Je ne suis pas un spécialiste de l'Europe de l'Est. Je sais qu'il y a des plateformes en Europe de l'Est, en Asie, en Afrique. Il y en aurait même une qui se créerait en Amérique latine. Ces pays sont en mesure d'extraire les matières, mais pas dans les mêmes conditions que nous. Ce sont les spécialistes de l'hydrométallurgie « qui finit dans le caniveau ». Les acides utilisés ne sont pas les mêmes que les nôtres et ne sont pas traités. La pollution engendrée par le traitement est largement supérieure à la pollution que les DEEE traités de cette manière auraient pu engendrer sans traitement.
S'agissant des progrès réalisés, techniquement, nous avons mis au point un process hydrométallurgique, et récemment un process thermique. Nous avons des travaux en cours avec le commissariat à l'énergie atomique (CEA) pour réussir à capter d'autres métaux, afin de limiter le traitement fait à l'extérieur.
Pour en revenir au point de vue économique, pour les appareils hors garantie, le statut n'est pas bien défini. Les appareils sont-ils fonctionnels ou non ? Il est alors difficile de se positionner. Certains opérateurs ont des politiques très claires. Pour d'autres, le prix de vente est le critère de décision. Il en va de même pour les acteurs du réemploi, pour lesquels le critère du prix est très important. Les appareils étant vendus par lot, le déchet et les appareils fonctionnels sont souvent mélangés.
Sur les soutiens que j'ai pu obtenir, ils ont été nombreux. La santé financière de notre entreprise est bonne aujourd'hui, alors que nous avions démarré avec peu de capitaux. La région et le département nous ont aidés, particulièrement pour soutenir notre politique de recrutement. Nous avons aujourd'hui 45 salariés. Nous avons monté un plan de recrutement d'une centaine de personnes sur les dix prochaines années avec la région.
Nous avons eu aussi un soutien pour les investissements - les machines.
Mais le plus fort soutien a porté sur la recherche. La BPI nous a beaucoup aidés. Nous avons été lauréats du concours mondial de l'innovation 2015, ce qui a permis de soutenir encore davantage notre recherche, mais aussi de nous mettre en lumière. Nous sommes une petite entreprise dans un secteur dominé par des mastodontes. Il est difficile de se faire une place. Cette reconnaissance internationale nous a crédibilisés. Le crédit impôt recherche nous a permis de travailler avec des universités, des organismes d'État. Nous travaillons également avec ERAMET.
Cette politique de soutien a permis notre croissance.
Le recyclage des téléphones portables est une filière d'avenir. J'y crois fortement et j'y investis des capitaux. En France, 22 millions de téléphones sont vendus chaque année. Il faudrait pouvoir les récupérer, pas forcément pour les recycler. Une part importante doit être réemployée, si les appareils sont fonctionnels. Mais il faut le prouver. L'enjeu est la justification du statut de l'appareil : le test et le tri, comme les font les Ateliers du Bocage. Nous le faisons également. Il faut 10 minutes pour tester un appareil ; pour 20 millions de téléphones, cela représenterait 2 000 emplois... Sur la partie recyclage, une fois la phase de test et de tri faite, le nombre d'emplois en jeu est plus faible : 22 millions d'appareils équivalent à 2 000 tonnes ; il n'est pas nécessaire d'employer beaucoup plus de personnes qu'actuellement. En termes financiers, on estime qu'il s'agit d'un marché de 150 millions d'euros pour les tests et de 15 millions pour le recyclage.
Cela constitue aussi de la matière première : 500 kilos d'or et 5,5 tonnes d'argent. C'est une partie de la consommation de fabricants d'équipements électriques en France. Ces fabricants se « sourcent » aujourd'hui en métal en Suède, où ils ne sont pas des clients prioritaires, en raison du faible volume qu'ils représentent. Aujourd'hui, il n'y a pas encore de tension, les industriels parviennent à se sourcer. Mais on peut imaginer qu'il y en aura quand les sources minières seront taries - pour l'argent, ce sera dans dix ans. Les industriels se positionneront alors dans les pays qui leur garantiront un apport en matières premières. Il est donc crucial de conserver ce genre de métier.
Dans le monde, 1,2 milliard de téléphones sont vendus. Il faut donc faciliter la politique d'importation des déchets, qui iront dans une filière tracée, auditée, avalisée par des organismes et des institutions. On pourra ainsi renforcer notre capital en métal.
Pour pérenniser la filière et développer les emplois, voilà quelques pistes.
Première piste : chaque téléphone doit être testé ; les réparations doivent être faites au maximum en France, pour éviter l'exportation de déchets. On créera ainsi de l'emploi et le statut du produit vendu par l'opérateur ou le broker sera clair.
Deuxième piste : si l'on vend des appareils de seconde main dans des pays où il n'y a pas de filière de traitement, il faut trouver un système de compensation. Je ne veux pas faire l'éloge d'Orange, mais le système que nous avons mis en place ensemble est très bénéfique. Quand on ne fait que déporter la fin de vie d'un appareil, il faut proposer de réimporter. Cela pérennisera la filière et créera un cercle vertueux.