Plusieurs caractéristiques du brome doivent ici être prises en compte. Lorsqu'on détruit le brome, on recueille plusieurs familles de composants, soit de l'acide bromhydrique (HBR) qui peut être facilement filtré avec un filtre à base de chaux, et du BR2, soit le brome natif, qui est une grosse molécule assez difficile à saisir. Umicore respecte des limites d'émissions pour les substances HBR ; je n'ai pas d'information pour le BR2.
Dans notre usine d'Isbergues, nous avons été confrontés à cette problématique et nous travaillons sur une technologie visant à recycler ce brome que nous sommes en train de breveter. Je sais qu'à l'usine d'Aurubis, le brome BR2 est arrêté sous la forme d'un bromure de zinc et j'imagine qu'Umicore met en oeuvre la même technique, le bromure de zinc étant ensuite traité en Chine, puisqu'aucune fonderie européenne n'accepte de recevoir du bromure de zinc.
Par ailleurs, s'il y a du monoxyde de carbone dans les gaz, ce qui est logique dans une postcombustion, des dioxines de brome vont être formées et devront être arrêtées, avec du charbon actif notamment. Il existe des composés bromés organiques qui sont également dangereux. Voilà les sujets sur lesquels il faut se concentrer.
S'agissant des cartes électroniques, on en produit dans le monde quelque deux millions de tonnes par an. Celles-ci se retrouvent dans nombre d'appareils, depuis le sèche-cheveux jusqu'à la voiture : 500 000 tonnes sont collectées en fin de vie. Une dizaine d'usines dans le monde, dont trois se trouvent en Europe et le reste en Asie du Sud-Est, s'occupent du traitement de ces cartes. Ce sont des fonderies de cuivre qui ont été conçues pour traiter à la base des concentrés miniers et ont adapté leur outil pour traiter les cartes électroniques à hauteur de 10 % de leur production globale.
Le coût de l'adaptation est assez élevé en raison du traitement des gaz qui en résultent et les difficultés engendrées par le traitement de ces cartes dans une fonderie qui n'est pas initialement destinée à le faire initialement sont assez importantes. Seules les unités qui disposent d'un savoir-faire métallurgique élevé sont en mesure de le faire. C'est la raison pour laquelle leur implantation reste limitée à certains pays, comme la Corée du Sud, le Japon et l'Europe.
Ensuite, il existe certains traitements de carte qui sont plus primitifs, comme ce qui est désigné comme l'« Acid Process » en Asie du Sud-Est et qui consiste à attaquer les cartes avec soit de l'eau régale ou du cyanure, voire du mercure, pour essentiellement récupérer l'or. Le reste de la carte est perdu, faute de son véritable recyclage au terme de cette opération qui donne un assez mauvais rendement métal. Une telle démarche, très polluante, réclame peu de moyens et permet, en extrayant l'or, à des personnes ne disposant que de peu de ressources d'obtenir un revenu. Le secteur informel de l'Inde travaille ainsi et nous avons évoqué avec nos homologues indiens la perspective de mettre en oeuvre des technologies plus propres. Nous sommes d'ailleurs en discussion avec le grand fondeur de cuivre indien qui pourrait être intéressé par l'installation d'une pyrolyse. Une telle perspective reflète le délicat dilemme entre, d'une part, le souci de préservation de l'environnement et de la santé des gens et, d'autre part, la nécessité de leur assurer un revenu.
La troisième gamme de technologies porte sur un démantèlement plus poussé : il s'agit de sortir et valoriser les composants, en mettant en oeuvre toutes sortes de « bricolages » plus ou moins sophistiqués pour dessouder les composants et les trier à la main. Ce type de démarche n'existe pas en Europe. Certes, la société Morphosis assure cette première étape d'extraction de l'or avant de vendre ce qu'il reste des cartes à d'autres sociétés comme Umicore. Il y a là une application où l'on enlève une partie du métal. Par ailleurs, Morphosis travaille actuellement sur un projet de four à plasma pour sortir les autres métaux. À cet égard, nous sommes, avec notre société Terra Nova développement, deux lauréats du concours mondial de l'innovation dans cette filière de recyclage de cartes électroniques et nous travaillons chacun sur des technologies complémentaires ou différentes.
Je veux à présent aborder le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), dont je préside le groupe de travail n° 3 relatif à l'évaluation des possibilités de recyclage des métaux stratégiques. L'Union européenne a arrêté une liste des différents métaux stratégiques et chaque pays fournit également sa liste. On ne parle ici que des petits métaux et non du fer, de l'aluminium et du zinc qui sont des grands métaux de base. Il s'agit de métaux comme le germanium, les platinoïdes, le cobalt ou encore le tantale.
La liste des métaux stratégiques de 1990 diffère complètement de celle qui prévaut aujourd'hui. Le critère « stratégique » a également évolué. La durée de vie de l'application d'un métal stratégique peut ne pas excéder une quinzaine d'années puisque, durant cette période, certains substituts peuvent être conçus. Ce domaine est en évolution rapide et implique une adaptation constante.
