Je tiens à mon tour à vous remercier, monsieur le président, de votre présidence bienveillante et efficace, ainsi que de votre implication dans nos travaux et dans l'élaboration de ce rapport.
Monsieur le président, mes chers collègues, le secrétariat de la mission d'information vous a transmis vendredi dernier le projet de rapport, qui comprend un peu plus d'une centaine de pages.
Ce rapport dresse des constats, pour certains frappants, étayés par les données chiffrées et les éléments précis collectés par notre mission d'information au cours des auditions, des déplacements ou encore dans les réponses aux questionnaires que j'ai transmis à certains organismes ou à certaines personnalités.
Sur la base de ces constats, le rapport dégage 5 orientations, à mes yeux consensuelles, qui se déclinent en 27 propositions concrètes couvrant l'ensemble du cycle de vie des téléphones portables : leur fabrication, leur utilisation, la collecte des équipements usagés et leur valorisation.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur chacun des constats ou sur chacune des 27 propositions, puisque vous avez pu en prendre connaissance. Je tiens cependant à retracer les grandes lignes de force qui émanent du rapport.
Au préalable, il me paraît utile de rappeler le contexte dans lequel nous avons été amenés à travailler sur la question des téléphones portables, de leurs matériaux et composants.
Les chiffres sont éloquents : environ 24 millions de téléphones portables sont vendus en France chaque année, un chiffre stable depuis 2012. Ainsi, 92 % des foyers français ont au moins un téléphone portable et un foyer possède en moyenne 2,4 appareils.
Le téléphone portable a émergé comme le produit phare de la société de consommation actuelle. Il est devenu indispensable, plus encore depuis l'arrivée et l'explosion des smartphones : c'est l'objet du quotidien par excellence. Avec son portable, on prend des photos, on lit les journaux, on consulte ses mails, on envoie des SMS, on se connecte sur les réseaux sociaux, on passe des commandes, etc.
Téléphoner semble parfois être devenu une fonction accessoire de l'appareil. Mais connaît-on vraiment cet équipement ? Que contient un téléphone portable ? Qu'advient-il du téléphone portable usagé, de ses composants et matériaux ?
Ces questions n'ont pas donné lieu à ce jour à des rapports ou des études spécifiques. C'est tout l'intérêt de nos travaux : ils ont permis, je le crois, à bon nombre d'entre nous de découvrir certaines réalités et certaines problématiques, notamment par le biais d'auditions ou de déplacements passionnants.
La vocation de ce rapport est donc à la fois pédagogique - sensibiliser le grand public ainsi que les pouvoirs publics -, mais aussi prospective.
S'agissant de la composition des téléphones portables, plusieurs constats marquants se sont imposés. Tout d'abord, le manque de connaissances sur la composition exacte des téléphones portables est apparu flagrant : il est tout de même étonnant que les informations que nous avons obtenues proviennent davantage de l'aval de la filière - les éco-organismes notamment - que des fabricants eux-mêmes. Ensuite, les téléphones portables constituent une véritable « mine urbaine » - : ils contiennent des métaux précieux, voire stratégiques, dans des proportions impressionnantes. Je vous rappelle que, par exemple, une tonne de cartes électroniques contient en moyenne 200 grammes d'or, tandis que la concentration d'une très bonne mine est évaluée à 5 grammes par tonne de minerai ! Ces chiffres sont tout de même stupéfiants.
Les matériaux et composants des téléphones portables soulèvent des interrogations, en matière de toxicité, de soutenabilité des approvisionnements et, surtout, en ce qui concerne les conditions d'approvisionnement.
Un sujet sensible est la question des « minerais de conflit », minerais dont l'extraction entretient des conflits. C'est notamment le cas du tantale, métal massivement utilisé pour la fabrication des condensateurs des téléphones portables et dont 80 % des réserves mondiales sont situées en République démocratique du Congo, dans la région en guerre du Kivu. Sur cette question, je reste marquée par la formule utilisée par le représentant d'un fabricant lors de son audition : « Les employés de notre groupe qui gèrent les problèmes d'approvisionnement dorment mal la nuit. »
Dernier constat, enfin : la conception des téléphones est délibérément défavorable au réemploi et au recyclage ; le meilleur exemple est la quasi-impossibilité de remplacer les batteries intégrées, problématique qui a été évoquée par nombre de nos interlocuteurs.
Face à cette réalité, le bilan du dispositif de modulation environnementale des éco-participations est dérisoire : comment espérer qu'il soit efficace quand l'éco-participation s'élève à 1 centime d'euro par téléphone ?
Sur la base de ces constats, le rapport formule plusieurs propositions destinées à responsabiliser les fabricants de téléphones portables, telles que l'amélioration de l'information du consommateur sur leur composition ou le renforcement des modulations d'éco-participation favorables à l'éco-conception, ceci en augmentant les montants, en diversifiant les critères et en accroissant la publicité des malus.
S'agissant ensuite de la phase d'utilisation des téléphones portables, nous avons constaté que l'explosion du marché, rythmée par des évolutions technologiques très fréquentes, est nourrie par l'obsolescence programmée, c'est-à-dire l'utilisation de techniques variées visant à réduire la durée de vie ou la durée d'utilisation du téléphone.
Cette obsolescence peut prendre plusieurs formes, telles que l'obsolescence logicielle, les obstacles mis à la réparation, l'obsolescence marketing - visible par le biais des campagnes publicitaires agressives qui incitent à renouveler son équipement - ou encore le subventionnement à l'achat.
