Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 23 février 2017 à 9h01
Économie finances et fiscalité — Règlementation prudentielle en matière bancaire : avis politique de mme fabienne keller et m. richard yung

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Le second volet du paquet réglementaire comporte une révision de la directive sur le redressement et la résolution des banques dite BRRD (Bank Recovery and Resolution Directive) ainsi que du règlement instaurant le Mécanisme de Résolution Unique (MRU) dans le cadre de l'Union bancaire.

Depuis le 1er janvier 2016, la directive BRRD a rendu applicable le renflouement interne au sein de l'Union européenne. Désormais, les pertes d'une banque en difficultéì seront supportées prioritairement par les actionnaires et certaines catégories de créanciers plutôt que par l'État. Du coup, les banques doivent émettre des montants suffisants de dettes éligibles au renflouement (Minimum Requirement of Eligible Liabilities - MREL) et la définition des dettes éligibles ainsi que l'ordre d'éligibilité doivent être harmonisés au sein de l'Union européenne. En parallèle, le Conseil de stabilité financière a élaboré un mécanisme d'absorption des pertes dit TLAC (Total Loss-Absorbing Capacity) spécifique aux banques d'importance systémique mondiale (Global Systematically Important Banks-GSIB's) qui sont huit dans l'Union bancaire, dont quatre en France : BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et BPCE. Constitué de titres de dettes pouvant être effacées ou converties en capital, le TLAC, comme le MREL, a vocation à protéger les contribuables du coût engendré par le redressement des banques en cas de difficultés. Il était dès lors opportun de faire converger les deux dispositifs et d'intégrer le TLAC dans le cadre réglementaire européen.

Trois textes distincts sont présentés par la Commission.

Une révision de la directive BRRD est proposée, qui concerne le rang des instruments de dettes non garanties et établit un régime harmonisé de hiérarchie des dettes éligibles en cas d'insolvabilité. La Commission a retenu la récente réforme française de hiérarchie des créanciers en proposant de créer une nouvelle classe de dette senior. Deux options étaient possibles : subordonner rétroactivement le stock existant de titres de créance, ou créer une nouvelle catégorie de titres de créance contractuellement subordonnés. La France a retenu la deuxième solution et l'Allemagne la première. L'articulation avec la réforme allemande adoptée sur ce sujet peut rester problématique car cette hétérogénéité risque de fragmenter le marché européen de la dette bancaire et de fausser, au moins sur une période limitée, la concurrence entre les établissements bancaires. Cette proposition devrait probablement faire l'objet d'un accord anticipé par rapport à la négociation qui s'annonce longue sur les autres propositions du paquet.

Deux autres textes, une directive et un règlement, modifient respectivement la directive BRRD et le règlement MRU. Ils transposent l'exigence TLAC appliquée aux banques mondialement systémiques et l'articulent avec l'exigence MREL applicable à toutes les autres banques. Au titre du TLAC, les banques systémiques européennes devront disposer en 2022 d'un encours de fonds propres et de dettes éligibles égal au minimum à 18 % de leurs actifs pondérés, auquel il conviendra d'ajouter 4,5 % de coussins réglementaires, soit un total de 22,5 %. Au titre de l'exigence MREL, désormais aussi exprimée en pourcentage des actifs pondérés, toutes les banques européennes, y compris les banques systémiques, devront disposer d'un encours de 18,5 % auquel il faudra ajouter 4,5 % de coussins réglementaires, soit un total de 23 %. Les autorités de supervision européennes peuvent imposer des exigences complémentaires au cas par cas et ne donnant lieu à aucune sanction automatique en cas de non-respect. Au sein de l'Union bancaire, le conseil de résolution unique est en charge de fixer les futurs objectifs de MREL spécifiques à chaque établissement. Le texte de la Commission prévoit toutefois, afin de réduire le risque d'une prise de décision arbitraire, l'obligation d'une concertation entre la banque et le conseil de résolution unique sur tout supplément de MREL, la charge de la preuve reposant sur l'autorité de résolution. La vigilance reste toutefois de mise sur un risque de surinterprétation des exigences de MREL en ce qui concerne les banques systémiques européennes car cela rendrait la concurrence inéquitable entre les GSIB's européens et leurs homologues non-européens.

Cette importante révision réglementaire poursuit des objectifs liés à la transposition des recommandations prudentielles internationales, mais aussi à la prise en compte de mesures spécifiques de nature très diverse qui conditionnent les activités bancaires, le fonctionnement des marchés financiers, et donc globalement le financement de l'économie européenne. Ces propositions interviennent dans un contexte particulier. Les banques européennes de financement et d'investissement se trouvent en situation compétitive défavorable vis à vis de leurs concurrentes, notamment américaines, qui détiennent désormais 50 % du marché européen. Le transfert de capacité financière des banques d'investissement européennes vers les banques non-européennes s'est considérablement accru ces dernières années. La situation globale du secteur financier européen, qu'il s'agisse du financement bancaire ou des marchés de capitaux, est de plus fragilisée par les incertitudes pesant sur le contexte réglementaire américain et les négociations avec le Royaume-Uni.

Il paraît dès lors plus que jamais nécessaire de conforter les conditions d'une concurrence équitable avec les pays tiers et de renforcer la cohérence et la compétitivité du marché financier intérieur européen. Il convient pour cela d'éviter les distorsions de concurrence non seulement entre l'Union européenne et les pays tiers, mais aussi au sein de l'Union. Cette révision devrait aussi être l'occasion de conforter la crédibilité de l'Union bancaire en la considérant comme une juridiction unique au regard de certaines contraintes prudentielles : liquidité, MREL... Le Conseil européen des 18 et 19 juin 2009 avait souligné la nécessité d'élaborer un règlement uniforme applicable à tous les établissements de crédit et à toutes les entreprises d'investissement exerçant des activités sur le marché intérieur. L'ambition initiale ne doit pas être oubliée. C'est dans cet esprit qu'il vous est proposé d'examiner notre proposition d'avis politique. En somme, nous devons organiser l'union bancaire, mais sans créer des exigences si fortes qu'elles pénalisent nos établissements.

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