On définit les métaux stratégiques de manière assez simple par les usages dont nous avons besoin. Ainsi, le tantale est utilisé dans des alliages spéciaux pour concevoir certaines pièces des turbines aéronautiques ou d'autres applications de haute technologie. Si le tantale venait à manquer, il serait plus difficile de construire des avions. Aujourd'hui, les cartes électroniques représentent 70 % des applications du tantale. Les sources du tantale sont doubles : une société australienne, d'une part, qui reste vulnérable en terme de contrôle puisqu'elle peut toujours être rachetée par des investisseurs notamment chinois, et d'autre part, des producteurs de la région des Grands Lacs en Afrique où le tantale est extrait dans des conditions plus que discutables. Les industriels européens préfèrent acheter aux Australiens ce métal dont les réserves ne sont pas menacées d'épuisement, mais qui présente un risque géopolitique certain qui le rend stratégique. Cette situation est la même pour les platinoïdes, l'indium, le gallium ou encore le germanium.
La criticité des métaux est ainsi définie par leur abondance et la diversité de leurs sources comparées aux besoins de notre industrie et de ses fournisseurs.
Le COMES a été créé lorsque les Chinois ont institué un embargo sur les terres rares. On pense souvent que seules les terres rares seraient stratégiques. En réalité, la liste des métaux stratégiques est plus large et, parmi les terres rares elles-mêmes, seuls quelques métaux sont effectivement reconnus comme stratégiques. Nous avons, dans notre mine urbaine, une partie de ces métaux et nos téléphones portables en contiennent quelques-uns, à savoir le cobalt, le palladium, l'indium, certes en traces, et le tantale. La question est de savoir comment extraire ces métaux.
Le COMES a pour mission de définir une politique des pouvoirs publics dans ce domaine. Il a conduit, pour le moment, un inventaire des différents métaux, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a conduit des études sur les acteurs, les quantités et l'historique qui sont accessibles d'ailleurs sur internet. Puisque les choses évoluent vite, cette synthèse doit être fréquemment mise à jour.
Le COMES assure également l'inventaire des travaux de R&D dans le domaine de l'extraction des métaux stratégiques. Parmi les acteurs que nous connaissons se trouvent des grands groupes métallurgiques : hormis Umicore qui conduit une recherche active, ces groupes recherchent uniquement l'amélioration de l'outil existant. Cet outil a été conçu pour traiter autre chose que ces cartes et les métaux extraits des déchets : il faut l'adapter pour traiter ces matières. Pour recourir à une image, disposer d'un marteau ne permet guère de visser une vis et le travail que ces groupes effectuent tente de transformer ce marteau en tournevis.
Des travaux de recherche académique sont également conduits par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), la chimie des terres rares étant assez proche de celle des actinides. Le développement de la chimie des matières radioactives a ainsi entraîné celui de la chimie des terres rares. D'autres acteurs sont très actifs dans ces domaines, comme le BRGM ou le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou, plus récemment, ParisTech. Si les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) commencent donc à s'intéresser à cette problématique, ils n'ont pas cette culture de spin-off et ne savent pas construire une usine. Il faut ainsi s'assurer que ces établissements et des sociétés industrielles travaillent ensemble ; les uns apportant de la compétence scientifique et les autres du savoir-faire technique. Cette synergie fonctionne de mieux en mieux avec les PME et les TPE, mais peu avec les grands groupes car deux systèmes de recherche quasiment incompatibles s'opposent : la recherche d'un grand groupe vise prioritairement à améliorer un outil existant, comme Eramet ou Umicore. Ces groupes considèrent comme des menaces les technologies de rupture. En outre, les grands groupes, qui pensent détenir de réels secrets de fabrication, ne vont pas être ouverts à de la recherche participative et à l'entrée de tierces personnes. On va se retrouver dans une situation où les grands groupes disposent de laboratoires assez lourds, comme à Trappes pour Eramet, où les personnels restent longtemps. Il est ainsi impossible d'avoir des compétences dans les nouvelles technologies dans des groupes de plus de cent personnes. Une sorte de consanguinité va s'établir progressivement et limiter leurs capacités de création.
À l'opposé, des structures comme les nôtres ou Morphosis vont inventer sans aucun frein, mais sans disposer des ressources financières suffisantes. La collaboration avec des EPIC permet alors de concevoir des systèmes novateurs et très performants. Avec les ordinateurs dont on dispose désormais et l'accès aux publications par l'internet, tout ingénieur peut désormais conduire un travail sans commune mesure avec ce qu'il était possible de réaliser il y a vingt-cinq ans. Avec des moyens de recherche plus réduits, on est ainsi capable d'innover davantage et de mettre en oeuvre des technologies de rupture.
Le domaine des téléphones portables et, d'une manière générale, des appareils nomades, est ouvert à des technologies de rupture. Leur développement résultera de l'installation d'usines nouvelles aux procédés innovants et non de la copie de dispositifs existants. Telle est l'opportunité qui est la nôtre dans ce secteur. Nous n'avons plus d'industrie métallurgique en France, mais nous disposons des moyens d'en développer d'autres radicalement différents de ceux qui existaient jusqu'à présent.