ne faut pas détricoter ; certes, nous ne devons pas renouer avec quelque forme de protectionnisme. Mais il faut inverser l'ordre des facteurs. Aujourd'hui, la question du marché intérieur se pose uniquement en tant qu'espace d'expansion de la zone euro. C'est ainsi qu'en tant que Français, me semble-t-il, nous devons présenter le problème pour l'inscrire dans une perspective dynamique. Nous ne pouvions pas boucler la boucle à cause de la présence des Britanniques qui nous en empêchaient. Ils s'en vont, le rapport de force est inversé, il nous revient donc de remettre les choses à l'endroit en faisant de la zone euro la question centrale, afin de permettre de clarifier la nature des projets et de contraindre les pays non-membres de la zone à clarifier leur position - la question de savoir s'ils voulaient ou non l'intégrer ne leur a jamais été posée ; il paraît aujourd'hui très mal élevé d'interroger les Polonais à ce sujet... L'annonce de la réunion de Versailles, à cet égard, est une excellente nouvelle : on sait en effet que la chancelière allemande, à Bratislava, n'était pas du tout dans cet état d'esprit. Or je constate une évolution remarquable. C'est dans ce sens que nous devons tricoter, si vous me permettez cette expression que, vous l'aurez remarqué, j'affectionne. À nous Français - et cela peut réunir une certaine gauche et une certaine droite - de faire en sorte que l'euro soit le moyen de poser la question de l'intégration politique.

Je ne vous étonnerai pas en vous indiquant que le rapport que je viens de rédiger avec Reimer Böge - qui n'est autre qu'un membre de l'Union chrétienne démocrate d'Allemagne (CDU), donc du Parti populaire européen (PPE) -, est un peu plus qu'un diagnostic : c'est un appel des plus pressants à la mobilisation pour que le budget de la zone euro devienne une réalité. Je remercie au passage Françoise Grossetête qui a beaucoup oeuvré au sein de son groupe pour que ce texte soit adopté.

Nous n'en sommes pas au point de lancer un second manifeste de Spinelli, mais tout de même... À la veille du soixantième anniversaire du traité de Rome, au moment où s'engage la négociation du Brexit, certaines idées, non pas révolutionnaires puisque nous en parlons depuis si longtemps, mais susceptibles d'apparaître audacieuses tant elles semblent difficiles à appliquer dans le cadre franco-allemand, doivent pouvoir être votées.

Je tire deux enseignements du vote du rapport que je viens d'évoquer : nous devons absolument poursuivre le débat dans le cadre franco-allemand. Nous ne nous mettrons pas d'accord sur tout : nous ne pensons pas de la même manière, nous ne venons pas du même horizon et nous n'avons pas le même rapport à l'État ni à l'économie. Mais, jusqu'à présent, nous sommes parvenus à combiner tout cela et il va bien falloir que nous continuions afin, peu à peu, et c'est ce que propose en filigrane le rapport, de créer un fonds monétaire européen et un Trésor européen, même si certains nous objectent que c'est totalement incompatible.

J'en viens aux pays de l'Union qui ne sont pas membres de la zone euro. J'ai été très choquée de l'offensive à laquelle nous avons assisté la semaine dernière. Trois rapports devaient être soumis au vote. Cela s'est passé au PPE de façon assez explicite mais de façon sournoise au sein du groupe socialiste. Nos camarades de l'Est ont torpillé une disposition très intelligente incluse dans le rapport Verhofstadt, aux termes de laquelle tout le monde devait voter, distinction faite des membres de la zone euro. Il s'agissait seulement de rendre visible ce double résultat. Or ces camarades de l'Est nous ont fait une guerre de tous les diables jusqu'au point où, parce que nous sommes toujours bienveillants, nous avons voté contre cette disposition. Ils n'ont même pas cherché à donner le change et ont voté contre les trois rapports ! Il faut certes se montrer gentil mais si l'on abuse de cette gentillesse, une clarification s'impose.

Je n'ai pas de bonnes nouvelles à vous apporter concernant le paquet « Énergie ». Les membres titulaires français de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) sont Nadine Morano et Édouard Martin. Ce dernier a été victime d'un règlement de comptes politique au sein du groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D) et à Nadine Morano on n'a confié aucun des rapports. Or les rapporteurs et rapporteurs fictifs désignés appartiennent à un groupe qui n'est pas favorable à l'Union de l'énergie.

Je terminerai en évoquant le libre-échange. Comme Pierre Sellal, j'y suis très attachée mais une erreur a été commise au sein de la Commission : tout le monde se souvient qu'au moment où Cecilia Malmström est devenue commissaire, elle a eu une passe d'arme avec Jean-Claude Juncker, notamment sur les éléments de langage à utiliser à propos du TAFTA (Transatlantic Free Trade Area) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) selon qu'on est pour ou contre cet accord. Mme Malmström n'a pas du tout compris la nature de ce qui était en train de se passer ou a refusé de comprendre. Elle a donné quelques petits signaux, certes - il a bien fallu qu'elle réponde à la plainte des citoyens à propos de la cour d'arbitrage -, mais bien insuffisants. Il faut bien voir que le multilatéralisme n'est pas totalement mort : l'Organisation mondiale du commerce (OMC) va très mal mais nous avons tout de même réussi la COP21 ! Ceux qui, aujourd'hui, se font les avocats du libre-échange, du commerce international et qui n'acceptent pas de plaider en faveur des instruments de défense commerciale, en faveur du juste échange, dans les conditions d'équilibre décrites par Pierre Sellal, risquent de mettre à mal le commerce international lui-même dans un moment critique, alors que Donald Trump défend un protectionnisme excessif. Si l'on ne propose pas de discuter des éléments d'une nouvelle doctrine du commerce international adaptée aux nouvelles technologies, à l'émergence de nouveaux acteurs, prévoyant de nouvelles modalités - si l'on inclut, par exemple, la question fiscale dans des accords -, on tuera l'échange international, ce qui n'est pas dans l'intérêt de l'économie française.

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