J'ai lu avec intérêt, Monsieur Dubien, vos récents articles, notamment ceux que vous avez fait paraître dans Politique internationale et la Revue internationale et stratégique, dans lesquels vous soulignez la montée en puissance de certains libéraux comme Alexeï Koudrine ou Sergueï Kirienko, et l'opportunité que cela peut représenter pour la présidence poutinienne à partir de 2018. Je reste cependant dubitatif, car la Russie a déjà perdu trois occasions de rejoindre le concert des nations et ce que l'on appelle aujourd'hui la convergence dans le domaine économique. La première occasion manquée remonte à l'orée du XXème siècle, du temps des tsars, la deuxième au désastre communiste, et la troisième à ce que vous avez appelé les dix glorieuses, aujourd'hui terminées. Il eût fallu, pour saisir l'une ou l'autre de ces occasions, des réformes structurelles majeures en matière d'économie, d'éducation, de santé publique, de lutte contre la corruption, autant d'efforts que l'on ne voit pas entrepris plus aujourd'hui qu'autrefois - au contraire, puisque la Russie, focalisée sur les convulsions de la disparition de l'Empire, semble prise, face à l'Occident, d'un syndrome obsidional.
Vous jugez qu'il est un peu rapide d'évoquer une tiers-mondisation de la Russie, soit. Néanmoins, au vu de la structure du PIB - qui résulte, pour plus de moitié, de la vente des bijoux de famille que sont le gaz et le pétrole -, de l'espérance de vie, de la corruption généralisée, je suis parfois tenté de dire que la Russie devient une sorte de Nigéria, à cette différence près qu'elle est sous la neige, et dotée de l'arme atomique.
Beaucoup de pays émergents connaissent des évolutions économiques parfois surprenantes, et il n'y a plus de guerre nulle part, hormis au Moyen-Orient, ce qui signe une convergence avec le monde développé - dont la Russie est cependant absente. Quelle est, à votre avis, la probabilité de voir surgir une nouvelle occasion, qui ne serait pas, cette fois, manquée ? Vous avez évoqué une richesse par habitant oscillant entre 40 % et 60 % de celle du reste de l'Europe et évoquez, dans vos articles, l'hypothèse du joug tatar avancée par Georges Sokolov, sans cependant prendre parti. Une telle explication vous paraît-elle pertinente ?
Aucun des intervenants n'a évoqué le rapprochement avec la Chine. J'y vois une erreur stratégique de la part de la Russie. Se jeter dans les bras de la Chine, en signant des accords commerciaux fort peu favorables, au motif que les relations avec les Occidentaux s'enveniment, n'est-il pas aventureux de sa part, sachant que la Chine est appelée, par sa situation géographique et pour des raisons tant démographiques qu'économiques à devenir son futur adversaire ?