Intervention de Corinne Imbert

Mission d'information situation psychiatrie mineurs en France — Réunion du 25 janvier 2017 à 14h35
Audition des docteurs maryse bonnefoy médecin au centre de pmi de lyon colette bauby médecin pédopsychiatre au centre de pmi de gennevilliers et sylvaine gissinger pédiatre représentant le syndicat national des médecins de la protection maternelle et infantile snmpmi

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert, Présidente :

Mesdames, merci tout d'abord d'avoir accepté notre invitation. La protection maternelle et infantile, compétence des départements est très souvent présente dans nos débats au Sénat. Dans le cadre de notre mission d'information sur la prise en charge psychiatrique des mineurs, la question de la détection précoce et celle des liens entre médecins spécialisés dans la prise en charge psychiatrique des mineurs et les médecins des autres structures de prise en charge, école notamment, se pose de manière aiguë. Nous avons donc souhaité vous entendre afin de connaître votre analyse de la situation et des besoins en matière de prise en charge psychiatrique des mineurs du point de vue de la Protection maternelle infantile (PMI). Je vous passe donc la parole après quoi notre rapporteur, Michel Amiel, puis les autres sénateurs présents, vous poseront quelques questions. Je rappelle que notre audition est ouverte au public et à la presse.

Docteur Maryse Bonnefoy, médecin au centre de PMI de Lyon. - Nous parlons ici de notre place de médecins de PMI, médecins assurant des actions de prévention précoce et de dépistage. Des médecins aussi qui doivent être capables d'assurer le suivi et l'accompagnement des publics reçus dans le cadre d'une prise en charge globale. Nous avons cinq publics prioritaires : les jeunes, les femmes enceintes, les enfants de moins de six ans, les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) et les professionnels des modes d'accueil de la petite enfance. Nos remarques et nos propositions sont centrées sur les besoins de l'enfant, en particulier des tout-petits, dont le développement au cours des premiers mois de la vie est très sensible. L'enfant est capable de développer des relations d'attachement avec les personnes qui s'occupent de ses besoins primaires et de ses besoins particuliers s'il est en situation de handicap. Mais il faut aussi que ces personnes soient prêtes à partager ses émotions. Le bébé, dès trois mois, manifeste des réponses différentes selon les personnes présentes et développe des liens affectifs spécifiques avec celles qui prennent soin de lui. Les parents sont le plus souvent les premières figures d'attachement. Pour développer l'estime de soi et ses compétences sociales, l'enfant a besoin d'interactions compréhensibles, prévisibles et régulières. Le soin à l'enfant est indissociable du travail auprès de ses parents. Nous constatons régulièrement l'effet positif d'un mode de garde extérieur quand les liens des enfants avec leurs parents sont difficiles et nécessitent une guidance et un accompagnement. La PMI est souvent très présente pour soutenir la socialisation de l'enfant également quand ses parents ont besoin de répit pour des enfants présentant des troubles de développement. Il faut pour autant assurer un soutien et pouvoir offrir une supervision psychologique ou des temps de synthèse avec les professionnels de l'accueil de la Petite enfance et le secteur de la pédopsychiatrie. Notre accompagnement et celui des établissements d'accueil ne peuvent pas se substituer aux soins psychiques. La particularité du champ périnatal est que les frontières du normal et du pathologique sont incertaines : elles se situent dans un registre dynamique où une grande partie du soin consiste à favoriser ou à créer des conditions qu'on juge favorables à la meilleure évolution possible de l'enfant. La famille y joue donc un rôle capital et souvent cette part du soin n'est abordable qu'au plus près de ses conditions de vie. Il faut ainsi tenir compte des aspects développementaux de l'enfant mais aussi des difficultés parentales, sociales ou psychologiques. Nous nous situons ainsi dans ce champ comme professionnels de PMI.

Ma collègue, le Dr Sylvaine Gissinger, va à présent vous présenter les problèmes rencontrés de façon générale, en raison notamment d'un meilleur dépistage des troubles envahissants du développement.

