Ma position, précisée à la presse, est claire : ma responsabilité consiste à mener les missions de l'Office. Il ne m'appartient pas de commenter l'accord mais de définir ce qui relève de la compétence de l'OFPRA : la relocalisation et la réinstallation, dans lesquelles nous nous engageons pleinement. En revanche, j'ai estimé que le volet de l'accord prévoyant la reconduite de personnes éligibles au droit d'asile en Europe vers la Turquie ne relevait pas de l'OFPRA, dont la mission est de protéger en Europe. La France ne considère pas la Turquie comme un pays d'origine sûr ou un pays tiers sûr. Ils n'ont pas à participer à l'examen de recevabilité conduit dans les hotspots auprès des réfugiés arrivés après le 20 mars.
L'OFPRA se voit confier par la loi une mission complexe mais binaire : si la personne relève du droit d'asile, elle doit être protégée quoi qu'il arrive ; avec la même rigueur, si elle n'en relève pas, l'OFPRA doit lui opposer un rejet. C'est la cohérence de la loi, qui relève de la convention de Genève et des textes européens sur la protection subsidiaire. Dans ce cadre, il est difficile d'inventer une troisième option du point de vue de la cohérence de l'OFPRA : un entretien de demande d'asile en Grèce conduisant à la reconduite en Turquie - hors Union européenne - de personnes relevant pourtant du droit d'asile... L'OFPRA protège d'ailleurs 20 % des ressortissants turcs qui demandent l'asile en France. Or le retour de Grèce en Turquie relève de l'appréciation par les Grecs de la capacité des autorités turques à accueillir et protéger ces personnes.
Je me permettrai en plus un avis personnel : l'Europe doit reprendre le contrôle de la situation. C'est le sens de l'action menée par le Président de la République et le gouvernement depuis plusieurs mois. Le ministre de l'intérieur s'est rendu dans les capitales européennes dès l'été 2014 afin de plaider pour la mise en place des hotspots. Ce « plan Cazeneuve » a abouti, en juillet 2015, aux décisions du Conseil européen. Malheureusement, celles-ci, que j'estime adaptées, ont été imparfaitement mises en oeuvre : les hotspots n'ont pas fonctionné. Il fallait y associer la Turquie, sans laquelle la situation n'est pas gérable - je suis conscient des implications de ces propos qui dépassent la compétence de l'OFPRA. Une aide financière pour aider les organisations internationales à stabiliser les migrants était à mes yeux indispensable. La principale difficulté réside dans la reconduite vers un pays tiers de personnes relevant du droit d'asile.
En Italie, la proposition de relocalisation est formulée par les autorités italiennes et EASO. J'ai dépêché deux officiers de protection de l'OFPRA en Sicile et un dans le Sud de l'Italie. Nous conduisions le même travail dans les îles grecques jusqu'à la mise en oeuvre de l'accord. Depuis, les officiers de protection ont rejoint la Grèce continentale pour informer les personnes arrivées avant le 20 mars de la possibilité de bénéficier du programme de relocalisation. Je compte renforcer l'équipe, actuellement de vingt personnes, dans la perspective de missions dans les camps décidées par les autorités grecques avec notre soutien.
Les candidats ne choisissent pas leur destination. Après un premier enregistrement des Syriens, Irakiens et Érythréens, l'Agence européenne de l'asile procède à un second enregistrement où ceux-ci dressent une liste de quatre ou cinq pays de préférence. Leur choix peut être guidé par la présence de membres de leur famille, une maîtrise linguistique ou parfois même des effets de mode. La France figure presque toujours dans la liste. Le choix final du pays d'accueil proposé appartient aux autorités grecques ou italiennes.
Du dispositif « un pour un », l'OFPRA n'a à connaître que du « un » de la réinstallation, dans les conditions et selon les procédures que j'ai décrites.
J'admire le courage de mon homologue grecque face à la situation extrêmement difficile de son pays. Nous assistons les Grecs dans la mesure de nos possibilités. Je n'ai pas de vision claire de l'évolution de la législation grecque en matière d'asile depuis l'accord : la mise en oeuvre s'invente au fur et à mesure. Avant le 20 mars, soit les réfugiés relevaient de la relocalisation - c'est le cas des Syriens, Irakiens et Érythréens ne relevant pas des clauses d'exclusion et ne présentant pas de menace pour la sécurité de l'État -, soit ils avaient vocation à demander l'asile en Grèce. C'est d'ailleurs problématique, notamment pour les nombreux Afghans, au vu de la faiblesse des moyens grecs pour l'examen des demandes prioritaires de relocalisation. Les personnes arrivées après le 20 mars sont détenues dans les hotspots. Les premiers examens ont eu lieu, les premières reconduites aussi, mais à ce jour aucune reconduite de réfugiés syriens éligibles à l'asile vers la Turquie n'a été effectuée.