À propos du règlement de Dublin, le sénateur Leconte a fait allusion à une dépêche de l'agence Reuters que j'ai lue sans comprendre exactement à quoi elle se référait car j'ignorais tout de l'existence d'un travail franco-allemand sur l'idée de décentralisation, d'externalisation de l'examen des demandes d'asile dans les pays d'origine des candidats au statut de réfugié. Il existe en la matière des règles de droit international très claires - je pense à la convention de Genève - et reprises dans le cadre européen ; or elles nous obligent. Ensuite, des pays tiers sûrs, au sens juridique du terme, peuvent-ils exercer cette responsabilité et accueillir des réfugiés ? C'est une autre question.
Du point de vue français, il est important que les procédures d'identification, d'enregistrement des migrants, en particulier des candidats à une protection, soient réalisées aussi précocement que possible. C'est pourquoi nous plaidons, notamment, pour l'établissement de procédures d'examen et de demande d'asile à la frontière. Plus cette procédure a lieu de manière précoce, plus cela permet l'identification rapide de ceux qui ont besoin d'une protection et plus cela permet à la fois d'assurer dans de bonnes conditions les opérations de leur relocalisation, puisque cela fait partie des politiques européennes, et de prendre les décisions nécessaires concernant les migrants qui n'ont pas vocation à rester en Europe. Encore une fois, l'enjeu de la révision du règlement de Dublin est de rappeler les principes et de constater qu'à lui seul il ne permet pas de faire face à une situation d'urgence, de crise telle que celle que nous avons connue ; il faut donc le compléter par des mécanismes qui assurent davantage de solidarité entre les États.
En matière de défense, on peut spéculer sur l'impact du départ des Britanniques. Pour certains il affecte de manière définitive toute crédibilité d'une défense européenne ; pour d'autres, au contraire, il ouvre des perspectives de coopération européenne accrue compte tenu du blocage des Britanniques sur certaines questions institutionnelles. Puisque nous allons y travailler à vingt-sept dans les mois et les années qui viennent, nous allons bâtir un dispositif, lancer des coopérations... au sein de cette Europe des Vingt-Sept, tout ceci ne préjugeant en rien de la relation à établir avec le Royaume-Uni. Mme May le rappelle régulièrement : « Nous quittons l'Union européenne ; nous ne quittons pas l'Europe. » Et, ajoute-t-elle, s'agissant de la sécurité et de la défense, « nos intérêts stratégiques restent totalement imbriqués à ceux de l'Europe ». Je n'ai donc pas d'inquiétude quant à notre capacité à définir, le moment venu, des mécanismes de coopération, d'association entre le Royaume-Uni et l'Europe des Vingt-Sept en matière de défense. De la même manière, le Brexit n'affectera pas les accords bilatéraux de Lancaster House, essentiels à notre propre défense.
J'en viens aux remarques de Pierre Lequiller. Vous avez raison, monsieur le député : ce qui caractérise ce que nous avons accompli jusqu'à présent, y compris dans les domaines emblématiques que j'ai évoqués - marché intérieur, zone euro, Schengen... -, c'est l'inachèvement. Et, en effet, une partie des problèmes que nous avons rencontrés vient précisément de ce caractère inachevé. Le marché intérieur ne l'est pas en ce sens que subsistent des distorsions fiscales, sociales et parfois même réglementaires. Quant à l'espace Schengen, sa dimension externe a été insuffisamment affirmée par rapport à l'espace de libre circulation intérieure. En ce qui concerne la zone euro, force est de constater que, par son caractère incomplet, elle a été mise à mal par la crise que nous avons traversée ; nous y avons résisté mais au prix de multiples difficultés ; et, contrairement à ce qui avait été anticipé en 2000, la seule création de l'euro n'a pas suscité la convergence économique, financière, sociale, fiscale attendue peut-être un peu naïvement comme suite naturelle de la mise en place de la monnaie unique. Il convient donc de compléter tous ces dispositifs sous peine de perdre les bénéfices, les acquis de la construction européenne. C'est pourquoi nous devons apprécier avec un grand discernement l'idée selon laquelle l'enjeu serait de moins légiférer. S'il convient en effet d'en faire moins concernant le droit secondaire, il faut insister sur la nécessité de compléter plusieurs points essentiels. Je ne crois pas, à cet égard, que l'on pourrait décréter une pause et considérer que ce que nous avons bâti jusqu'à présent est à l'épreuve du temps alors que vous avez très pertinemment rappelé les risques auxquels nous sommes exposés.
