Le contrôle des personnes en Europe, tant aux frontières extérieures qu'intérieures, est un sujet d'importance majeure, non seulement pour lutter contre le terrorisme mais également pour prévenir d'autres menaces comme la criminalité organisée, voire l'espionnage, qui porte gravement atteinte à nos intérêts nationaux et dont on sous-estime régulièrement l'importance.
La menace terroriste, cependant, est aujourd'hui, la priorité absolue et requiert un contrôle aussi étroit que possible des mouvements des personnes suspectes. Le niveau de cette menace reste à un seuil particulièrement élevé et rien ne permet de dire qu'il baissera dans les mois à venir. Cette menace est aussi bien le fait d'individus vivant sur notre sol et fanatisés par une propagande intense des organisations terroristes, au premier rang desquelles Daesh, que des membres des organisations elles-mêmes, Daesh ou Al Qaïda - que l'on oublie un peu trop souvent.
Daesh lance en permanence des appels à l'action violente, à travers ses publications, ses vidéos, relayés par les réseaux sociaux, mais aussi grâce aux contacts établis avec des individus en France par certains de ses membres présents en zone syro-irakienne. Les conséquences de cette menace endogène peuvent être particulièrement dramatiques, comme l'attentat du 14 juillet dernier, à Nice, l'a démontré. Je rappelle à cet égard les difficultés majeures que nous rencontrons dans l'identification de terroristes potentiels, du fait de l'utilisation de moyens de communication cryptés, le plus souvent incassables.
S'agissant des organisations, la planification dans la durée, le professionnalisme et la patience des intéressés, la clandestinité des opérations, ajoutés là encore à l'utilisation de moyens de communication chiffrés sont autant de défis majeurs pour les services, chargés de détecter les menaces, d'en identifier les auteurs et de les neutraliser judiciairement. J'en veux pour preuve les attaques du 13 novembre 2015 : opération planifiée en Syrie, projection des terroristes sur le sol européen, y compris en utilisant les voies migratoires, regroupement des terroristes en Belgique, acquisition des armes et location des véhicules sur place, réservation des chambres d'hôtel en région parisienne depuis la Belgique, transport, la veille des attentats sur notre territoire, soit un minimum de temps entre l'arrivée en France et le passage à l'acte, le tout sans cellule logistique sur notre territoire.
Dans ce contexte, le contrôle des mouvements des personnes représente un enjeu crucial de sécurité, tant à l'entrée de l'espace Schengen qu'à l'intérieur de cet espace. La question qui se pose est celle du prix à payer pour une meilleure sécurité : quelles atteintes à nos libertés sommes-nous prêts à accepter ?
De quoi avons-nous besoin aujourd'hui ? D'une alimentation systématique, par les différents services européens en charge de la lutte contre le terrorisme, qu'ils soient de police ou de renseignement, du fichier Schengen. Je puis vous dire que mon service y a inscrit environ 12 000 fiches, concernant des individus suspectés d'activité terroriste. Il conviendrait que tous les pays de l'espace Schengen fassent de même, ce qui n'est pas toujours le cas, le plus souvent pour des raisons légales, certains de ces services n'étant pas policiers et ne relevant pas de l'autorité du ministère de l'intérieur ou de la justice de leur pays.
Ces fiches devraient automatiquement comprendre des données biométriques ainsi que des photographies permettant une reconnaissance faciale, les contrôles fondés sur le seul déclaratif ou les documents d'identité, du fait des risques de fraude documentaire, ne permettant pas un suivi correct des individus suspects.
Enfin, il faudrait interconnecter le SIS et la base Eurodac, comme cela est le cas avec nos différents fichiers nationaux, pour une plus grande efficacité. Il faudrait aussi que les contrôles soient systématiques à l'entrée dans l'espace Schengen, de même qu'à la sortie. Les contrôles au sein de l'espace Schengen devraient répondre aux mêmes impératifs. Néanmoins, la question de la faisabilité se pose, étant donné qu'il est impossible aujourd'hui de réaliser des contrôles exhaustifs.
Le PNR (Passenger Name Record) a apporté un plus, même si la directive européenne est venue limiter ce que la loi nationale permettait, notamment concernant la durée de conservation des données - deux ans contre six mois dans la directive. Pour plus d'efficacité encore, le PNR devrait être étendu à d'autres moyens de transport que l'aérien, nombre de suspects utilisant désormais la voie maritime, le ferroviaire, sans oublier les bus.
Un dernier mot pour vous dire que ces mesures ne seront véritablement efficaces que si elles s'appuient sur une coopération intense avec les pays source. J'entends par là notamment, pour ce qui nous concerne, les pays d'Afrique du Nord, puisque nombre de Tunisiens, de Marocains ou d'Algériens sont présents sur la zone syro-irakienne et sont susceptibles de gagner l'espace Schengen pour y commettre des actions violentes. Pour prévenir toute action violente sur notre sol, nous sommes en effet obligés de nous intéresser à tous les francophones.