Docteur Sylvaine Gissinger, pédiatre. - Les problèmes que nous rencontrons sont parfois majorés en raison d'un meilleur dépistage actuel de l'autisme. En effet, la prise en charge pluridisciplinaire nécessite beaucoup de temps et d'investissement pour les équipes pédopsychiatriques et ralentit, de ce fait, la prise en compte des nombreux autres problèmes ou pathologies que nous rencontrons, à savoir des problèmes d'accordage parents-enfants, la dépression parentale ou de l'enfant, le retard psychomoteur ou psycho-intellectuel, ou encore le trouble du comportement.

La pénurie des pédopsychiatres et des autres professionnels des centres médico-psychologiques (CMP) domine et entraine des difficultés d'accès aux soins avec des délais de prise en charge allant de six à dix-huit mois, alors que l'adhésion de la famille pour ces soins a dû être travaillée pendant plusieurs mois en amont de l'adresse elle-même. Quel sens cela peut-il avoir pour les familles ? Cette pénurie de professionnels ne peut se compenser par un bon réseau ou un bon maillage seulement ! Les diagnostics et prises en charge en sont retardés, alors que nous connaissons tous l'intérêt d'un diagnostic précoce, décrit et reconnu depuis longtemps. Nous savons tous également que les prises en charge précoces sont hautement souhaitables et recommandées.

Dépister précocement, sans pouvoir proposer une prise en charge précoce, individuelle et adaptée, induit des conséquences lourdes pour l'enfant et sa famille. Du fait de la diminution des CMP, les distances aux soins augmentent ; cette situation est particulièrement vraie en milieu rural où le regroupement des consultations entraîne de longs trajets pour les familles. Les inégalités entre territoires sont accrues, du fait que les Agences régionales de santé (ARS) ne prennent pas en compte les pédopsychiatres libéraux pour déterminer l'inter-secteur en fonction de la population.

Les services de pédopsychiatrie sont sectorisés. Or, les prises en charge au sein des CMP sont souvent hétérogènes et cette organisation sectorisée ne permet pas toujours de respecter les choix des parents. Nous ne souhaitons pas prendre position pour un type de thérapie unique mais nous aimerions que le choix des parents puisse être pris en compte. La mise en place d'interventions globales est souvent difficile, avec des demi-postes d'orthophonie, de psychomotricienne dans les CMP. Les familles doivent alors aller en secteur libéral pour les soins d'orthophonie et de psychomotricité, ce qui peut induire des délais d'attente importants. Les familles se perdent alors dans un méandre d'interlocuteurs, de lieux ou encore d'organismes parfois décourageants. Mais cette double prise en charge doit rester possible, afin que ni les enfants, ni les professionnels ne soient pénalisés financièrement.

L'impossibilité de prescrire des prises en charge par les psychologues et les psychomotriciens en libéral, faute de leur remboursement, amène à faire des demandes à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) mais cette prise en charge n'est pas toujours acceptée car l'enfant n'est pas toujours dans le champ du handicap. Ne faudrait-il pas mieux être préventif ? Ce passage par la MDPH, dès qu'il y a une difficulté pécuniaire pour la famille, pour avoir les aides financières et humaines n'est pas simple. Tous les enfants relevant de soins pédopsychiatriques ne sont bien sûr pas nécessairement du côté du handicap mais ce passage obligé peut accroître la difficulté pour les familles d'admettre la nécessité de soins pour leurs enfants et retarder, voire compliquer, la prise en charge ou cristalliser le problème de l'enfant qui existe, peut-être, à un instant donné seulement.

