Je voudrais vous remercier de me recevoir et vous prie à nouveau d'excuser M. l'Ambassadeur, dont l'emploi du temps ne lui a pas permis de venir devant votre mission. J'aborderai, à titre liminaire, la politique conduite par la Turquie vis-à-vis des réfugiés syriens. Depuis le début de novembre 2011, la Turquie a ouvert ses portes aux Syriens qui fuient la guerre et la persécution dans leur pays. Une aide humanitaire a également été fournie sans aucune distinction ethnique ou religieuse et le principe de non-refoulement a été respecté. Les Syriens se sont vus reconnaître un statut de protection temporaire, conformément aux obligations de la Turquie en matière internationale. La création de ce statut repose sur une base légale : le règlement de protection temporaire qui est entré en vigueur en octobre 2014.
Le nombre de réfugiés en Turquie s'élevait, au 6 juin 2016, à 2 744 915 personnes d'origine syrienne, soit quelque 2,7 millions de personnes auxquelles s'ajoutent 300 000 réfugiés de différentes nationalités, dont 200 000 Irakiens. Au total, le nombre de réfugiés en Turquie s'élève donc à 3 millions de personnes. Parmi les réfugiés syriens, 259 896 vivent dans les vingt-six centres de protection provisoires, et le reste dans les diverses provinces turques notamment frontalières avec la Syrie telles que Þanlýurfa, Hatay, Gaziantep et Kilis et aussi dans les grandes villes comme Istanbul, Ankara ou Izmir. Le nombre des nouveau-nés dans les camps s'élève aujourd'hui à 152 000. Tous les réfugiés syriens sont enregistrés bio-métriquement et disposent d'une carte d'identité qui contient également leurs empreintes digitales. Leur enregistrement précède une procédure de contrôle de santé.
Nous assurons gratuitement aux réfugiés bénéficiaires d'un statut temporaire l'alimentation, les soins de santé, l'éducation ainsi que des activités sociales. Les réfugiés syriens, qui se trouvent en dehors des camps sont également sous le contrôle de notre régime de protection et ont également accès aux soins de santé et à l'éducation.
Depuis cinq années, la Turquie a assumé ses responsabilités en accueillant tous ces Syriens, mais avec l'intensification de la crise migratoire et ses images tragiques comme le décès du petit Aylan Kurdi, l'Europe a pris la mesure de l'ampleur du phénomène. La Turquie et l'Union européenne ont alors franchi une nouvelle étape. Celle-ci s'est traduite par la « normalisation » de nos relations.
En novembre dernier, l'Union européenne s'est associée à la Turquie dans le cadre d'un « plan d'action commun », dont la mise en oeuvre a amélioré les conditions de vie des Syriens en Turquie, tout en limitant l'immigration irrégulière en Mer Egée. La Turquie a appliqué avec détermination ce « plan d'action » qui a permis d'atteindre de très bons résultats.
Dans ce cadre, avant la réintroduction des visas pour les Syriens venant des pays tiers, le 9 janvier dernier, 40 000 personnes passaient la frontière turque chaque semaine. Une fois les visas réintroduits pour les Syriens venant des pays tiers, ce nombre a baissé pour atteindre environ 1 000 entrées. Depuis le 15 janvier, les Syriens peuvent se voir délivrer un permis de travail, ce qui apporte une amélioration réelle à leurs conditions de vie.
En outre, les mesures policières que la Turquie a appliquées avec vigilance depuis le début de la crise ont elles aussi produit de bons résultats. Pour preuve, près de 7 000 personnes passaient la frontière chaque jour en novembre 2015, alors qu'en février 2016, ce chiffre baissait à 2 000. Ces mesures n'étaient cependant pas suffisantes pour endiguer les flux migratoires irréguliers. Comme vous l'avez mentionné, Monsieur le Président, lors du Sommet du 7 mars, la Turquie a fait une proposition qui fut acceptée par l'Union européenne le 18 mars dernier. Cette résolution dite de « un pour un » visait d'une part à mettre un terme aux pertes en vies humaines dans la Mer Egée, d'autre part à démanteler les réseaux de passeurs et enfin à organiser une forme « régulière » d'immigration. La Turquie était animée par des motivations humanitaires et cet accord a permis d'enregistrer des résultats tout à fait tangibles.
La Turquie a souhaité créer un effet dissuasif destiné à frapper les esprits. Cette démarche a fonctionné. En effet, depuis l'application de l'accord, certains jours ne connaissent aucun passage et aucun décès à déplorer en Mer Egée. Certaines allégations, relatives au retour des flux en raison de l'amélioration des conditions météorologiques, se sont avérées fausses. Aujourd'hui, la route centrale méditerranéenne a certes été réactivée, mais ce n'est plus le cas pour la Mer Egée.
Je souhaiterais préciser un point. L'accord contient des éléments importants concernant les relations entre la Turquie et l'Union européenne. La crise migratoire, comme je l'ai rappelé à titre liminaire, a donné lieu à la normalisation, au sens strict du terme, des relations entre la Turquie et l'Union européenne. L'accord comporte la libéralisation des visas qui n'est nullement un engagement nouveau de l'Union européenne puisque le dialogue de libéralisation a été lancé en parallèle de la signature de l'accord de réadmission signé en 2013. On a juste « anticipé » l'exécution de ce paquet dont les deux volets sont inséparables. L'ouverture des chapitres constitue, me semble-t-il, un sujet anodin par rapport à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, mais cette démarche ne permet nullement d'en présager l'accélération. J'ajouterai que l'accord de mars dernier fonctionne très bien, mais que certaines hésitations se font jour quant à la pérennisation des résultats qui viennent d'être obtenus. Ainsi, la désorganisation des Autorités grecques empêche l'échange de migrants avec la Turquie et un tel obstacle peut nuire à l'effet psychologique et dissuasif de cet accord. En effet, si les réseaux clandestins et les migrants comprennent que cet accord est inopérant, les flux peuvent « redémarrer ». Nous pensons en conséquence qu'il importe de soutenir la Grèce dans ses efforts pour traiter la question migratoire. Je vous remercie de votre attention.