Ces compléments ne peuvent qu'être le fruit d'un processus lent car touchant à de nombreux domaines et relevant d'un nouveau partage entre compétence nationale - la compétence régalienne la plus forte - et le besoin d'une action collective. Je n'en suis pas moins frappé, depuis trois ou quatre ans, par l'accélération de la durée moyenne des négociations, y compris sur des sujets très sensibles. J'évoquais l'agence des garde-côtes : presque trente ans d'incantations et une négociation achevée très rapidement. En matière de fiscalité, souvent, il fallait dix ou quinze ans pour aboutir, du fait de l'unanimité ; or, désormais, surtout dans des domaines comme les pratiques déloyales, la concurrence fiscale agressive, je constate que, paradoxalement, l'unanimité a un effet accélérateur en culpabilisant les délégations isolées : hier, au Conseil « Affaires économiques et financières » (ECOFIN), les délégations traditionnellement moins enthousiastes que d'autres pour une approche « harmonisante », comme celles du Royaume-Uni, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Malte, se sont senties obligées de participer à un mouvement collectif. Dans de nombreux domaines, on agit donc plus vite que dans d'autres. On discute ainsi depuis longtemps du renforcement de la capacité budgétaire de la zone euro, de la création d'un ministre de la zone euro. Reste, j'y insiste, que votre diagnostic est juste, monsieur Lequiller : il s'agit de compléter, d'achever les dispositifs existants pour leur permettre de résister aux crises et de répondre aux attentes placées en eux.
Vous avez en outre raison d'insister sur une autre dimension de la coopération à quelques-uns : la démonstration par l'exemple, l'impulsion par l'exemplarité. À cet égard, à chaque fois que l'on peut démontrer - et on l'a beaucoup plus fait en matière de sécurité qu'en matière financière ou économique, ces deux dernières années - une volonté, une capacité franco-allemande d'agir de concert, l'effet d'entraînement est considérable.
Vous savez qu'à diverses époques, en matière de fiscalité, on a tenté d'harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Soyons toutefois conscients que la coopération renforcée en matière fiscale reste une entreprise difficile - les déboires, la lenteur, pour le coup, de la discussion sur une taxe sur les transactions financières en apporte la démonstration : nombre des participants potentiels à cette coopération renforcée redoutent de faire les frais de la concurrence éventuelle de ceux qui n'y participeraient pas.
Pour ce qui concerne le marché intérieur, Pervenche Berès a raison : on ne mobilisera pas les opinions autour de l'achèvement du marché intérieur. J'évoquais en fait les grands chantiers actuels de négociation et votre remarque, madame, est intéressante : pour la moitié des États membres, le seul enjeu de la réunion de Rome est de réaffirmer l'objectif du marché intérieur ; ils constatent que si les choses vont mal, c'est parce que le marché intérieur n'existe pas suffisamment et qu'avant de protester contre le protectionnisme des autres, il convient de balayer devant sa porte. Mais vous avez raison d'affirmer, j'y insiste, que l'objectif politique n'est pas le marché intérieur qui ne doit être que le moyen d'assurer la croissance et l'emploi, notamment au profit de la jeunesse.
De la même manière, vous êtes fondée à considérer que l'avenir de l'Union économique et monétaire, son renforcement, son « achèvement », pour reprendre le mot de Pierre Lequiller, reposera sur un compromis franco-allemand. On ne changera pas les Allemands, on ne changera vraiment pas les Français, mais, comme bien souvent depuis soixante ans, il faudra trouver un point de convergence. Je salue encore une fois cet aspect du rapport que vous avez rédigé avec M. Böge, qui laisse entrevoir, sur un sujet qui traditionnellement nous oppose, ce que pourrait être un compromis franco-allemand.