La prise en charge de pathologies lourdes retarde, voire empêche, parfois d'autant le travail de prévention pour des situations plus légères qui en ont pourtant vraiment besoin, au risque de voir les pathologies s'aggraver et la santé des enfants se détériorer. Nous assistons à la diminution, voire à l'absence, de la guidance parentale dans les CMP, faute de personnels. Des prises en charge trop cloisonnées entre l'ASE, les services éducatifs, les CMP, entraînant des ruptures ou des retards de prise en charge. Comment peut-on développer les partenariats pour éviter ces ruptures quand les professionnels de chaque service manquent de temps pour les missions primaires ? Actuellement, la priorité absolue accordée au traitement des informations préoccupantes risque de se faire au détriment du travail global dans les services départementaux concernés et peut également aggraver l'état psychologique de certains enfants. Comment répondre aux besoins pour des problèmes plus intenses, plus urgents pour les enfants de l'ASE qui demandent des réponses adaptées ? J'ai en tête l'exemple de ces enfants ayant des pathologies lourdes qui passent de nombreux mois en foyer de l'enfance, sans prise en charge adaptée, faute de place dans un établissement spécialisé.

Nous déplorons le manque de partenariats entre la psychiatrie et la pédopsychiatrie, un manque de pédopsychiatres de liaison avec l'hôpital et en ambulatoire, mais aussi entre les services de psychiatrie adulte et les maternités. Nous déplorons également l'insuffisance des unités mères-enfants, le manque de jardins d'enfants et de familles d'accueil thérapeutique. Nous déplorons aussi la rareté, voire l'absence, de structures adaptées aux soins et à l'éducation des enfants présentant certaines pathologies lourdes, conduisant à des retards de prise en charge ou à éloigner les enfants de leurs parents. Beaucoup d'instituts médicaux éducatifs (IME) ou d'instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP) sont avec internat en raison notamment des coûts financiers des transports pour les établissements par exemple, même pour de très jeunes enfants. C'est vrai dans les métropoles et plus encore dans les départements ruraux. On adresse d'ailleurs un grand nombre d'enfants en Belgique, faute d'établissements en France. En ce qui concerne les adolescents, il faut réfléchir à la question des tentatives de suicide, des hospitalisations en service adulte, des insuffisances de prises en charge et au passage entre service de psychiatrie de l'enfant vers celui de psychiatrie adulte, qui n'est simple ni pour les jeunes ni pour les parents. On manque également de maisons des adolescents en zone rurale.

Docteur Colette Bauby, médecin pédopsychiatre au centre de PMI de Gennevilliers. - Nos propositions sont les conséquences des problèmes que nous venons d'évoquer. Nous sommes des professionnelles de première ligne dont la mission est d'assurer le développement global de l'enfant le meilleur possible. Il est nécessaire d'élaborer des dispositifs qui rapprochent la dimension pédiatrique de la dimension pédopsychiatrique. Pour ce faire, il faut actuellement une convention entre les services de PMI et de pédopsychiatrie mais celle-ci n'est pas pour autant pérenne. Il existe pourtant de multiples exemples de travail en commun, à l'instar de la collaboration conduite dans le Département de la Côte d'Or par le Dr Fritz, alors médecin responsable. Je participe à un groupe d'accueil parents-enfant, qui a commencé ses travaux à Gennevilliers, en janvier 1998 et qui s'est transformé en une unité de petite enfance au sein du CMP qui assure également des consultations, le travail avec une psychomotricienne et une prise en charge beaucoup plus large des enfants. Ces activités font l'objet d'un rapport que je laisse à votre disposition. En France, de nombreux moyens de travail commun ont été créés par des centres de PMI et de pédopsychiatrie : des pédiatres travaillent ainsi dans les CMP et organisent des consultations conjointes tandis que des pédopsychiatres et des psychologues travaillent en PMI. De telles démarches, qui aboutissent à un soin commun et au partenariat si important pour la prise en charge des enfants, doivent être développées. A l'issue de vingt années d'expérience, il me paraît judicieux qu'un pédopsychiatre soit présent à chaque inter-secteur de pédopsychiatrie. A trop séparer ce qui concerne le corps et l'esprit, on fait fausse route. Ces réflexions, qui concernent les tout-petits, sont aussi valables pour les plus grands.

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