Intervention de Isabelle Facon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 février 2017 à 10h10
Auditions sur la russie : M. Arnaud duBien directeur de l'observatoire franco-russe Mme Isabelle Facon maître de recherche à la fondation pour la recherche stratégique pôle russie-eurasie et M. Igor delaNoë directeur adjoint de l'observatoire franco-russe

Isabelle Facon, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, pôle Russie-Eurasie :

Depuis 2014, L'Europe voit la Russie comme une menace. Elle-même estime qu'elle évolue dans un environnement complexe, volatile, menaçant. Sa stratégie de sécurité nationale, sa doctrine militaire en témoignent. Il faut lire ces documents. Ce ressenti traditionnel dans l'histoire russe s'amplifie dans la globalisation.

Elle considère même que de nouveaux fronts s'ouvrent, comme en Arctique, qui est très présent dans les documents stratégiques, et où la présence militaire a été renforcée, avec un commandement particulier. Ces menaces sont régulièrement invoquées pour expliquer l'effort de renouvellement des forces armées à l'oeuvre depuis 2000, et surtout depuis 2008. La défense est devenue un poste prioritaire dans le budget. En 2015, elle représentait 20 % du budget fédéral et oscille depuis entre 3,5 et 4 % du PIB. On est cependant loin des 600 milliards de dollars des États-Unis et des 200 milliards de la Chine : le budget militaire est même tombé à 45 milliards de dollars en 2017, pour des effectifs entre 700 et 800 000 hommes. Il a été réduit de 4 % en 2015, 5 % en 2016 et de 6 % en 2017, jusqu'à représenter seulement 3 % du PIB. Il est donc affecté par les tendances économiques.

Un effort a été fait sur l'entrainement, parent pauvre de l'armée russe des années 1990. Les exercices surprise permettent aussi d'envoyer des messages politiques aux voisins et aux Occidentaux.

La triade stratégique nucléaire reste prioritaire. Mais l'armée conventionnelle est plus mobile, plus opérationnelle, grâce notamment à une politique de recrutement qui a pour effet que, depuis 2014, il y a plus de militaires sous contrat que de conscrits. Les opérations récentes ont montré un effort sélectif sur certains types de forces, notamment les forces spéciales en Ukraine, qui reflète la volonté de recourir à la force de manière dosée, pour éviter des réponses militaires classiques. En Syrie, l'effort en équipement a porté ses fruits : cette intervention a été une véritable page de publicité, notamment pour les missiles Kalibr.

La menace politique est aussi présente dans la doctrine militaire. La Russie a désormais peur des révolutions de couleur, du regime change, des menées subversives venues de l'extérieur. Hier, le Ministre de la défense l'a dit : l'opération en Syrie a atteint l'objectif qui était de briser la chaîne des révolutions de couleur.

La réforme militaire de 2008 a rendu l'armée plus utile pour la priorité de la politique étrangère russe, c'est-à-dire la conservation de l'influence dans l'étranger immédiat. La présence militaire russe à l'étranger reste ainsi concentrée dans cet « étranger proche », permettant sinon la coercition, du moins l'intimidation ; elle sert aussi à assurer aux alliés de la Russie en Asie centrale qu'elle sera efficace s'ils rencontrent des problèmes de sécurité.

La menace occidentale n'est pas vue comme celle ayant le plus de chances de survenir. Mais c'est une menace existentielle. Il ne s'agit pas seulement d'un instrument pour faire l'unité de la population autour du Kremlin, mais d'une inquiétude sincère face à l'avance technologique américaine, son interventionnisme et face à l'élargissement de l'Otan. La Russie n'a pas la capacité de combler le fossé qui la sépare des puissances occidentales cumulées. Elle prépare des réponses asymétriques : bulles de protection « anti-accès » en Crimée, à Kaliningrad, en Arctique, guerre électronique ou guerre ambiguë - c'est-à-dire un recours à la force limité par l'usage des forces spéciales ou du renseignement, qui brouille la situation et complique la prise de décision chez les Occidentaux, d'autant plus complexe qu'elle est collective.

La Russie mobilise de plus en plus l'outil militaire pour diviser, en laissant entendre qu'elle est prête à y recourir, multipliant les manoeuvres et les actions d'intimidation comme ces vols d'avions russes qui frôlent l'espace aérien de l'Otan ou de ses partenaires. Son appréhension du fait nucléaire est paradoxale : jamais celui-ci n'a tenu une si grande place, avec un abaissement du seuil d'emploi ; pourtant la dissuasion stratégique repose de plus en plus sur des éléments conventionnels, comme aux Etats-Unis.

La Russie envoie des signaux montrant sa détermination. Mais si elle peut éviter la confrontation, elle le fera. Ses capacités militaires nouvelles doivent servir à la reconquête de sa puissance au plan international. L'un des objectifs militaires de l'intervention en Syrie était de montrer à Barack Obama que la Russie était plus qu'une simple puissance régionale, puisqu'elle était capable d'intervenir loin de ses frontières. Elle cherche aussi, sur un mode non agressif et non explicite, à égaliser le rapport de forces avec la Chine.

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