Intervention de Loïc Blondiaux

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 1er février 2017 à 17h30
Audition conjointe de Mm. Loïc Blondiaux professeur de science politique à l'université paris i panthéon-sorbonne et rémi lefebvre professeur de science politique à l'université lille ii

Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne :

En dix minutes, il est compliqué de résumer la situation, les enjeux et les perspectives qu'offre la démocratie participative.

Les enjeux sont nets : nous connaissons une crise majeure de la légitimité et de l'efficacité des institutions traditionnelles de la représentation. La crise de légitimité est documentée : elle génère de la défiance, inédite par son ampleur, de la part des citoyens à l'égard des élus, de l'indifférence qui se traduit par l'abstention, de l'exaspération et de la radicalisation. Cette dernière s'exprime de différentes manières : certaines personnes adhèrent aux programmes de mouvements populistes, « anti-système » ou d'extrême-droite ; d'autres aspirent à d'autres formes de démocratie qu'on ne peut plus négliger. Pour une partie de la population qu'il reste à quantifier et identifier, il y a une allergie, une défiance à l'égard du principe même de la représentation - regardez Nuit debout - et une critique de l'élection, remise en cause pour son incapacité à provoquer l'alternance, poussant à réhabiliter l'idée du tirage au sort.

Les citoyens souhaitent des prises de décision plus inclusives, plus horizontales et - fait récent mais significatif - manifestent une volonté d'implication. Nous sommes passés silencieusement dans une « démocratie du faire ». Sur tout le territoire, sans interpeller les autorités politiques, des citoyens prennent en charge des situations, des lieux, des « communs ». Il n'y a pas encore de cristallisation politique de ce mouvement - peut-être ne le veut-il pas - sous une forme politique traditionnelle. Ce mouvement s'oppose à la posture de consommation de la politique par le citoyen, de délégation de la gestion des affaires publiques à des acteurs spécialisés et d'interpellation, au profit d'une posture d'implication.

La crise de légitimité est la source d'une crise d'efficacité : moins légitimes, les autorités politiques sont moins efficaces. La population connaît un sentiment grandissant selon lequel les politiques sont impuissants et échouent à assurer la prospérité et la sécurité des citoyens. Plus grave, ils estiment que le vrai pouvoir est ailleurs, dans les mains d'acteurs non élus. Le pouvoir politique serait aux ordres du pouvoir économique. Ce sentiment se traduit par le succès de thèses complotistes sur internet ou par le sentiment que le clivage entre la gauche et la droite n'a plus de sens ou que l'alternance est limitée, ce qui produit déception et frustration chez les citoyens.

En ce moment crépusculaire de l'histoire de nos démocraties - peut-être est-il plus tard que minuit moins le quart ! -, comme le succès de M. Trump, des forces d'extrême-droite ou « anti-système » le montre, il existe cependant des signes de renouveau démocratique.

Jusqu'à présent, les institutions étaient robustes et résilientes, réussissant à intégrer les critiques, notamment liées au manque de représentativité des ouvriers ou des femmes. Résisteront-elles aux menaces et crises auxquelles elles sont confrontées ? Il y a trois enjeux pour redéfinir la représentation et réinventer d'autres institutions démocratiques.

Premièrement, qu'est-ce que la légitimité d'une décision ? Aujourd'hui, il ne suffit plus qu'elle soit prise par une autorité élue pour être légitime. C'est la manière dont une décision est prise qui fait sa légitimité. Une décision qui n'a pas été concertée, débattue ou discutée par l'ensemble de ceux qu'elle concerne ne peut plus aujourd'hui être considérée comme légitime. C'est un changement d'approche profond et d'attente important.

Deuxièmement, il y un enjeu à produire des décisions plus intelligentes, mieux adaptées aux situations auxquelles elles sont censées répondre. La contribution ou l'intelligence citoyenne est devenue une donnée majeure. Il est difficile de croire que les experts et les élus détiennent le monopole de l'intelligence et de la vérité. Parier sur l'apport cognitif ou politique des citoyens est un impératif.

Troisièmement, une démocratie repose sur des citoyens actifs et responsables. Nous nous contentons de citoyens consommateurs ou passifs à l'égard des politiques qui les concernent et qui ne se réveillent que pour se révolter. Impliquer les citoyens au maximum dans la production des politiques publiques me semble un impératif pour la démocratie et sa vitalité.

Se dessine un processus de représentation plus démocratique, plus inclusif qui ne se limite pas à une délégation par la voie de l'élection. Cela passe par un retour de l'imagination politique : on redécouvre des institutions, des procédures, des notions refoulées de notre histoire politique. Nous avions fini par considérer que la démocratie ne reposait que sur l'élection, la représentation puis sur les partis politiques. Des procédures font l'objet d'une réhabilitation théorique et politique, comme le tirage au sort ou le mandat impératif, bien que prohibé par la Constitution, dans des organisations, à l'instar du parti Pirate qui le met en oeuvre : les représentants ne peuvent pas être complètement autonomes. Le pouvoir de révocation des élus, qui existent dans certains États américains, est à nouveau envisagé. Il en est de même de l'initiative citoyenne à travers le droit de pétition ou l'initiative référendaire ; de plus en plus de pays ouvrent ce droit : aux Pays-Bas, le référendum sur l'Ukraine a été lancé par une initiative citoyenne. Le droit de pétition retrouve de l'actualité, notamment sur certaines plateformes qui facilitent leur mise en oeuvre.

Un ensemble de propositions citoyennes existe pour la désignation de candidats par les citoyens. La primaire.org proposait de désigner un candidat via une plateforme numérique : près de 100 000 citoyens y ont participé. Le collectif Ma voix se propose d'envoyer à l'Assemblée nationale des « députés augmentés » qui répondraient à un mandat impératif. Au moins un candidat à la primaire de gauche a repris l'idée d'un Sénat citoyen avec des membres tirés au sort. Cette effervescence souligne que ces procédures très anciennes reprennent de l'actualité.

Il faut souligner la richesse, la diversité et la sophistication de l'offre participative. Aujourd'hui, des technologies assistées par le numérique permet de repenser l'association des citoyens à la fabrication des lois. À la fin de 2015, plus de 30 000 citoyens ont déposé plus de 80 000 contributions sur le projet de loi pour une République numérique. On peut imaginer la systématisation de cette consultation au même titre que celles des groupes d'intérêts.

Le système Vox fait ce travail nécessaire d'éducation populaire en matière électorale. Des plateformes innombrables de dialogue entre élus et citoyens, comme democracyOS ou Stig, permettent à ces derniers de faire des propositions afin qu'elles soient discutées, éventuellement votées, puis transmises aux élus. Il existe aussi des plateformes de recueil de plaintes ou de contributions des citoyens, avec des dispositifs cartographiques qui changent l'action publique.

Sous des formes plus traditionnelles, les technologies offrent la possibilité de prendre des décisions au consensus, d'animer les débats, de faire véritablement de la démocratie participative. Ce n'est plus une question d'outils ; il existe des professionnels que je forme d'ailleurs dans mon master d'ingénierie à la concertation à la Sorbonne. Les outils existent, même avec leurs limites. Il s'agit donc d'une question de volonté politique.

Des expériences deviennent significatives, comme le budget participatif parisien...

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