La réussite des dispositifs participatifs dépend des procédures mises en place mais également de la volonté politique des acteurs. Lorsqu'elles sont organisées par des gens qui n'y croient pas, même les meilleures procédures n'auront aucun effet.
Les élus doivent avoir la volonté d'inclure les citoyens pour des choix essentiels qui n'ont pas été tranchés lors des élections ; je continue d'ailleurs de penser que les élus doivent avoir le dernier mot. Les procédures participatives doivent ensuite être adaptées aux enjeux soulevés et aux profils des citoyens.
Il me semble également important d'abaisser les seuils du droit d'initiative citoyenne, tant au niveau national qu'au niveau local, et se rapprocher ainsi du système suisse.
De même, le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) a lancé un atelier citoyen sur les données de santé. Les participants, qui n'avaient aucune idée préconçue, se sont hissés à la hauteur des enjeux et ont produit un avis dont la portée politique est réelle.
Les consultations citoyennes pourraient être généralisées sur les projets de loi les plus importants, comme le suggère d'ailleurs M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Les consultations organisées sur la plateforme « Parlement & citoyens » donnent d'ailleurs un bon exemple.
En cas de controverses, le débat doit être organisé par une autorité tierce et impartiale. La Commission nationale du débat public (CNDP) peut désormais nommer un « garant » lors des consultations qu'elle organise, dispositif que j'avais soutenu au sein de la « commission Richard » qui a rédigé, en 2015, le rapport « Démocratie environnementale : débattre et décider ». Sans « garant », la collectivité territoriale est à la fois juge et partie lorsqu'elle organise un débat.
Aujourd'hui, quand les élus rencontrent des difficultés, ils s'ouvrent aux citoyens, aux sciences sociales et à des personnes ayant développé des méthodes pour changer le mode d'action de l'administration. Tel est le cas des initiatives de l'organisme « 27ème région » ou de « Partenariat pour un Gouvernement Ouvert ». Ces « laboratoires » produisent des effets rapides et efficaces sur les politiques publiques. Ils conduisent à changer le logiciel de la prise de décision.
Tous ces dispositifs ne forment pas une politique de démocratie « prête à l'emploi » : il n'y a pas de recette miracle.
Il y a autant de dispositifs que de dimensions de la démocratie participative. Nous constatons de nombreuses expériences réussies, notamment à l'échelle internationale. Nous pouvons citer l'Irlande, l'Islande, l'Estonie ou encore la région de Toscane, qui a mis en place l'autorité régionale de garantie et de promotion de la participation.
Je souhaiterais, enfin, évoquer des débats plus généraux. Contrairement au professeur Marcel Gauchet, je ne crois pas que le citoyen est un être individualiste, demandeur de droit, voire une menace pour la décision collective. Ce sont nos sociétés qui font en sorte que les individus ne soient que des consommateurs et des électeurs dans la sphère politique.
On n'a pas donné la possibilité aux citoyens de s'impliquer dans les processus politiques. Les dispositifs tels que les jurys citoyens ont permis de constater qu'au contraire, ils peuvent, sans appétence politique au départ, se responsabiliser, se hisser à la hauteur des enjeux pour produire du jugement politique informé et fondé. Sinon, si on pense que les citoyens sont incapables de produire des décisions intelligentes, il faut renoncer à la démocratie.
Ces dispositifs de participation doivent ainsi produire des effets positifs en conduisant au réveil des citoyens. Par qui ces démarches doivent-elles être accompagnées ? Il existe de plus en plus de professionnels de la concertation, en dehors mais aussi au sein des collectivités territoriales, et j'en forme moi-même dans mon master. Ces personnes doivent être respectées et disposer des moyens nécessaires, alors qu'elles sont souvent en « porte à faux », entre le marteau et l'enclume. En effet, les citoyens considèrent qu'ils sont du côté du pouvoir local tandis que les élus se méfient d'eux puisqu'ils se font les porte-paroles des citoyens. Il faut leur donner des marges d'autonomie et rappeler la volonté politique. Il est également nécessaire que le directeur général de l'administration ou le directeur général des services ainsi que les principaux élus de la collectivité territoriale expriment leur confiance et manifestent leur soutien, de façon réitérée, dans ces processus participatifs pour qu'ils fonctionnent.
Cette culture doit encore se développer, notamment au niveau national où l'indifférence reste majeure. Selon vous, le tirage au sort pour désigner les sénateurs n'est pas une solution. Mais ce mode de désignation pourrait concerner cent citoyens qui siègeraient aux côtés d'autres sénateurs élus. Le mode d'élection devrait, toutefois, être revu, mais c'est un autre débat et le Sénat dispose d'ailleurs de tous les moyens constitutionnels pour empêcher qu'une telle évolution s'opère sans son accord, sauf à réaliser un coup de force...
Quoi qu'il en soit, la présence de cent citoyens tirés au sort au Sénat ne contribuerait-elle pas à changer les choses ? Cela mériterait d'être tenté à mon sens. Leur mandat pourrait être moins long, ils devraient être formés et disposer des éléments d'informations nécessaires, comme les élus qui ne sont d'ailleurs pas, eux non plus, des experts de tous les sujets.
Madame Bouchoux, la question que vous posez est essentielle, on n'a pas assez réfléchi à ce que pourrait être le statut de l'élu, à la façon d'appréhender le métier de politique. Certains élus deviennent des professionnels, « condamnés » à poursuivre leur carrière politique. On pourrait faire comme dans certains pays et prévoir que les anciens élus puissent accéder à des fonctions dans certains corps d'inspection. En tout état de cause, la fin du cumul des mandats dans le temps est, selon moi, un impératif directement lié aux sujets que nous traitons.