Qu'est-ce que les psychiatres attendent des statistiques et de l'épidémiologie ?
Pr Bruno Falissard. - Nous avons vraiment besoin d'évaluer les stratégies de soins non pharmacologiques. L'évaluation des soins se fait par essais randomisés. Lorsqu'il s'agit de médicaments, ce sont les entreprises pharmaceutiques qui financent. Lorsqu'il s'agit de soins non pharmaceutiques, on ne peut bien sûr pas demander aux psychanalystes de payer pour évaluer les thérapies. En l'absence d'évaluation, on considère que ces soins n'entrent pas dans la « evidence-based medecine » et on propose donc de ne pas utiliser ces soins, ce qui est absurde. C'est le cas dans l'ensemble des pays du monde. C'est peut-être même encore pire ailleurs qu'en France. On sait pourtant quelle méthodologie utiliser pour évaluer des soins non pharmacologiques. Mais c'est un véritable investissement.
S'agissant des trajectoires des patients, il nous faut savoir pour un patient donné de quel diagnostic il fait l'objet à tel âge, où il est pris en charge ensuite, comment il évolue au cours du temps, combien il a vu de soignants, ce que ses parents en pensent. Il s'agit d'un travail de cohorte, qui ne nécessite pas de prélèvements d'ADN... Aujourd'hui dans une cohorte, 75 % du budget correspond aux prélèvements et aux congélateurs.
Dr Anne-Laure Sutter-Dallay. - Je confirme que l'on manque cruellement d'évaluation de nos systèmes de soins en dehors des prises en charge médicamenteuses et des vulnérabilités génétiques.
On n'évalue pas non plus le temps qu'il est nécessaire de passer en réunions dans notre discipline et cela nous est reproché à l'hôpital. Or la souffrance mentale doit être métabolisée par les soignants et cela demande du temps et nécessite de l'échange entre membres de l'équipe.
Il faut aussi du temps d'échange entre les différents professionnels, la PMI, les travailleurs sociaux et medico-sociaux, les soignants mais aussi les familles pour trouver la prise en charge adaptée et acceptée par tous. L'utilité de ce temps n'est pas évaluée.
Avec le recul, que pensez-vous de la mesure connue sous le nom d'amendement Accoyer ?
Pr Bruno Falissard. - Cela a été un prurit nécessaire et salvateur. Beaucoup de psychothérapeutes ont une formation littéraire et un positionnement philosophique par rapport à leurs soins qui est extrême et qui s'intègre à leur pratique de soignant. Ils ont donc vécu comme un choc l'arrivée d'un arsenal juridique. Mais le public doit savoir à qui il a à faire.
Depuis dix ans cela va mieux.
Qu'en est-il de la formation des pédopsychiatres ?
Pr Bruno Falissard. -Quand il s'agit d'une discipline à contours flous, il faut être encore plus rigoureux sur la définition des acteurs qui la pratiquent.
Les pédopsychiatres ont besoin d'une formation aux neurosciences et au système de soins qu'il a en face de lui. Il leur faut aussi une ouverture aux sciences humaines et sociales. Il faut savoir ce qu'est un fonctionnement familial, ce que c'est que l'enseignement face aux élèves. Le déterminisme d'une pathologie ne se trouve pas que dans les neurones. A l'inverse il faut prendre en compte des phénomènes sociaux comme la religion par exemple qui peut protéger des pathologies mentales. On ne peut d'ailleurs étudier cette question car la Cnil s'y oppose.
Il faut donc une culture généralise large et pas seulement biologique ce qui implique quatre à cinq ans d'études après l'examen classant national.
Quelle est la place de la pédopsychiatrie dans les études médicales aujourd'hui ?
Pr Bruno Falissard. - Il y a actuellement sur la planète deux modèles. Les pays où les pédiatres deviennent pédopsychiatres et les pays, comme la France et les États-Unis, où les psychiatres deviennent pédopsychiatres. Je pense que notre modèle est le bon car, comme nous l'avons vu, le pédopsychiatre s'occupe aussi des parents.
Dr Anne-Laure Sutter-Dallay. - Je pense important d'améliorer les connaissances des étudiants pendant leurs années de médecine et notamment de mieux les former à l'entretien avec les malades (les enfants) et les familles.
Pourquoi parliez-vous tout à l'heure de déqualification ?
Pr Bruno Falissard. - Je suis pour ma part professeur de biostatistique et pas de pédopsychiatrie. En parlant de déqualification, je visais le discours sur l'incompétence supposée de la pédopsychiatrie française, notamment sur l'autisme qui ne correspond pas à la réalité.
Sur certains points comme l'autisme il semble que la Belgique fasse mieux que nous.
Pr Bruno Falissard. - Les Belges ont su repenser les tâches des uns et des autres dans le soin. Du coup, ils disposent de plus de personnels pour un coût moindre. Mais cela joue essentiellement pour la prise en charge des enfants lourdement handicapés. Pour le reste, la formation et la pratique des pédopsychiatres de Belgique francophone est proche de celle de leurs confrères français. Les pédopsychiatres néerlandophones sont plus proches pour leur part des pratiques de l'Europe du Nord avec notamment une forte prescription de médicaments.
En France, à l'inverse, on prescrit peu de psychotropes. Moins de 1 % des enfants sont sous psychostimulants contre 10 % aux États-Unis.
Dr Anne-Laure Sutter-Dallay. - C'est l'interdisciplinarité qui est importante avec la connaissance et le respect des compétences de l'autre. Aujourd'hui tout le monde croit pouvoir faire de la psychiatrie mieux que les psychiatres et pédopsychiatres.
Il faut mettre en place une coordination des réseaux de soins.
Du bien-être à la maladie avérée, comment articuler les choses le mieux possible ?
Pr Bruno Falissard. - C'est un problème dans tous les pays. En tous cas, ce n'est pas aux psychiatres de gérer le bien-être des populations. Tous les psychiatres ne sont pas d'accord avec cette limite. Comme l'expliquait Canguilhem, on passe du côté du pathologique dès lors qu'il y une plainte. En pédopsychiatrie la seule différence est que cette plainte ne vient pas de l'enfant mais du groupe qui l'entoure.
Quant à la prévention primaire, elle ne relève pas de la psychiatrie mais de la politique de santé publique.
L'analyse de Canguilhem est-elle toujours d'actualité sur la définition du normal et de la pathologie en psychiatrie?
Pr Bruno Falissard. - Je le pense. On a aujourd'hui la tentation, notamment le National Institute of Mental Health américain, du phénotype biologique qui permettrait de déterminer qui souffre ou non d'une pathologie psychiatrique. On pourrait ainsi se placer dans une position d'autorité pour dire à quelqu'un qu'il est malade. Or Salvador Dali était bizarre mais c'était un grand artiste qui ne relevait pas de la psychiatrie. A l'inverse, Antonin Artaud était aussi un grand artiste mais il était en souffrance et relevait d'une prise en charge psychiatrique. La maladie mentale est un effondrement du sujet. Cela renvoie au problème que j'évoquais tout à l'heure, nous disposons de statistiques sur la prévalence des maladies mais pas sur le nombre de malades.
Dr Anne-Laure Sutter-Dallay. - Il faut aussi prendre en compte le fait que la maladie des adultes et celle des enfants peut constituer une boucle à la pathologie des uns créant ou renforçant celle des autres.
La Drees dispose-t-elle d'éléments sur le recours aux psychotropes en pédopsychiatrie ?