Intervention de Pascal Brice

Mission d'information Accord UE-Turquie sur la crise des réfugiés — Réunion du 18 mai 2016 à 14h30
Audition de M. Pascal Brice directeur général de l'ofpra office français de protection des réfugiés et apatrides

Pascal Brice, directeur général de l'OFPRA :

Je vous remercie de votre invitation. Nous faisons face à une crise de l'asile au niveau européen mais pas, je tiens à le préciser, au niveau français. Notre système est néanmoins soumis à de fortes tensions, en particulier l'OFPRA, qui a profondément réformé son fonctionnement depuis trois ans et bénéficié d'un renforcement régulier de ses moyens.

Je rappelle, en tant que directeur général de l'OFPRA, qu'il ne peut y avoir de limite au nombre de demandes d'asile examinées en France : toute demande d'asile déposée en France, dès lors qu'elle ne relève pas d'un autre État membre en vertu des dispositions de Dublin, doit être examinée. C'est du point de vue plus général des politiques publiques que l'on peut adopter une approche différente.

C'est à ce titre que l'accord avec la Turquie était à mes yeux indispensable pour reprendre le contrôle de la situation. Nous avons constaté la difficulté d'apporter une réponse européenne coordonnée et maîtrisée à cette crise, qui est davantage une crise de l'asile qu'une crise migratoire. Si les décideurs publics doivent traiter de ces deux aspects, seul le premier relève des missions de l'OFPRA.

A l'OFPRA, nous mettons en oeuvre l'accord selon deux modalités : la relocalisation de demandeurs d'asile en besoin manifeste de protection depuis la Grèce, et un programme de réinstallation de réfugiés syriens de la Turquie vers la France. L'OFPRA ne participe pas aux examens de recevabilité conduits par les autorités grecques dans les hotspots auprès des personnes arrivées après le 20 mars - à la suite desquels des personnes considérées comme relevant du droit d'asile seront renvoyées vers la Turquie.

En revanche, nous sommes donc pleinement mobilisés sur les deux missions que j'ai citées. Concernant la relocalisation, en vertu des décisions de juillet et d'octobre 2015 du Conseil européen, l'OFPRA doit mener à bien l'admission de personnes arrivées en Grèce et en Italie en provenance de pays dont le taux d'accord, dans les pays de l'Union européenne, est supérieur à 75 % : principalement des Syriens, Irakiens et Érythréens. Ces derniers bénéficient, dans les hotspots, d'une sorte de présomption de droit d'asile ; cependant, en vertu notamment de la loi relative à la réforme du droit d'asile du 29 juillet 2015 votée par le Parlement, l'OFPRA est tenu de vérifier la réalité de leur besoin de protection dans le cadre d'un entretien classique.

Les réfugiés arrivent sur le territoire national après enregistrement par les autorités grecques ou italiennes, souvent avec l'appui de Frontex. La procédure est la suivante : ils manifestent leur souhait de relocalisation, enregistré par le Bureau européen d'appui en matière d'asile (European Asylum Support Office, EASO), puis les autorités grecques ou italiennes proposent leur relocalisation aux autorités françaises, qui procèdent ensuite à des vérifications sécuritaires. Une fois arrivés en France, les réfugiés ont un entretien avec un officier de protection de l'OFPRA délocalisé en région. Nous multiplions les missions de ce type : en novembre dernier, des officiers de l'OFPRA se sont rendus à Nantes pour l'accueil de réfugiés érythréens venus d'Italie. Nous nous assurons avant tout de la provenance du réfugié, qui fonde le besoin de protection manifeste. Nous vérifions également que la personne ne relève pas d'une clause d'exclusion de la convention de Genève - crimes de guerre, crimes contre l'humanité, actes de génocide - ce qui peut être le cas de collaborateurs du régime syrien ou de djihadistes. Enfin, nous faisons usage de la disposition de la loi du 29 juillet 2015 qui écarte les personnes représentant une menace pour la sûreté de l'État ou une menace grave pour la société. Le ministère de l'intérieur effectue ses propres vérifications de manière étanche par rapport aux entretiens de l'OFPRA.

Les personnes qui arrivent dans les hotspots italiens sont principalement érythréennes.

La relocalisation depuis la Grèce concerne exclusivement les personnes arrivées dans ce pays avant le 20 mars - qu'elles aient été conduites des îles vers le continent ou y soient déjà présentes, en particulier près de la frontière macédonienne, à Idomeni. L'OFPRA depuis janvier conduit dans une antenne à Athènes les entretiens avec les candidats proposés par les autorités grecques à la relocalisation en France. Chaque mois, l'OFPRA envoie une équipe : en avril, 400 personnes ont été entendues en deux semaines et nous nous apprêtons à en entendre autant la semaine prochaine. À l'issue de l'entretien avec les candidats à la relocalisation, je soumets la décision finale au ministère de l'intérieur, qui de son côté, effectue ses propres contrôles sécuritaires. Le ministre décide par conséquent en considération de ces deux procédures. Il s'agit d'un dispositif dérogatoire : sur le territoire national, la décision de l'OFPRA relative à l'octroi de l'asile est souveraine. Dans le cas de l'autorisation d'accès au territoire, la décision souveraine appartient in fine au Gouvernement.

Le programme de relocalisation monte en puissance. La fermeture des frontières, et surtout de la frontière macédonienne, a avivé l'intérêt des migrants pour ce programme : le chemin de l'Allemagne étant coupé, 57 000 personnes dont 20 à 30 000 Syriens, Irakiens et Érythréens se sont retrouvées bloquées en Grèce, dans des conditions souvent dramatiques. Le dispositif OFPRA repose sur des missions d'instructions envoyées sur place depuis janvier mais aussi, dans le cadre de l'accord avec la Turquie, sur la mise à disposition de quinze officiers de protection à Athènes, Thessalonique et Alexandroupoli, qui aident les autorités grecques à doubler leurs capacités d'enregistrement des candidats en Grèce continentale. Pour la relocalisation vers l'ensemble de l'Union européenne, les officiers de protection de l'OFPRA agissent sous l'égide de l'EASO. Les relocalisations s'effectuent en proportion des dispositions d'accueil notifiées chaque mois par l'Intérieur aux autorités grecques.

Le second volet de notre participation à la mise en oeuvre de l'accord est la réinstallation depuis la Turquie vers l'Union européenne. Le ministre de l'intérieur a fixé un objectif de 6 000 réinstallations de réfugiés syriens en deux ans. Il s'agit pour l'OFPRA de l'amplification d'un dispositif mis en place depuis deux ans en Égypte, en Jordanie et au Liban, répondant aux instructions du Président de la République fin 2013 pour accueillir 500 réfugiés syriens supplémentaires. Nos agents se sont ainsi rendus à Alexandrie, au Caire, à Amman et à Beyrouth à huit reprises depuis 2014. Au total, 1 500 personnes en grande vulnérabilité ont été accueillies dans ce cadre, grâce au travail d'identification mené par le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR).

Nous avons mené une première mission en avril dernier à Ankara au cours de laquelle 400 personnes ont été entendues ; 300 autres le seront à partir du 23 mai. L'OFPRA se rendra régulièrement en Turquie pour évaluer le besoin de protection des candidats et une éventuelle exclusion au titre des clauses de protection ou de sûreté de l'Etat - toujours dans le cadre d'entretiens doubles et étanches menés par l'OFPRA et par le ministre de l'intérieur.

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