Les dispositions législatives existantes étant clairement insuffisantes, le rapport comprend plusieurs propositions concrètes, la principale étant l'allongement de la durée de la garantie légale de 2 ans à 4 ans, tout en améliorant l'information du consommateur sur son existence et son contenu. Un tel allongement enclencherait une dynamique vertueuse en incitant les fabricants à améliorer la conception de leurs produits et à privilégier la réparation. L'allongement à 4 ans paraît une solution mesurée, sachant par ailleurs que la durée de la garantie légale est de 6 ans au Royaume-Uni.
Un fil rouge de nos travaux a été la question de la collecte des téléphones portables usagés. Comment expliquer qu'on ne collecte qu'environ 15 % des téléphones portables disponibles ? Comment expliquer qu'environ 100 millions de téléphones « dorment » dans les tiroirs de nos concitoyens ?
L'information lacunaire fournie au consommateur en la matière est une explication : qui connaît les emplacements où déposer des téléphones usagés ? Qui a conscience de l'intérêt de s'en séparer ?
Au-delà de cette explication, il existe aussi un certain nombre de freins psychologiques, comme l'attachement personnel à cet équipement, la crainte de voir des données personnelles réutilisées ou l'illusion que le téléphone usagé sera un recours en cas de problème avec son nouveau téléphone.
Sur cette question, le rapport comprend de nombreuses propositions destinées à augmenter le niveau de la collecte, notamment par le biais d'une meilleure information du consommateur sur le geste de tri.
Nous préconisons ainsi une campagne nationale de communication consacrée au tri des téléphones portables, le renforcement du contrôle sur l'application du mécanisme de reprise par les sites de vente en ligne - dont près de la moitié ne respectent pas la loi -, ou encore la systématisation de l'information du consommateur sur les possibilités de tri à chaque étape du parcours de vente, y compris sur internet.
Cette collecte limitée est d'autant plus problématique qu'elle nuit au réemploi, qui doit constituer la première de nos priorités, conformément à la hiérarchie des modes de traitement des déchets, et à l'activité des acteurs du secteur, notamment ceux issus de l'économie sociale et solidaire, tels que les Ateliers du bocage, qu'il convient de soutenir résolument. Il s'agit ainsi d'un gisement d'emplois, aujourd'hui négligé au risque de nourrir certains trafics.
S'agissant justement du devenir des matériaux et composants des téléphones portables, nos travaux nous ont permis de découvrir que la majorité du gisement de téléphones usagés échappe à la filière réglementaire et part dans des filières parallèles. Interpol a montré que, en 2012, seulement 35 % des déchets d'équipements électriques et électroniques jetés ont été retrouvés dans les filières réglementaires de collecte et de valorisation des déchets.
Le marché de l'occasion, qui se développe aujourd'hui fortement, se caractérise ainsi par un circuit très peu transparent. De nombreux interlocuteurs ont évoqué l'existence d'exportations de lots complets mélangeant déchets et équipements réparables ne respectant pas toujours la réglementation en vigueur. Il existe de véritables stratégies de contournement de la réglementation relative à l'exportation de déchets jouant sur la complexe frontière entre la qualification de « déchet » et celle d'« équipement » réparable.
Sur ce sujet, le rapport comprend plusieurs propositions visant à soutenir les acteurs du réemploi et à clarifier les circuits des filières parallèles à la filière réglementaire. Nous proposons notamment de renforcer les contrôles sur les exportations des téléphones de seconde main, afin de garantir le respect de la réglementation sur les transferts transfrontaliers de déchets. Nous proposons également d'imposer aux opérateurs vendant des quantités de téléphones et de déchets en mélange un tri préalable, afin de n'exporter que des produits effectivement susceptibles de réemploi.
Enfin, nous avons abouti à la conclusion que le recyclage des composants et matériaux issus des téléphones portables constitue, sous réserve bien entendu de la massification de la collecte des équipements usagés, une opportunité pour créer une filière d'excellence. Cette opportunité n'est d'ailleurs nullement incompatible avec le développement du réemploi.
La filière du recyclage manque aujourd'hui cruellement des infrastructures nécessaires, notamment pour le traitement des cartes électroniques. Ces dernières sont envoyées par exemple en Belgique, sur le site d'Umicore, que nous avons pu visiter. La France dispose pourtant d'entreprises innovantes et actives dans le domaine du recyclage des DEEE, comme l'entreprise Morphosis au Havre ou l'entreprise TerraNova dans le Pas-de-Calais, dont nous avons pu entendre les dirigeants.
Notre pays dispose par ailleurs de sites et d'un savoir-faire industriels historiques et, en matière de recherche, il est l'un des plus actifs, grâce à une coopération efficace entre établissements publics, chercheurs et start-ups.
Il est donc indispensable d'établir et de mettre en oeuvre une stratégie nationale de développement du recyclage des métaux définissant des priorités, qui permettrait de guider le soutien public apporté tant aux projets de recherche qu'aux unités de traitement. Cette stratégie devrait s'intéresser notamment à l'identification des faiblesses de la filière, cibler les métaux rares et stratégiques, déterminer le degré de désassemblage et de neutralisation des substances dangereuses ou encore - c'est un point qui me tient à coeur - effectuer un inventaire des sites industriels reconvertibles.
Voilà donc, monsieur le président, mes chers collègues, la tonalité des constats et des propositions du rapport que je soumets aujourd'hui à votre approbation, et pour lequel je vous propose le titre suivant : « 100 millions de téléphones portables usagés : l'urgence d'une stratégie. »
Ce rapport a, comme je l'ai dit, une vocation pédagogique et prospective. Il dénonce certaines pratiques, il alerte les pouvoirs publics et il sensibilise le grand public et les consommateurs. J'espère que notre mission d'information approuvera d'une seule et même voix ses conclusions.
Je vous remercie tous et je suis à votre disposition pour entendre vos commentaires et répondre à vos interrogations. Je remercie également l'administration du Sénat de l'aide de très grande qualité qu'elle m'a apportée.